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Au Pakistan, pas facile d'être femme, chrétienne et haltérophile

Lahore (Pakistan) (AFP) – Twinkle et Sonia ont les épaules solides: ces deux jeunes chrétiennes championnes de powerlifting soulèvent avec aisance haltères et poids, malgré les lourdes discriminations que subit leur communauté au Pakistan.

L’an dernier, Twinkle Sohail est devenue la première femme à représenter le Pakistan lors d’une compétition de powerlifting, un sport proche de l’haltérophilie dans lequel on soulève le poids le plus lourd possible en position allongée, fléchie ou debout.

Elle a remporté la médaille d’or pour les juniors de moins de 57 kilos lors d’un championnat asiatique de powerlifting, appelé aussi « force athlétique ». Le lendemain, son équipière Sonia Azmat a remporté une deuxième médaille d’or pour le Pakistan, dans la catégorie -63 kg.

Ce doublé historique est une rare source d’optimisme pour la communauté chrétienne pakistanaise, fréquemment ciblée par des attentats islamistes, comme celui de Lahore qui a fait 75 morts à Pâques.

Les chrétiens pakistanais sont en outre souvent cantonnés à des emplois ingrats, comme le traitement des déchets, l’entretien des égouts ou le ménage, et vivent sous une épée de Damoclès: une loi controversée punissant de mort le blasphème.

Mais Twinkle et Sonia, 19 ans chacune, inspirent toute une génération depuis leur triomphe à Mascate l’an dernier face à douze autres pays — amplifié par une troisième médaille d’or, remportée par une co-équipière musulmane, Shazia Kanwal.

Le Pakistan, pays de cricket, va apporter un soutien plutôt rare en finançant une nouvelle participation des deux jeunes femmes aux championnats d’Asie en octobre à Tachkent (Ouzbékistan).

Celles-ci visent encore plus haut: le championnat du monde de powerlifting l’an prochain à Orlando, en Floride.

– Deux fois plus dur –

Le chemin aura été long depuis les ruelles tortueuses des modestes quartiers chrétiens de Lahore où elles habitent.

Twinkle, qui a débuté comme cycliste, a été repérée au gymnase où elle s’entraînait.

Elle et Sonia « étaient les meilleures », assure leur entraîneur Rashid Malik, lui aussi médaillé régional, en veillant sur ses championnes tandis qu’une des coupures d’électricité quotidiennes plonge subitement la salle de sport dans le noir.

Pour atteindre les podiums, Twinkle souligne qu’elle et son équipière ont dû travailler plus dur que leurs homologues musulmanes: « A l’école comme dans le sport, on doit travailler deux fois plus si l’on veut obtenir de meilleures places que la majorité musulmane », souligne-t-elle. 

Sonia, dont le père a abandonné sa famille tandis que la mère cumulait plusieurs emplois pour faire vivre les siens, se souvient d’avoir regardé avec envie de jeunes athlètes s’entraînant au Stade Railway à Lahore.

Tous les jours, elle les voyait s’échauffer alors qu’elle se préparait pour aller travailler à l’usine. « Je voulais aller avec elles, mettre des chaussures de sport comme elles, et faire la même chose qu’elles », raconte-t-elle à l’AFP. 

– Eclairer la voie –

C’est désormais à son tour et à celui de Twinkle, dont le nom signifie « étincelle » en anglais, d’éclairer la voie.

Avant elles, d’autres chrétiens pakistanais se sont illustrés dans le sport, en hockey, athlétisme et cricket — l’un des plus fameux étant l’ancien capitaine de l’équipe pakistanaise de cricket Yousaf Youhana… même s’il s’est ensuite converti à l’islam.

Mais Sonia et Twinkle sont des femmes, jeunes qui plus est, deux autres facteurs qui jouent contre elles dans cette société très conservatrice et patriarcale. Et malgré tous ces obstacles, elles remportent des victoires…

« Une médaille d’or, ce n’est pas ordinaire, ni habituel. Elles ont vraiment fait très fort! », souligne Shetal Asif, une autre chrétienne qui aspire à pratiquer l’haltérophilie au niveau international et dont les soeurs et les cousines sont également tentées par les sports de force.

« Les exploits de Twinkle et Sonia ont redonné de l’espoir aux jeunes sportifs chrétiens et vont donner envie à plus de jeunes d’aller à la conquête de lauriers pour leur pays et de respect pour eux-mêmes », estime un militant chrétien, Shamaun Alfred Gill.

Hira Arshad, qui fréquente la même école que Twinkle, souligne que cette dernière n’est pas seulement une source d’inspiration pour les chrétiens mais aussi pour les femmes.

« Depuis le succès de Twinkle, chaque fille veut se lancer pour sa gloire personnelle et celle du pays », affirme la jeune fille, qui se dit elle-même inspirée. « Je suis musulmane mais je suis impressionnée par son exploit, et il y a d’autres filles musulmanes et chrétiennes qui le sont aussi et qui veulent faire du sport à un niveau international ».

Nombre d’entre elles demandent conseil à Twinkle et Sonia, racontent les deux championnes. « Je leur dis +vas-y, travaille dur+ », dit Sonia. « Et tire le Pakistan vers le haut! »

Sonia, une chrétienne pakistanaise championne de powerlifting s'entraîne à Lahore, au Pakistan, le 26 mai 2016. © AFP

© AFP AAMIR QURESHI
Sonia, une chrétienne pakistanaise championne de powerlifting s’entraîne à Lahore, au Pakistan, le 26 mai 2016

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