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A Marseille, l'agriculture urbaine prend ses quartiers Nord

Marseille (AFP) – Des chèvres et des brebis paissent au pied d’un HLM décrépi, au coeur des quartiers Nord de Marseille: pour leur éleveuse Marie Maurage, elles sont la preuve vivante qu’à Marseille, « l’agriculture urbaine, c’est pas un truc de bobos ».

Les étages de la cité des Flamants, dans le 14e arrondissement de Marseille, surplombent le pré asséché et l’étable de la ferme biologique de la Tour des Pins. C’est ce mélange insolite de campagne et de béton qui a poussé Marie à quitter les alpages de Briançon (Hautes-Alpes) pour répondre fin 2014 à un appel à projets de la Ville de Marseille, qui cherchait à relancer sa ferme pédagogique des quartiers Nord.

La petite femme blonde a aussitôt acheté des bêtes et relancé la production de lait et de fromages. L’éleveuse constate que les citadins sont « déconnectés de leur alimentation » et doit expliquer aux écoliers « le rythme des saisons, qu’une chèvre doit d’abord avoir un petit pour produire du lait… ».

Surtout, Marie veut leur montrer « une agriculture créatrice d’emplois non-délocalisables ». « Un des principaux problèmes de Marseille c’est le volet social. On doit arrêter de ne parler que des kalachs, l’agriculture est une des solutions », assure celle qui emploie aujourd’hui quatre personnes.

Les habitants des cités voisines viennent acheter des fromages, et des femmes s’approvisionnent même à la ferme pour leur épicerie solidaire car Marie veut « rendre le bio accessible à tous ».

– ‘Faible densité de bâti’ –

Marseille vit un « retour à la terre », estime l’urbaniste et sociologue Jean-Noël Consalès, rappelant que « jusque dans les années 70, des agriculteurs travaillaient dans les 13e et 14e arrondissements » de la ville. 

Les cités ont laissé beaucoup d’espaces libres. « Ce sont des espaces denses en population mais avec une faible densité de bâti, contrairement à Lyon ou Paris », explique-t-il: « Des jardins ont donc pu s’arrimer dans les interstices urbains ».

Dans la cité de Font-Vert, 40 parcelles cultivées ont ainsi permis de renouer le dialogue entre des voisins devenus étrangers les uns aux autres. Les jardins partagés et familiaux (équivalent moderne des jardins ouvriers) connaissent « une explosion » à Marseille depuis deux ans environ selon Monique Cordier, adjointe au maire LR en charge des espaces naturels.

« La liste d’attente est impressionnante », constate-t-elle. « Jusqu’à maintenant le jardin était un passe-temps, maintenant il y a un vrai désir de planter des légumes, d’échanger avec ses voisins aussi », analyse l’élue, qui recense un potentiel de 186 hectares encore disponibles pour cultiver.

A l’Est de la ville, après plusieurs virages d’une route cabossée, les barres HLM des Néréïdes et du Bosquet étendent leurs murs défraîchis et leurs carreaux sales au pied des collines.

Un beau jardin multicolore serpente entre les deux barres où vivent près de 2.000 personnes: « C’est le trait d’union entre les deux cités, quand on y vient, on n’est plus aux Néréïdes ni au Bosquet », décrit Alexis Jan, employé de Lamieu, association à l’origine de l’initiative.

« J’ai fait de très belles rencontres dans ce jardin, des gens à qui je n’aurais jamais parlé avant », confirme Françoise Lemoussi, qui vit aux Néréïdes depuis 35 ans. Cette femme au foyer de 58 ans avoue participer au jardin « avant tout pour s’occuper » et assure que « montrer ses courgettes, parler de l’arrosage des tomates, ça crée du lien avec les voisins et même les promeneurs ». Les récoltes du potager permettent aussi d’alléger la facture au supermarché « et les haricots verts du jardin sont vraiment meilleurs! ».

« Le jardin n’a pas tout résolu mais il y a moins de dégradations dans la cité depuis sa création il y a huit ans », assure Alexis Jan, qui constate que « les gens sont attachés à leur parcelle » et s’entraident pour l’arrosage « quand le voisin est fatigué ou malade ».

-« Schizophrénie du vert »-

Marseille et son climat méditerranéen permettent aussi aux jardiniers d’origine étrangère de conserver leurs traditions: « Les Africains vont planter du piment, les Magrébins beaucoup de fèves, même si au final ce sont les légumes +ratatouille+ qui ont le plus de succès », détaille-t-il.

La ville compte environ 1.000 jardins familiaux et une vingtaine de grands jardins partagés recensés. « Il y a encore beaucoup d’espaces à prendre, notamment dans les quartiers d’habitat collectif », note Jean-Noël Consalès, mais « il y a une schizophrénie du vert à Marseille: on veut planter mais on veut aussi bâtir à tout-va ».

Parmi les projets urbains qui font grincer des dents les jardiniers marseillais, la L2, une rocade de contournement de l’agglomération annoncée depuis des années, et dont la construction occasionnera la destruction de terres agricoles. « On travaille en compensation », affirme Monique Cordier qui explique que chaque m2 détruit sera remplacé par des espaces verts de taille équivalente.

Mais malgré ces craintes, les projets d’agriculture urbaine se multiplient à Marseille, riche de son soleil et de son accès à l’eau. L’association Terre de Mars, groupe de jeunes paysagistes passionnés de jardins et cuisine bios, s’est ainsi vue confier plusieurs chantiers « à dominante productive »: des ruches sur les toits de la gare Saint-Charles, des terrasses d’entreprise plantées de légumes…

« Qui sait? », rêve Marie Maurage: « Marseille pourrait devenir la capitale de l’agriculture urbaine? »  

Des chèvres broutent dans la ferme "La tour des pins" à Marseille, le 26 août 2016. © AFP

© AFP BERTRAND LANGLOIS
Des chèvres broutent dans la ferme « La tour des pins » à Marseille, le 26 août 2016

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