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A Gaza, Adel Mechoukhi chante les chats et la lessive contre la déprime

Rafah (Territoires palestiniens) (AFP) – Assailli par les fans où qu’il aille, Adel Mechoukhi est une star de la chanson comme la bande de Gaza recluse et connectée peut en produire: jeune et déjà désenchantée, consacrée par internet mais fauchée, non-conformiste et salariée du pouvoir islamiste.

Il y a encore peu, le jeune homme de 32 ans était un inconnu dans le petit territoire où s’entassent 1,9 million de Palestiniens éprouvés par les guerres et un sévère blocus israélien, et gouvernés d’une main de fer par le Hamas.

Il se produisait bien depuis une dizaine d’années comme chanteur et comédien dans des feuilletons télévisés ou radiophoniques. Mais son pain, il le gagnait en travaillant pour les services de sécurité du Hamas, jusqu’à cette balle reçue accidentellement dans la jambe lors d’un exercice il y a trois ans.

En convalescence, Adel Mechoukhi est toujours – partiellement et sporadiquement – payé par son employeur. Mais l’ombre a fait place à la lumière. Il a suffi d’une chanson et d’une vidéo, « N’aie pas peur de moi, petite chatte ».

« N’aie pas peur de moi petite chatte, ne t’enfuis pas, je ne suis qu’un humain, un pauvre humain », y chantonne le jeune homme en déambulant dans les rues vides et obscures de Rafah.

Le clip a été bricolé avec les moyens du bord, son portable et son ordinateur. N’empêche: il a été partagé des centaines de milliers de fois sur Facebook. Les jeunes écoutent Adel Mechoukhi inlassablement sur internet, sur leurs téléphones ou dans les mariages.

L’artiste mesure sa notoriété chaque fois qu’il débarque, ses éternelles lunettes de soleil sur le nez, dans les cafés bondés du bord de mer. Il est l’hôte d’honneur quand, comme ce soir, il est invité à une fête de mariage à Rafah. 

– ‘S’amuser un peu’ –

« Tout le monde aime Adel ici », s’enthousiasme Ibrahim al-Nireb, le frère du marié, qui ne se lasse pas de prendre des selfies avec la star qui « fait naître des sourires sur les visages des gens ».

Sur une musique entraînante, le chanteur parle avec légèreté et parfois ironie des choses de la vie quotidienne à des Gazaouis qui n’en peuvent plus de la politique et sympathisent avec un garçon qui leur ressemble, simple et drôle.

« Je ne parle pas de politique et de guerre parce qu’on en a tous marre, on veut s’amuser un peu », explique Adel, cheveux noirs coupés ras et bouille ronde encore adolescente.

Les Gazaouis continuent à se relever de la guerre de 2014 et se préparent psychologiquement à la prochaine. 45% de la population active est au chômage et plus des deux tiers des habitants sont dépendants de l’aide étrangère.

Habitant chez ses parents dans un camp de réfugiés de Rafah, Adel Mechoukhi est devenu le porte-drapeau des moins de 30 ans. Ces derniers représentent 70% d’une population sans perspective d’avenir car Gaza est une « gigantesque prison » où l’on vit comme « dans une boîte à sardines », selon lui.

Pour le psychiatre Samir Zaqout, le chanteur met des mots sur « le désespoir né de la pression sociale et économique qui pèse sur les jeunes Palestiniens ».

– ‘Hamas, quitte le pouvoir’ –

Il leur permet « de décompresser en transformant la déprime ambiante en expression artistique », poursuit-il. Et c’est cela qui lui a permis de « se construire en peu de temps une énorme popularité » sans véhiculer de message précis.

Son dernier titre, « Mon pantalon », mis en ligne il y a quelques jours, parle de lessive sale et évoque, l’air de rien, les difficiles conditions économiques des jeunes.

Adel Mechoukhi sait de quoi il parle. Pas de contrat juteux, pas de train de vie tapageur, sa célébrité ne lui rapporte rien. Ce diplômé d’anglais, divorcé et sans enfants, continue à vivre d’une fraction de son ancien salaire de 1.200 shekels (moins de 300 euros). Et encore, lorsqu’il est versé, ce qui n’est pas arrivé depuis des mois en raison des dissensions politiques interpalestiniennes.

Ses chansons ont beau privilégier l’anecdote, elles font grincer des dents. « Ces chansons sauvages visent à détruire notre jeunesse conservatrice », commente sur Facebook un internaute.

« J’ai déjà fait huit séjours dans les cellules de la police du Hamas », témoigne Adel Mechoukhi.

Dans une vidéo postée sur Youtube, il prononce clairement ce que ne disent pas ses chansons, avec une fougue tout sauf anodine à Gaza: « Hamas, quitte le pouvoir, ça fait dix ans que tu es responsable du malheur des Gazaouis. Tu nous a renvoyés 300 ans en arrière: on n’a pas d’électricité, pas d’eau, pas de boulot et les frontières sont bouclées. La vie, les rêves, les espoirs, tout est fini! »

C’est parce qu' »il n’a peur de rien et parle des besoins des jeunes » qu’il est si populaire, affirme l’acteur Saleh al-Moughir.

Le chanteur Adel Mechoukhi, le 29 juillet 2016 sur un toit de la ville de Gaza. © AFP

© AFP MOHAMMED ABED
Le chanteur Adel Mechoukhi, le 29 juillet 2016 sur un toit de la ville de Gaza

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