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A Bombay, la colossale statue de la discorde

Bombay (AFP) – Au milieu des flots étincelants de la mer d’Arabie, face à la mégalopole de Bombay, devrait se dresser d’ici quelques années la statue colossale et controversée d’un roi-guerrier hindou brandissant son épée. Un projet politico-religieux considéré comme démesuré par ses détracteurs.

Ce mémorial consacré au roi marathe du XVIIe siècle Chhatrapati Shivaji, un vieux rêve des partis politiques de l’Etat du Maharashtra (ouest de l’Inde) dont Bombay est la capitale, prend corps: fin décembre, le Premier ministre indien, le nationaliste hindou Narendra Modi, en a posé la première pierre.

D’une hauteur de 190 mètres, la statue de bronze de Shivaji sera la plus haute du monde – deux fois plus grande que la statue de la Liberté américaine et dépassant de 40 mètres l’actuelle détentrice du titre, un Bouddha en Chine.

L’ambition est pharaonique. Le mémorial sera érigé sur un affleurement rocheux en pleine mer, à quelques kilomètres des côtes de la capitale économique indienne. Outre la statue du guerrier chargeant à cheval, il devrait notamment accueillir un musée, un amphithéâtre, un cinéma et des activités pour touristes.

Le chantier est estimé à 36 milliards de roupies (un demi-milliard d’euros) et est censé être achevé d’ici 2021.

La mémorial Shivaji s’inscrit dans la nouvelle tendance en Inde de construire des statues historiques monumentales pour exalter les sensibilités religieuses, communautaires ou régionalistes.

De nombreux Marathis voient en Shivaji un héros local, le chef de guerre hindou qui a combattu l’empire musulman des Moghols. L’aéroport de la mégalopole, la principale station ferroviaire ainsi qu’un parc sont déjà baptisés d’après son nom, qui revient souvent dans la bouche des politiciens hindous.

Au nord de Bombay, l’Etat du Gujarat – dirigé comme le Maharashtra par le Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi – érige lui une effigie de 182 mètres de haut de Vallabhbhai Patel, le premier ministre de l’Intérieur de l’Inde indépendante et figure saluée par les nationalistes hindous.

« Chacun veut tirer la couverture à soi. La politique identitaire est devenue tellement vulgaire désormais que tout le monde veut avoir ces statues », commente pour l’AFP l’analyste politique Kumar Ketkar.

– Destruction écologique –

Cependant, le mémorial de Shivaji divise Bombay, notamment en raison de son coût faramineux. Plus de 43.000 personnes ont signé une pétition en ligne contre sa construction.

Pour l’opposition, ces milliards de roupies auraient été plus utilement dépensés dans le système sanitaire, les écoles ou les infrastructures de la ville.

Les promoteurs du mémorial, qui espèrent y attirer 10.000 touristes par jour, font eux valoir les retombées économiques.

Mais les plus soucieux sont probablement les pêcheurs de la communauté Koli, les habitants originels de Bombay, qui craignent de perdre leur moyen de subsistance.

« L’espace de reproduction des poissons sera complètement détruit », estime Krishna Tandel, 32 ans, en déroulant un filet sur la rive d’une baie du sud de Bombay délimitée par les tours du quartier des affaires.

Environ 2.000 pêcheurs vivent dans cette enclave de Machhimar Nagar, la plupart dans des cahutes aux allures de bidonville. A bord de leurs embarcations bariolées, ils pêchent du poisson qui ira nourrir les quelque 20 millions d’habitants de la cité.

« Nous pêchons depuis des générations, c’est notre business, et maintenant nos moyens d’existence sont en jeu », explique Krishna à l’AFP, qui préférerait voir la statue construite sur la terre ferme.

Les défenseurs de l’environnement s’alarment eux aussi, estimant que le chantier et les remous provoqués par les ferrys de touristes pourraient décimer la faune marine.

« Cela va affecter la base de l’alimentation de la ville, et l’économie. Il va y avoir beaucoup de dégâts », se désole le biologiste Anand Pendharkar.

Avec les sommes dépensées pour créer ce mémorial, a calculé un site indien de journalisme de données, il aurait été possible de construire un système de micro-irrigation qui aurait fourni de l’eau à des milliers de fermiers dans cette région sujette aux sécheresses. Ou de restaurer des dizaines de forts décatis de l’époque de Shivaji.

© AFP Indranil MUKHERJEE
Les rives de Bombay sont aussi le lieu de vie et de travail des pêcheurs de la communauté Koli, ici le 4 janvier 2017

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