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Affaire Kerviel: pour le parquet, la Société générale n'a pas droit à des dommages-intérêts

Versailles (AFP) – « Ça fait huit ans que j’attends ça. » Au terme d’un énième round d’une saga judiciaire à rebondissements Jérôme Kerviel ne cache pas sa satisfaction: le parquet vient d’estimer vendredi que la Société générale n’a pas droit aux dommages-intérêts faramineux qui lui avaient été initialement octroyés.

La banque a « commis des fautes civiles, distinctes et de nature différente des fautes pénales de Jérôme Kerviel, qui apparaissent suffisantes pour entraîner la perte totale de son droit à réclamer une compensation intégrale de ses pertes », a estimé dans ses réquisitions, devant la cour d’appel de Versailles, l’avocat général Jean-Marie d’Huy. « Ainsi je sollicite de votre cour le rejet de la demande de dommages et intérêts formulée par la Société générale. » Depuis 2008, la Société générale réclame à son ex-trader 4,9 milliards d’euros en réparation de son préjudice.

En entendant l’avocat général, Jérôme Kerviel n’en a « pas crû (ses) oreilles ». « Aujourd’hui, ce qui compte le plus pour moi, c’est la vérité », a-t-il cependant ajouté, invité à s’exprimer une dernière fois. Il a ainsi demandé à ses avocats de maintenir malgré tout sa requête, évoquée dès jeudi par la défense: il veut une « expertise financière » permettant de déterminer en toute transparence l’étendue du préjudice subi par la banque et, partant, des responsabilités de chacun.

Cela pourrait sembler « une aberration », mais « la victoire, ça n’est rien à côté de cette expertise financière », a plaidé David Koubbi, avocat de M. Kerviel. Pour lui, elle est « une chance historique de savoir ce qui s’est passé dans ce dossier » que la défense juge « truqué » depuis l’origine, comme elle l’a avancé pendant ces trois jours de procès.

La Société générale a aussitôt réagi au revirement inattendu du parquet: « Nous sommes surpris par les réquisitions de l’avocat général qui ne reflètent ni les trois jours d’audience, ni les précédentes procédures devant le tribunal correctionnel et la cour d’appel ». Et d’ajouter dans un communiqué qu’elle avait « toujours reconnu les faiblesses et négligences de (ses) systèmes de contrôle (…), mais ce sont les agissements frauduleux de Jérôme Kerviel qui les ont mis en échec ».

– Le risque du « trader voyou » –

La Cour de cassation a confirmé en 2014 la condamnation à la prison de Jérôme Kerviel pour abus de confiance, faux et fraudes, mais cassé le volet civil, c’est-à-dire les dommages-intérêts initialement octroyés à la banque. Argument de la plus haute juridiction française: le géant bancaire a failli dans ses mécanismes de contrôle et ne peut donc prétendre à un dédommagement couvrant intégralement les pertes imputées à l’ex-trader.

« La Société générale n’a pris aucune mesure pour se prémunir, comme le lui impose la réglementation, du risque du +trader voyou+ ou +rogue trader+ », a estimé Jean-Marie d’Huy dans son réquisitoire.

Dans sa plaidoirie, Jean Veil, un des avocats de la banque, avait, lui, insisté sur le « préjudice considérable » causé par Jérôme Kerviel à la banque, mais aussi « aux salariés » qui « ont perdu leurs bonus et une partie de la valeur de leurs actions » dans cette affaire.

Si la cour d’appel devait suivre l’avocat général, il ne s’agirait pas seulement d’une retentissante défaite symbolique pour la banque, qui de toutes façons ne pouvait espérer que Jérôme Kerviel lui verse la somme astronomique de 4,9 milliards. L’enjeu est aussi fiscal.

Le géant bancaire a en effet touché près de 2,2 milliards d’euros de l’Etat au titre d’un régime fiscal accordé aux entreprises déficitaires et victimes de fraude. Mais Bercy a déjà laissé entendre que ce bonus fiscal pourrait être remis en cause si la justice épinglait des défaillances dans les mécanismes de contrôle.

Jérôme Kerviel, brièvement incarcéré après sa mise en examen en février 2008, n’est plus sous bracelet électronique depuis juin 2015. Il a connu la semaine dernière son premier succès judiciaire: le conseil de prud’hommes de Paris a condamné la banque à lui payer quelque 455.000 euros, estimant qu’il avait été licencié « sans cause réelle ni sérieuse » et dans des conditions « vexatoires ».

Le délibéré de la cour d’appel de Versailles est attendu le 23 septembre.

Jérôme Kerviel (D) et son avocat David Koubbi à leur arrivée le 15 juin 2016 au tribunal à Versailles. © AFP

© AFP DOMINIQUE FAGET
Jérôme Kerviel (D) et son avocat David Koubbi à leur arrivée le 15 juin 2016 au tribunal à Versailles

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