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Affaire Sarah Nui : petits mensonges entre amis

Au deuxième jour du procès de l’affaire Sarah Nui les auditions se sont poursuivies. Parmi celles-ci de nombreux intermédiaires, plus ou moins consommateurs d’ice avec tous un point commun : des pertes de mémoire soudaines à la barre. Les peines requises vont de 2 à 8 ans de prison ferme. La journée de jeudi sera consacrée aux plaidoiries de la défense. 

 La drogue, on le sait, cause quelques perturbations sur les neurones et la mémoire. Ceux qui en doutaient en ont eu la preuve ce mercredi matin au tribunal. Entre les dépositions lors de leur arrestation et leur prise de parole à la barre, peu se rappelaient leurs déclarations chez le juge d’instruction. Jouant l’étonnement ou l’outrage quand le juge leur rappelait leur déposition, certains avouaient avoir menti, quand d’autres certifiaient avoir subi des pressions de la part du magistrat. Quoiqu’il en soit, difficile de démêler le vrai du faux, et le seul moyen pour les juges est de multiplier les questions à la barre afin de mettre le prévenu sous pression et face à ses contradictions.

Par exemple Jérôme Picard, 55 ans, mécanicien de profession. Surnommé « Brad » et interpellé en avril 2019, il apparaît dans diverses déclarations comme intermédiaire, revendeur d’ice et consommateur. « Oui et non » indique-t-il, précisant « À l’époque je consommais un dix mille par semaine, (…) mais je n’ai jamais servi d’intermédiaire. »  Bien que mis en cause par Bruno Tupuai dit « Tatoo » comme étant son fournisseur d’ice – au moins 200 grammes, ce que confirmera Tatoo à la barre – Picard nie. « C’est faux, je n’ai jamais vendu. Personne ne me donne quelque chose à vendre, M. le Président, j’ai un travail. » Devant le juge Bonifassi qui lui rappelle ses déclarations antérieures, Picard s’embrouille et zozote : « C’est peut être arrivé une fois, j’ai du vendre deux fois cinq grammes. Vous savez l’affaire remonte à longtemps, je ne m’attendais pas à être ici aujourd’hui. Moi à cette période je suis en vacances. » Et quand le juge lui fait remarquer que son nom apparaît souvent dans les déclarations d’autres protagonistes de l’affaire, Picard, un brin fataliste, explique : « On me charge parce que j’ai le dos large, trop gentil. » Explication qui ne satisfait pas le juge : « Ils ont peut-être peur de vous parce que vous êtes proche d’Alfonsi ». Pas de réponse.

« L’argent c’était pas pour acheter des bonbons Haribo »

Au sujet de ses relations avec Tamatoa Alfonsi, il reconnaît lui avoir envoyé à deux reprises 50 000 Fcfp par mandat au Mexique : « C’était pour l’aider, il pleurait. » À la question du juge, « Vous attendiez quelque chose de sa part ? » Picard répond, sûr de lui : « Vous savez, avec lui il ne faut jamais espérer. C’était lui qui avait besoin de moi, pas moi. ». Le juge : « Vous saviez pourquoi il avait besoin d’argent ? » « C’est Alfonsi, répond Picard, et il est au Mexique. L’argent c’était pas pour acheter des bonbons Haribo. Et puis ce n’est pas avec 50 000 Fcfp qu’il allait inonder la Polynésie en ice. » Un peu plus tard il déclarera, « En Polynésie, il a un avant Sana (surnom d’Alfonsi) et un après Sana. Avant c’était gentillet. » Il reconnaît toujours consommer de l’ice, « c’est de manière festive », dit-il avec une petite lueur de malice dans l’œil. Mais quand le procureur de la République Yann Hausner déclare que les écoutes téléphoniques montrent qu’il est en contact avec plusieurs personnes à la tète du réseau de revendeurs, dont Tatoo et William Oti, et qu’il faisait l’intermédiaire pour de grosses quantités, la petite lueur dans l’œil s’éteint, et son visage s’assombrit.

Jacob Tutavae, « le boss de Nuutania »

Autre personnage, Jacob Tutavae dit « Coach ». L’instituteur de 34 ans et ancien sélectionneur de l’équipe de futsal de Tahiti n’en mène pas large à la barre. S’il a assuré, selon nos confrères de Tahiti Infos, avoir «été acclamé à son entrée à Nuutania» et «être le boss» lors de son incarcération, c’était selon lui « pour rassurer ses enfants ». D’après lui ses premiers pas dans la drogue se sont faits d’abord comme intermédiaire puis comme consommateur « festif ». Il a été interpellé en août 2018 et mis en cause par Francis Tarano et Bruno Tupuai dit « Tatoo » pour, a minima, des deals portant sur 600 grammes d’ice au total. S’il reconnait avoir fait l’intermédiaire, il nie avoir vendu de l’ice.

D’après lui, il est tombé dans l’engrenage de l’ice, suite à la maladie de sa grand-mère qui nécessitait une évasan en métropole, pour payer un billet d’accompagnatrice à sa sœur. Il aurait demandé de l’argent à Tarano, qu’il connaissait par le biais du futsal. Celui-ci lui aurait dit oui à condition qu’il fasse l’intermédiaire pour lui, c’est-à-dire qu’il trouve quelqu’un qui aurait de l’ice en vendre en bonne quantité. Tarano lui donne donc un sac contenant 9 millions de Fcfp que « Coach » aurait confié à deux de ses connaissances, pour qu’ils lui ramènent de l’ice. Il n’en aurait jamais vu la couleur. C’est comme cela que lui serait venue l’idée de travailler pour Tarano, afin de le rembourser.

« Ma vie a été détruite à cause des médias »

« Votre mobile pour vendre de l’ice, c’était pour rembourser Tarano ? », intervient le juge Léger. « Comment cela devait se passer ? Comment alliez-vous le rembourser ? ». Réponse de Tutavae : « Je pensais qu’en lui rendant service, il allait éponger mes dettes. On n’a pas fixé de date. Il n’y avait pas de contrat. » Il reconnait que « c’est idiot d’avoir choisi cette solution, (…) ce trafic a détruit ma vie de famille, pas par ce que j’ai fait mais pour ce que les médias ont raconté. » Et d’expliquer qu’à cause des médias, sa femme a cru qu’il avait caché des armes dans la maison, de la drogue, qu’elle avait fait une tentative de suicide et qu’elle l’avait quitté. Dans sa diatribe, il avait juste oublié un petit détail que vont lui rappeler les juges. Il avait une maîtresse et il lui avait offert des billets d’avion avec l’argent de l’ice.

L’amant, la femme et l’ex concubin

La palme de l’histoire la plus « abracadabrantesque » revient sans aucun doute à Turaina Guy, à la fois maîtresse de Tane Hopu, un franco-américain, et ex concubine de Fetia Ogier, tous deux parmi les prévenus. Tane Hopu a un profil intéressant pour qui désire se lancer dans le business. Double nationalité, il fait de nombreux voyages au Mexique, à Tijuana notamment ou il reconnait avoir rencontré « une ou deux fois Tamatoa Alfonsi (…), c’était un ami, je le connais depuis 10 ans ». Un ami avec lequel, depuis, il aurait coupé les ponts car « il était recherché et je ne voulais pas avoir d’histoire ».

L’homme possède de nombreux comptes en banque à Tahiti, aux USA et en Nouvelle-Zélande, sur lesquels de coquettes sommes ont été déposées. Entendu en premier, il a adopté une ligne de défense qui irritera fortement le juge Bonifassi : il nie tout. Toutes ses déclarations au juge d’instruction auraient été faites sous la pression et la menace. Ainsi,  alors qu’il a déclaré avoir recu de l’ice d’un certain « Elton » rencontré à Honolulu et qui a fait le voyage à Tahiti pour lui amener 60 grammes d’ice, il revient sur ses déclarations. « Je n’ai jamais eu de produit. » Lors des perquisitions à ses domiciles on a retrouvé 2,7 millions  de Fcfp en liquide et un pot d’ice cream rempli de cannabis.

Sa maîtresse, Turaina Guy, qui n’est pas une novice dans le domaine vu qu’elle a été condamnée dans le cadre de l’affaire « Vahine Connection » en 2008, a indiqué lors de sa présentation devant le juge d’instruction que Tane Hopu l’avait chargée de vendre l’ice provenant du fameux Elton. Déclaration sur laquelle elle reviendra à la barre, chargeant le surfeur Adam D’Esposito découvert mort au Mexique en septembre 2018. Celui-ci était bien connu des surfeurs locaux puisqu’il venait souvent à Teahupoo. C’était un surfeur de gros qui avait quelques problèmes d’ordre psychologique.

Une relation toxique

Au milieu de tout cela, il y a Fetia Ogier, l’ex concubin de Turaina. Il reconnaît avoir vendu de l’ice pour le compte de son ex. « Un amour destructif » déclarera t-il à la barre. Il l’avait quitté après avoir appris sa liaison avec Hopu, et elle lui aurait fait du chantage pour qu’il continue à vendre de l’ice pour elle.  « Elle m’a dit que si je ne continuais pas à vendre, elle dirait tout à la police et je ne verrais plus mes enfants ». Au total il aurait vendu environ 140 grammes d’ice.

L’un des rares avec Fetia Ogier a avoir tout reconnu, c’est Bruno Tupuai dit Tatoo. L’homme tatoué jusqu’au cou et aux lobes d’oreilles percés a le port digne et la parole franche.  Il reconnait sans difficulté son implication dans le trafic, avoir servi d’intermédiaire, avoir acheté de l’ice à Tarano, et aussi acheté entre 300 et 500 grammes à Picard et Tutavae.

Les peines requises par le procureur de la République 

Au moment d’attaquer les réquisitions, le procureur Yann Hausner précise : « De mémoire, je ne me souviens pas d’avoir étudié un dossier avec autant de quantité d’ice. Ce ne sont pas des petits vendeurs. En plus, il y a des armes, et qui ne sont pas factices. » Pour lui, Francis Tarano est l’élément central de cette affaire, la pièce maîtresse. « Tarano n’est pas un consommateur. C’est un grossiste prudent qui passe par des intermédiaires pour ne pas être en contact avec des fournisseurs et s’entoure de petits revendeurs. On peut estimer à 3 kilos la quantité d’ice passée entre ses mains et un montant estimé à 90 millions sur deux ans et demi qu’a duré le trafic ».

Ainsi pour Francis Tarano, il requiert 8 ans de prison avec une amende douanière de 300 millions.

Pour William Oti dont le procureur estime qu’il a écoulé plus d’un kilo d’ice, il réclame 6 ans de prison ferme, et une amende douanière de 130 millions

Pour Thomas Buchin, « l’armurier, le gros bras qui avec son complice Oti agit avec violence », 5 ans avec mandat de dépôt et une amende douanière de 50 millions.

Pour Mélanie Pan Si-Iotua dite « Patrona », « qui participe pleinement et activement au trafic et dont sa comptabilité prouve que le trafic lui a rapporté 12 millions » 5 ans avec mandat de dépôt et 83 millions d’amende douanière..

Pour Jacob Tutavae, « qui au lieu de faire son mea culpa accuse la presse de tous ses maux », cinq ans avec mandat de dépôt.

Pour Tane Hopu « qui était en lien avec un certain Guzmann soupçonné d’appartenir à un cartel mexicain suite à des conversations que l’on a relevées sur Messenger », cinq ans avec mandat de dépôt et éventuellement saisie de tous ces biens immobiliers.

Pour Jérome Picard, « décontracté à la barre, qui minimise ses fautes et qui a fourni au minimum 400 grammes d’ice  », 5 ans de prison avec mandat de dépôt.

Pour Osman Tuihani, qui « participe comme intermédiaire et revendeur pour des transactions portant sur plus d’un kilo », 5 ans avec mandat de dépôt et entre 80 et 100 millions d’amende douanière.

Pour Bruno Tupuai, « qui reconnait sa participation et qui n’a pas varié dans ses déclarations, on peut le mettre à son actif », 4 ans de prison.

Pour Daniel Rey , 4 ans de prison avec mandat de dépôt et 90 millions d’amende douanière.

Pour Turaina Guy, qui «n’est pas crédible un seul instant et qui a inventé l’histoire du surfeur pour dédouaner Hopu », 3 ans avec mandat de dépôt et 29 millions d’amende douanière

Pour Fetia Ogier, « qui a accepté d’écouler de l’ice pour sa concubine », 2 ans de prison.

Pour Mauarii Alves, « qui est un gros consommateur et qui a vendu environ 85 grammes d’ice », 2 ans dont six mois avec sursis.

Pour Léon Teihotaata, « petit revendeur », 2 ans dont un avec sursis.

 

 

 

 

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2 Commentaires

  1. poni
    3 octobre 2019 à 13h45 — Répondre

    ca fait froid dans le dos..

    il faut éradiquer ce fléau et ces bandes de C.qui ont oser et se croient au dessus

    vu leur nombre, leur origine et leur classe sociale, ca fait encore plus peur..

    de la vrai racaille , des manipulateurs,
    des empoisonneurs , des criminels quoi!

    appelons un chat , un chat

    allez messieurs les juges, aucune circonstance atténuante

    la sanction mérite d’être ferme et exemplaire!

  2. DT
    8 octobre 2019 à 9h26 — Répondre

    Il serait temps que les réquisitions du parquet soient respectées car c’est un Fléau.

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Affaire Sarah Nui : petits mensonges entre amis