ACTUS LOCALESSANTÉ

Bras de fer entre le Pays et l’État sur la quatorzaine à domicile

Le Conseil constitutionnel a jugé en début de semaine que les voyageurs devaient avoir le choix d’une quatorzaine chez eux ou en structure dédiée.  Pourtant, le conseil des ministres a décidé de maintenir son protocole sanitaire pour les arrivées au fenua, qui impose une quatorzaine dans les sites gérés par le Pays. L’arrêté adopté est fragile juridiquement, convient le ministre de la Santé Jacques Raynal, mais « indispensable ». 

Quel protocole pour les arrivées au fenua ? Une chose est sûre : qu’ils soient résidents, étudiants, fonctionnaires mutés, tous les voyageurs doivent et devront présenter un test Covid-19 négatif (ou une preuve de contamination ancienne avec disparition des symptômes) pour embarquer vers Tahiti. Avant de rester isolés au minimum 14 jours, à leur arrivée, le temps de vérifier s’ils ne développent pas la maladie. Si ces termes sont acceptés par tous, un débat s’est installé entre Paris et Papeete, sur l’endroit où cette quatorzaine doit être effectuée.

Depuis la mise en place des vols de continuité territoriale, les résidents rapatriés sont systématiquement dirigés vers des « sites dédiés ». À savoir les appartements du centre d’hébergement des étudiants de Outumaoro, ou d’autres logements mis à la disposition du Pays, dans la zone urbaine de Papeete ou dans les environs de Taravao… Quoiqu’il arrive, des centres gérés directement par les autorités. Et c’est la formule que souhaite continuer à appliquer la Polynésie dans les semaines à venir. Elle vient d’ailleurs de renforcer ses capacités d’accueil, en signant une convention avec les hôtels Manava de Punaauia et Tahiti Pearl Beach Resort de Arue. Aujourd’hui, le Pays dispose de 369 chambres pour loger jusqu’à 680 personnes, avec des extensions possibles, comme le précise le ministre de la Santé Jacques Raynal.

Le confinement général, la faute aux quarantaines à domicile ?

Le conseil des ministre a confirmé hier qu’il souhaitait continuer dans cette quatorzaine très stricte, en adoptant un nouvel arrêté portant mesures nécessaires à l’entrée en Polynésie Française. Le texte précise bien que seuls les personnels navigants et les professionnels de santé sont autorisés à effectuer leur quatorzaine à domicile. Une possibilité qui avait été plus largement laissée à tous les arrivants entre le 16 et le 28 mars, avant la suspension du trafic international. Et à entendre Jacques Raynal cette expérience a laissé un mauvais souvenir. « L’évolution de la maladie et du nombre de cas au fenua ont été liés à la contamination de personnes positives rentrées de voyage et n’ayant pas respecté strictement leur quarantaine » pointe le ministre de la Santé. Cette progression aurait elle-même « entraîné de fait la mise en confinement de toute la population, avec les conséquences sociales et économiques que nous connaissons ».

Lors de la mise en place des vols de continuité territoriale, début avril, le Pays avait donc installé une procédure plus sévères, hors du domicile. « C’était la seule solution pour ne pas revenir à des mesures plus strictes de confinement », explique Jacques Raynal. Aucun doute, le maintien de ces mesures « qui ont démontré leur efficacité » est « indispensable ». Sauf que la question a aussi été débattue à Paris, où elle n’a pas été tranchée de la même façon.

Conseil constitutionnel contre conseil scientifique

Dans un projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, les élus nationaux avaient pourtant prévu une obligation de quarantaine en site dédié pour les personnes se déplaçant vers l’Outre-mer. Mais la mesure fait partie de celles qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel en début de semaine. Faisant référence à l’article 66 de la Constitution, qui prohibe toute détention arbitraire en France, les Sages avaient alors orienté la loi vers une quarantaine plus souple, pouvant « se dérouler, au choix des personnes qui en font l’objet, à leur domicile ou dans les lieux d’hébergement adaptés ». C’est ce que dispose finalement le texte adopté par le Parlement le 11 mai… Et qui « s’applique à la Polynésie » comme le reconnait Jacques Raynal. Même si ça n’était pas le cas, les interprétations des principes constitutionnels par les juges du Palais-Royal doivent être appliqués dans tous les textes de l’État comme dans ceux des collectivités, si autonomes soient-elles.

Si le Pays a choisi, en toute connaissance de cause, de passer outre ce « choix » laissé aux voyageurs, c’est parce qu’il estime que la mesure « mettrait à terre tous les efforts demandés à la population depuis deux mois » et aboutirait « inévitablement » à la réintroduction du Covid-19 au fenua, insiste le ministre de la Santé. Face aux éminents juristes du Conseil constitutionnel, il oppose les avis des experts du Conseil scientifique national, qui se sont, eux, clairement exprimés pour la quarantaine hors du domicile.

Le Pays sait son arrêté fragile juridiquement. Les autorités ont déjà laissé sortir prématurément de quatorzaine une rapatriée qui menaçait d’un recours, et deux autres demandes en référé, basées sur la décision du Conseil constitutionnel, doivent être étudiées ce vendredi par le tribunal administratif. Et si les prochains rapatriés – ils pourraient être jusqu’à 300, au total, à arriver dans les Paris – Tahiti du 20 et du 30 mai – attaquaient à leur tour leur confinement hors domicile ? « On verra ce qui se passe », répond le ministre de la Santé. Le Pays brandira devant le juges « l’objectif constitutionnel de protection de la Santé » mais espère surtout « une solution acceptable » venu de Paris. Qui « prendrait en compte les spécificités géographiques », insiste taote Raynal. Selon la règle édictée par le Conseil constitutionnel, un habitant des Marquises ou d’un autre archipel éloigné jamais touché par le Covid-19 pourrait rentrer chez lui dès son retour de métropole pour se confiner à domicile. « Inenvisageable » pour le médecin du gouvernement.

Procédure calédonienne

L’espoir pourrait venir de la procédure menée actuellement par trois parlementaires de Nouvelle-Calédonie. La collectivité du Pacifique conteste elle aussi certaines dispositions de la loi d’urgence nationale, notamment sur les quarantaines à domicile. Après avoir échoué à se faire entendre du Conseil constitutionnel, les parlementaires ont demandé au Premier ministre de saisir le Conseil d’État. L’objectif : faire reconnaître la compétence de la Calédonie en matière de quarantaine. Et pourquoi pas, au passage, celle de la Polynésie.

 Compétences croisées, communication troublée

Derrière ce bras de fer juridique existe aussi un chevauchement de compétences. Le Pays s’abrite derrière sa « pleine compétence » en matière de santé pour décider des règles de quatorzaine, qui ont évidemment un objet sanitaire. Mais l’obligation de ne pas se déplacer, qui plus est, de rester hors de son domicile, relève des libertés publiques, qui sont du ressort exclusif de l’État. Raison pour laquelle les arrêtés individuels d’isolement pris par le Haussaire font référence aux dispositions du code de la santé publique national plutôt qu’aux arrêtés adoptés en conseil des ministres à Papeete. Jusque-là discret, en raison de la concertation continue entre l’État et le Pays, le conflit de compétences éclate désormais au grand jour. Le Haut-commissaire déclarait mardi, aux côtés d’Édouard Fritch, que la quatorzaine pourrait se faire à domicile. Dès le lendemain, le président signait un arrêté prévoyant le contraire. Difficile, après ça, de dire, comme Jacques Raynal que « les choses se passent bien » dans la relation entre l’État et le Pays. « Il n’y a pas de rupture, il y a seulement une approche un peu différente sur la façon de prévenir l’arrivée du virus », admet le ministre de la Santé.

 

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7 Commentaires

  1. Jean SAIRIEN
    15 mai 2020 à 8h17 — Répondre

    On ne pourra pas éternellement rester avec nos frontières fermées. La seule solution est de tester tous les voyageurs régulièrement et les mettre en quarantaine stricte UNIQUEMENT lorsqu’ils sont positifs. L’économie ne s’en relèvera pas autrement, c’est une évidence.

  2. Heitaô
    15 mai 2020 à 8h45 — Répondre

    Que font nos parlementaires locaux pour solutionner ce problème. Il semblerait que la Nelle Caledonie aie toujours une longueur d’avance sur la Polynesie depuis le debut dexoa crise sanitaire.

  3. MATA
    15 mai 2020 à 10h57 — Répondre

    Par respect pour la population qui vit en Polynésie et qui a heureusement échappée à un scénario catastrophe, les nouveaux arrivants devraient d’eux-mêmes jugés bon de ne pas faire courir de risques aux polynésiens qui ne disposent pas d’autant de moyens sanitaires que dans les grands pays. Privation des libertés individuelles ou mesure sanitaire préventive nécessaire pour l’intérêt général? Surtout qu’en cas de 2ème vague ce serait un désastre économique qui viendrait d’un flux de personnes appartenant à la fonction publique alors que ces dernières ont un devoir d’exemplarité.

  4. 15 mai 2020 à 12h03 — Répondre

    Ces personnes qui refusent la quartorzaine une fois arrivées sur le fenua ne respectent pas leurs engagements et ne respectent ni les personnes encore bloquées en France ou ailleurs dans le monde dans l’attente de leur rapatriement fragilisé par ce comportement irrespectueux, ni les efforts de toute la population.
    Nous voulons votre retour sans délai mais restez respectueux des règles imposées pour le bien de tous.

  5. lesagetahiti
    16 mai 2020 à 9h30 — Répondre

    si on met un couple dont l’épouse est enceinte dans une chambre d’étudiant, sûr que les intéressés préfèrent se confiner chez eux!
    maintenant que la quarantaine peut se dérouler dans un hôtel de tourisme, les avis seront peut-être différents;

    les mesures de police et sanitaires prises depuis le début n’ont pas été suffisamment respectueuses des personnes; quant au contrôle laissé à la discrétion des agents, une catastrophe;

  6. Semper Fi
    16 mai 2020 à 12h12 — Répondre

    Ce qui est parfaitement illégal. Pour mémoire la restriction de la liberté de circulation sur le territoire national ou encore le contrôle des accès et du séjour des étrangers sur ce même territoire (auquel appartient toujours la PF) est de la compétence exclusive de l’Etat.

  7. Karl Vernaudon
    18 mai 2020 à 8h11 — Répondre

    La 1ère barrière est le soin par les médecins généralistes. Regardez du côté des Allemands et des Marocains…. Attendre un vaccin hypothétique en interdisant à nos Taote de faire leur travail est irresponsable et catastrophique pour le Pays. Non, l’emprisonnement ne doit pas être une compétence territoriale, ou alors on se trompe de statut !

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