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Au Tavini, Moetai Brotherson « le petit plus qui manquait » pour gagner


La candidature du député à la présidence du Pays a créé des dissensions chez les bleu ciel. Mais devant 2500 à 3000 militants au Motu Ovini, tous les leaders, Tony Géros en tête, ont appelé à se ranger derrière lui. Le projet indépendantiste n’est pas oublié, Oscar Temaru continuera à le porter, mais Moetai Brotherson doit « fédérer » au delà du Tavini et appliquer un programme « réaliste » à la présidence du pays. Au maire de Paea les rênes de l’assemblée. 

La foule, les drapeaux et les déclarations enflammées n’ont jamais vraiment manqué dans les congrès du Tavini. Mais ce samedi, au Motu Ovini, régnait une ambiance particulièrement optimiste à moins d’un mois du premier tour des territoriales. « Ça fait dix ans qu’on attend », répètent les cadres et les militants, entre 2500 et 3000 à s’être rassemblés sur les bords de la baie de Vaitupa. Les résultats des législatives et la division du camps autonomiste laissent entrevoir à tous la victoire, et pourtant, ce congrès devait aussi être l’occasion d’apaiser des tensions palpables dans le parti. Des « troubles » qui ont pour origine la déclaration de candidature à la présidence du Pays de Moetai Brotherson, la semaine dernière, prématurée pour beaucoup, illégitime pour d’autres, inattendue, dans la forme, par presque tous. Cet « émoi », le député le « comprend ». Sa sortie a « pu choquer », mais face à une « tendance au Tavini à retarder le processus décisionnel », il a voulu avancer, « secouer le cocotier » explique-t-il.

Moetai « n’est pas tout à fait comme nous »

Et la réaction la plus attendue à cette secousse, c’était bien sûr celle de Tony Géros, autre candidat potentiel – et légitime, vu son expérience – aux plus hautes fonctions du Pays, qui, après une explication en conseil fédéral cette semaine, a insisté sur la nécessité de l’unité des bleu ciel. L’appel aux militants est clair : mettre de côté les dissonances pour se concentrer sur l’objectif premier : « gagner les élections ». L’ancien président de l’assemblée l’assure : après avoir, pendant une décennie, observé les décisions, les solutions apportées par les autonomistes aux « problèmes de la Polynésie », c’est un Tavini « aguerri », qui se se présente « pour reprendre sereinement les affaires du Pays en main ». Quant au choix, pour la présidence, de son ancien directeur de cabinet, avalisé par le président et fondateur du mouvement, Tony Géros l’accepte, « bien sûr ». « Au delà de la dissension qu’il y a eu au départ quand il fait son effet d’annonce, on peut reconnaitre que Moetai, même s’il n’est pas tout à fait comme nous dans sa façon de faire de la politique, il fédère, précise le maire de Paea. Beaucoup de personnes qui ne sont pas au Tavini apprécient sa façon de parler, apprécient ses idées, et rien que ça, ça nous donne le petit plus qui nous manque ».

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Pas question, donc, de laisser monter le conflit de générations au sein du Tavini. Ceux qui savent réunir des gens sur le terrain et ceux qui savent mobiliser sur les réseaux sociaux doivent agir de concert, insiste en substance Tony Géros. Moetai Brotherson, de son côté, sait aussi qu’il devra s’appuyer sur l’ancien président de l’assemblée, « qui aurait été aussi un excellent candidat » pour l’avenue Pouvana, mais qui briguera de nouveau la tête de Tarahoi. « En tant que président du gouvernement, j’ai besoin de quelqu’un de costaud à l’APF, quelqu’un qui est plus expérimenté que moi dans la chose administrative et qui va pouvoir, je vais pas dire me tirer les oreilles, explique-t-il. C’est pas parce que demain je serai président du gouvernement que je saurais tout mieux que tout le monde. J’ai besoin qu’il y ait des gens à l’APF qui m’appellent de temps en temps pour me dire : là tu déconnes ». Oscar Temaru,qui ne s’est que peu exprimé samedi, garde la tête de sa section sur la liste, celle du parti et « mène la campagne ». La question de son successeur – ou plutôt de la « relève » – sera bien abordée au Tavini, assure Tony Géros : « mais on va d’abord gagner les élections, après on verra ».

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« Ça n’est pas dans notre culture de couper des têtes »

À la tribune du Motu Ovini, les orateurs se succèdent, avec, entre autres, des prestations remarquées et enflammées des jeunes parlementaires Steve Chailloux et Tematai Legayic. Mais en tant que prétendant à la présidence, c’est à Moetai Brotherson qu’est revenue la laborieuse tâche de présenter le programme du parti. Un programme axé sur l’assainissement des institutions – moins de ministres et de dépenses ministérielles, plus de textes issus de l’assemblée et de référendum locaux, des enseignements plus cohérents avec l’histoire et la place de la Polynésie dans sa région – sur le  développement du fenua – participation du pays à la gestion de l’aéroport, construction de logements sur des terres domaniales, base de carénage à Hao… – et sur la justice sociale et fiscale – plus de contrôle des marges et des prix, fiscalité moins lourde et moins complexe pour les petites entreprises, réforme de la CST qui pèserait davantage sur les hauts revenus. Des divergences de fond restent pourtant bien visibles au sein du parti, par exemple sur le devenir de la « TVA sociale ». Quand Moetai Brotherson annonce à la tribune que, malgré la difficulté, il fallait supprimer cette Contribution pour la solidarité, Tony Géros « laisse ces propos à la jeunesse d’une personne qui va prendre les affaires du Pays en main ». Du haut de son « vécu », il explique que le déficit des caisses sociales impose de maintenir ces 9 milliards de francs de retraite, au moins temporairement.

Ce programme reste quoiqu’il arrive moins révolutionnaire que celui qu’avait pu défendre le Tavini ou l’UPLD par le passé. « Le passage à l’exercice du pouvoir a remis un peu les pendules à l’heure » note Moetai Brotherson, qui parle d’une cure de « réalisme ». Entre la promesse d’éviter toute purge dans l’administration, ou celle d’intégrer la minorité et la société civile au gouvernement, le député a voulu rassurer bien au delà des militants du parti. « Rassurer, ça n’est pas le mot que j’utiliserais, mais préciser notre vision des choses et la manière dont on voudrait gouverner, explique-t-il. Parce que très souvent on nous prête des intentions qui n’ont jamais été les nôtres. Ce n’est pas dans notre culture de couper des têtes ou de faire de la chasse aux sorcières. Évidemment, si quelqu’un ne veut pas travailler avec nous, il ne veut pas, il faut le changer… ».

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L’indépendance au programme, mais pas en son centre

Rassurer, pourtant, c’était bien l’objectif en ce qui concerne la lutte pour la souveraineté, ADN du Tavini mais qui semblait passer au second plan lors de ce congrès. « Il n’y a aucun doute, je suis et on est indépendantiste », précise Moetai Brotherson, mais « on n’imposera jamais l’indépendance ». Le candidat à la présidence promet d’ailleurs, malgré certaines demandes assez fermes adressées à l’État – sur le nucléaire, bien sûr, mais aussi sur la revendication culturelle, et le « respect » des institutions du Pays – de travailler « sur tous les sujets » avec le gouvernement central. Lui sera « le président de tous les Polynésiens », et pas seulement de ceux qui souhaitent la pleine souveraineté de Maohi Nui. Y’a-t-il un double discours au Tavini, comme le pointent fréquemment les partis autonomistes ? On peut le penser vu les déclarations, pas si anciennes d’Oscar Temaru pour qui le retour du Tavini aux manettes, après la réinscription, signifierait l’adhésion complète du peuple au projet indépendantiste.

« Je convient que notre leader historique a une manière de s’exprimer qui est parfois un peu cryptique, nuance le député, dont l’élection à la présidence devrait provoquer une législative partielle. Entre nous on l’appelle le sphynx ». À l’entendre, l’enjeux de ces territoriales est bien de prendre les manettes de la Polynésie française. Quand au processus d’autodétermination, il se poursuivra de manière « paisible », sous l’égide de l’Onu et en discussion avec l’Etat. La victoire des bleu ciel aux territoriales devrait tout de même changer la donne de ce côté là : « Avec l’exécutif qui parle de concert avec le Tavini, ils ne pourront plus dire ‘vous êtes pas d’accord entre vous’ « , précise Moetai Brotherson.