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A Taaone, le défi du Covid-19 ne fait pas oublier les autres maladies

Le Dr Dupire, chef du service de pharmacie et président de la CME du CHPF. @D.R.

Peu sollicité en début de crise sanitaire, le centre hospitalier de Polynésie Française (CHPF) prend en charge depuis le début de la semaine une quinzaine de patients « covid+ ». Et se tient prêt, si nécessaire, à en accueillir davantage. Entretien avec le Dr Philippe Dupire, président de la Commission médicale d’établissement, qui parle des défis d’organisation de l’hôpital, des traitements mis en place, et surtout de la nécessité de préserver le reste de l’activité de l’hôpital.

Il y avait les premières alertes, puis le « plan blanc », activé le 18 mars à Taaone, pendant lequel tout l’hôpital se tenait prêt à une éventuelle flambée de l’épidémie. La fermeture des vols et le confinement avait alors permis de l’éviter. Et le temps a été mis à profit pour adapter le fonctionnement du CHPF à la pandémie. Organisation assez rigoureuse pour prendre en charge, sans risques de contamination, des patients habituels et des « covid+ », et assez flexible pour réajuster rapidement la capacité de ces deux filières… La première partie de la crise sanitaire, d’apparence assez calme à l’hôpital, « a permis d’avoir un galop d’essai, que l’on met en oeuvre depuis quelques jours », explique Dr Philippe Dupire.

Une épidémie contrôlée, mais sur le long terme

Le chef du service pharmacie, et actuel président de la commission médicale d’établissement, tient à rassurer : « Nous ne sommes pas en état de saturation, cela dit, nous nous devons d’anticiper ». Depuis le mois d’août, la sollicitation de l’hôpital va en s’accroissant sur le front du covid. Après les deux décès de la semaine dernière, une quinzaine de cas positifs sont aujourd’hui pris en charge, dont deux en réanimation. Pour soulager le service d’hospitalisation d’urgence, en première ligne, un service de « cohorting » de 12 lits vient d’être ouvert. Et si les malades affluaient, ce serait au tour de la chirurgie viscérale, de la pneumologie et de la neurologie d’être réquisitionnés. Au total, « 120 à 130 lits » peuvent être mobilisés, en plus des 20 places de réanimation, qui peuvent là encore s’étirer jusqu’à 60… « Sachant qu’une partie de ces lits sera toujours dédiée à des gens qui ne sont pas malades du Covid-19 comme des accidents de la route ou de la chirurgie à perte de chances », prévient le coordonnateur des opérations médicales covid.

Anticiper toute surcharge des services. Voilà donc l’idée fixe au CHPF, qui doit bien sûr prendre en compte le risque de contamination de ses équipes. Tous les scénarios sont étudiés, d’autant que les exemples de surchauffe hospitalière sont nombreux. « On a bien sûr l’exemple du Grand Est, en France, mais c’était en mars et avril », note le Dr Dupire. Depuis, les connaissances sur la prise en charge du coronavirus « ont évolué », comme les mesures de prévention des autorités. Surtout, « les citoyens sont plus au courant des mesures barrières », que l’on parle de distanciation ou de port du masque. Autant d’éléments qui permettront, espère le spécialiste, de ralentir l’épidémie. « Je pense qu’elle restera sur une vitesse de croissance relativement faible, mais je pense qu’elle va durer longtemps », estime-t-il.

La grippe pas encore présente, mais surveillée de près

Le covid est une « maladie complexe et émergente, mais dont on guérit dans la majorité des cas » rappelle celui qui est aussi coordonateur des opérations médicales dans le cadre de l’épidémie. C’est le bureau de veille sanitaire qui aiguille vers le Taaone ceux dont les symptômes, ou l’état de santé avant la maladie, sont les plus inquiétants. Les cliniques et hôpitaux annexes redirigent eux aussi vers Pirae les symptômes suspects. « Il est tout de même nécessaire aussi que les autres établissements ne nous envoient pas tous les patients fébriles avant d’être testés, prévient le président de la CME. Sinon on ne pourra pas faire face ».

Dans les lits des services spécialisés, les jeunes malades liés aux clusters « festifs » de début août, ont laissé la place à des personnes plus âgées (53 ans de moyenne d’âge en début de semaine). Parmi les facteurs de risque les plus surveillés : l’obésité.

En 2019, le centre hospitalier avait connu près de 150 000 hospitalisations et plus de 15 000 interventions tous blocs confondus. Le covid-19 ne doit donc pas faire passer au second plan cette activité vitale pour le pays. Tout le défi de la période serait donc, pour le Dr Dupire, de conserver l’activité normale, et « éviter les pertes de chances sur les patients non-covid », tout en gérant l’éventuel afflux de l’épidémie. Mission difficile, d’autant que les symptômes du coronavirus s’apparentent à ceux d’autres maladies, bactériennes, comme la leptospirose, ou virales, comme la grippe, dont la nouvelle saison est guettée avec attention.

À noter que l’hôpital est équipé pour pratiquer à la fois des tests de dépistage du coronavirus et des tests PCR pour la grippe, maladie qui fait des morts à chaque épidémie. « Pour l’instant on n’a pas trop de doute, reprend le président de la CME. L’hémisphère nord n’est pas encore en période épidémique et l’hémisphère sud est bloqué par la fermeture des frontières néo-zélandaises ».

De l’oxygène et de la dexamethasone, plutôt que de l’hydroxychloroquine

Comment éviter l’aggravation de la maladie ? Les retours d’expérience nationaux et internationaux ont permis au CHPF d’affiner ses traitements. « On sait aujourd’hui que la ressource oxygène et la dexamethasone, qui a fait l’objet d’essais cliniques en Grande-Bretagne, correspondent à la meilleure prise en charge pour le moment », explique le pharmacien hospitalier. Les équipes de l’hôpital se disent « à l’écoute de toutes les publications, de toutes les avancées scientifique », sur le sujet. Et ont bien sûr suivi les études concernant la très médiatique hydroxychloroquine, proposée comme traitement par le Pr Raoult en association avec de l’azithromycine. Un traitement qui n’est aujourd’hui pas appliqué par le CHPF. Pour une raison simple : « à ce jour, il n’a pas fait la preuve nulle part d’une utilisation possible que ce soit en prévention ou en curatif » pointe le Dr Dupire.

 

Les recherches, qui se sont multipliés sur la question, indiquent même « plus de risque que de bénéfice » à son utilisation. Pour le praticien, « il n’était pas illogique » que ce traitement soit testé de par le monde, surtout dans le cadre d’une « maladie émergente et grave ». Mais le fait est qu’aujourd’hui « la plupart des pays ont arrêté de l’utiliser« . 

 

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