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Adoption : un virage juridique qui inquiète

©Florent Collet / Radio 1

La parution, la semaine dernière, de notre article Fa’a’amu : la fin de « l’open bar » a créé un certain émoi chez tous ceux qui, de près ou de loin, sont concernés par l’adoption en Polynésie et le changement de politique voulu par le ministère public. Selon eux, il existe un risque à vouloir calquer les textes de métropole sans tenir compte des spécificités locales.

Seize appels sur des délégations d’autorité parentale (DEAP) et des demandes d’adoption. Une première en Polynésie. La cour d’appel va se réunir le 25 mars pour les examiner en chambre réunie, une configuration rarissime. Ce jour-là, sept magistrats, au lieu de trois, étudieront ces 16 dossiers. Une composition de cour exceptionnelle, qui ne se forme uniquement que pour les questions « d’une particulière complexité ».

Une mini-révolution a démarré en matière d’adoption au pays du fa’a’amu. Comme l’a déclaré le procureur général à Radio 1, « C’est un avertissement entre guillemets aux personnes de métropole qui pensent que la Polynésie c’est l’open bar. Ce n’est pas l’open bar, il y a une procédure et il faut la respecter ». « L’intérêt de l’enfant est défini par des normes internationales qui priorisent pour l’enfant le droit de vivre avec sa famille ou tout au moins dans sa culture, sur son territoire. C’est seulement à défaut et dans le respect des règles de l’adoption uniquement qu’un enfant peut partir. Les règles c’est avoir le consentement libre et éclairé des parents et également d’avoir des adoptants sélectionnés à cette fin comme étant des gens qui présentent des garanties pour le bon développement de cet enfant », détaillait Céline Charloux, substitut général chargé du parquet civil général. La règle est désormais claire. Plus d’adoption organisée directement entre les parents biologiques et les adoptants, mais un intermédiaire obligatoire et incontournable, la Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité (DFSE) chargée de recueillir les enfants donnés par les familles en difficulté, et de les remettre aux adoptants après enquête et accompagnement à la parentalité.

Pour Me Temanava Bambridge-Babin, qui traite des dossiers d’adoption et de DEAP depuis une trentaine d’années, cette nouvelle politique voulue par le parquet se heurte aux spécificités polynésiennes et à la volonté des parents biologiques de choisir à qui confier leurs enfants.

Un constat partagé par Prisca Artur auteur du livre On vous souhaite tout le bonheur du monde publié en 2017 aux éditions L’Harmattan, et à l’origine de la page Facebook Adoption Polynésie et du site internet faaamu.com qui recueillent les témoignages de parents biologiques, adoptifs ou d’enfants adoptés. « Je crois cependant que ce qui importe aux parents biologiques est de se sentir libres de ce choix et maîtres de la situation. La rencontre avec les futurs parents est essentielle. Elle est l’ingrédient indispensable pour contribuer au fantasme qu’ils projettent sur les postulants. Ce n’est pas l’agrément aujourd’hui exigé par les services sociaux qui les rassurent mais leur ressenti et leur intuition vis-à-vis de l’adoptant », explique-t-elle. « Lorsqu’on interroge les services sociaux sur leur volonté de ‘cadrer les choses’ en proposant aux familles polynésiennes de se substituer à eux, comme en métropole, avec le dépôt des enfants en pouponnière. La plupart n’y sont pas favorables. Ils veulent choisir eux-mêmes à qui ils laissent leur enfant. »

Maître Temanava Bambridge-Babin ©Florent Collet / Radio 1

Pour Me Bambridge-Babin, l’application stricte des textes voulue par le parquet pourrait freiner les parents dans leur volonté de confier leurs enfants, quitte à ne pas pouvoir les élever dans de bonnes conditions.

Pour motiver sa politique, le parquet met notamment en avant les pressions exercées par les adoptants sur les parents biologiques et les dérives parfois constatées d’une monétisation de l’enfant. « Les pressions que subissent les familles polynésiennes sont indignes, mais aussi les mensonges sur les origines. La preuve en est des nombreuses demandes que je reçois via ma page Facebook pour faire renouer ces familles dont le lien a été brisé », confirme Prisca Artur. « Des Polynésiens malveillants ont également su exploiter le filon des popa’a prêts à tout pour un enfant. Accueil des femmes enceintes isolées pour ensuite marchander leur bébé en servant d’intermédiaires, promesses de bébé à plusieurs couples pour finalement donner au plus offrant, marchandisation des enfants, demande d’un salaire pour la famille. »

De son côté, Me Temanava Bambridge-Babin estime que ce qui est vu comme une corruption du parent biologique doit être vu comme une entraide entre deux familles qui s’unissent et se composent par l’adoption.

Entre stricte application de la loi et respect des traditions, entre la réalité des spécificités polynésiennes et la nécessité d’empêcher les abus, la question n’a pas fini de faire débat. « Pour ma part, la réponse est dans le lien, » conclut Prisca Artur. « Ce lien de naissance, ce lien avec le fenua, avec une culture profondément ancrée dans la terre. C’est la rupture de ce lien qui conduit à l’échec, pas l’adoption. Et les mesures proposées par le parquet me semble de nature à briser ce lien dès le commencement… Rien de ressemble moins à l’adoption internationale que le fa’a’amu et c’est tant mieux. »

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1 Commentaire

  1. Microstring
    21 février 2021 à 16h32 — Répondre

    Rappelons un principe de base dans la société polynésienne : le faa’amu se pratique ici et pas ailleurs…

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