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A Kinshasa, l'essor des malewa, gargotes de rue d'une capitale en crise

Kinshasa (AFP) – « Ici, pour 2.000 francs, je mange à ma faim »: à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo minée par la misère, les gargotes de rue bon marché, appelées « malewa », sont de plus en plus prisées malgré une hygiène parfois douteuse.

Penché sur son assiette, José Bangamba avale son poulet en sauce. « Ça, c’est 1.500 francs [congolais, soit environ 1,1 dollar, ndlr]. Le foufou, c’est 500 », soit 0,4 dollar, détaille ce taxi-moto de 29 ans, en montrant deux boules de pâte de farine de manioc à côté.

« Dans les restaurants ordinaires, les prix sont facilement dix fois plus chers, où est-ce que je trouverais une telle somme ? Ici, pour 1.500 ou 2.000 francs, je mange à ma faim », confie-t-il.

Sur le trottoir, les clients défilent sous le parasol délavé de « Mama Marie ». Cuillère en main, cette mère de famille de 48 ans jongle entre les marmites de poulet, de viande, de poisson frais ou fumé, de pondu (mélange de légumes et feuilles de manioc) et de riz, remplit les assiettes et encaisse les billets dans le sac à main accroché à son épaule.

Célébrés il y a quelques années par Werrason, l’un des chanteurs congolais les plus populaires, les malewa sont apparus à Kinshasa au début des années 1990 au moment de l’effondrement de l’économie congolaise, dans les dernières années de la dictature de Mobutu.

Ils se sont depuis lors multipliés comme des champignons et la crise qui frappe de nouveau le pays depuis plus d’un an et demi a encore accéléré le phénomène, à tel point qu’ils échappent à tout recensement dans une mégapole de 10 millions d’habitants où les services publics sont largement absents.

Quelques ustensiles de cuisine et un peu de charbon de bois pour faire cuire les plats suffisent pour ouvrir un malewa, la nourriture vendue étant faite pour être emportée ou consommée à la va-vite sur place.

– ‘Pour payer l’école’ –

Avec la crise, qui dégrade encore un peu plus les conditions de vie exécrables de l’immense majorité des habitants de la capitale, les malewa permettent à des ménagères d’espérer un petit gain à la fin de la journée, et à une foule de journaliers de se nourrir à moindre frais. 

Une table, un parasol fixé sur une jante de voiture, six marmites, une caisse avec un peu de vaisselle: depuis six ans, Marie Aloka Hioma a installé son malewa devant chez elle, à Lingwala, dans le centre de Kinshasa. 

« J’ai commencé à faire ça pour payer l’école », explique cette mère de huit enfants. Elle n’a aucune idée du nombre d’assiettes qu’elle sert par jour: « Une centaine peut-être… Les premiers clients arrivent à 05h00… « 

A quelques rues de là, « Mama Annie » a aussi ouvert le sien, il y a sept ans, dans la cour de sa maison. « Les bénéfices, ça sert un peu pour moi et surtout pour les enfants, pour leur acheter des chaussures, un pantalon », confie cette trentenaire. 

Conséquence de la baisse du pouvoir d’achat provoquée par l’effondrement de la monnaie nationale, les malewa ne sont plus fréquentés aujourd’hui uniquement par la foule des actifs en quête d’une activité rémunérée à la journée, mais aussi par des étudiants, des ouvriers, ou encore des fonctionnaires.

« A cause de la mauvaise conjoncture (économique), les +mamas+ doivent se débrouiller. C’est pour ça qu’il y a des malewa partout », explique Papi Bula Mbemba, 49 ans, qui vient déjeuner tous les jours chez « Mama Annie » avant de prendre son travail dans une entreprise de désinsectisation.

Et pour les clients, « c’est le meilleur prix », poursuit-il: « Les malewa, c’est vraiment une solution pour les Kinois ».

Mais à ces prix-là, les économies se font parfois au détriment de l’hygiène.

– ‘Plats avariés’ –

« Il y a des malewa installés à côté de fosses septiques, qui servent les plats avariés de la veille ou qui ont des assiettes et des verres sales », confirme José Bangamba.

Leur installation en pleine rue, au milieu de la poussière et des gaz d’échappement, parfois à proximité de caniveaux d’eau croupie ou de tas d’ordures, multiplie les risques de maladies, notamment celles dites « des mains sales » (diarrhées, vers intestinaux, fièvre typhoïde, choléra…).

« C’est un problème de santé publique qui est en croissance, parce que la détérioration des conditions de vie fait que la population va s’alimenter là où elle peut », reconnaît le Dr Benjamin Kwengani Mavard, directeur national des services d’hygiène en RDC.

« Fermer les malewa, c’est impossible », explique-t-il: « Il faut les améliorer. Il faut redynamiser les brigades d’hygiène pour contraindre, mais aussi sensibiliser. Il faut aider les mamas à améliorer la qualité des repas et à servir correctement, elles doivent connaître ces règles d’hygiène ».

Mais pour l’heure, les autorités en restent aux déclarations d’intention.

Sans nier l’existence de bouis-bouis insalubres, « Mama Marie » ne se sent pas visée par les critiques: « Ceux qui sont sales chez eux, leur travail est sale. Moi, je mange ce que je prépare, mon mari et mes enfants aussi ».

Elle montre la cour de sa maison où sa fille nettoie assiettes et couverts dans une bassine. Pour elle, l’hygiène est avant tout un argument commercial: « Je ne veux pas que les gens soient malades, je veux qu’ils reviennent chez moi le lendemain ».

Dans une Malewa à Kinshasa en République Démocratique du Congo, le 5 janvier 2017. © AFP

© AFP Junior D. Kannah
Dans une Malewa à Kinshasa en République Démocratique du Congo, le 5 janvier 2017

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