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Bruno Saura : « Les Tahitiens, malgré tout et malgré eux, deviennent français chaque jour davantage »

Plus de 20 ans après Des Tahitiens, des Français, Bruno Saura reprend son observation de la société polynésienne dans un tome 2. Dans cet « essai sur l’assimilation culturelle en situation coloniale consentie », l’anthropologue dresse, à force d’observation et de discussions, un constat étayé de l’occidentalisation progressive des mœurs et des modes de vie du fenua.

« J’espère qu’ils se reconnaitront ». Près d’une génération après Des Tahitiens, des Français, Bruno Saura a une nouvelle fois voulu tendre un miroir aux habitants de la Polynésie. Le premier tome, véritable succès éditorial, était paru en 1998, et « il était temps d’actualiser », sourit l’anthropologue, auteur de nombreux ouvrages historiques, culturels ou scientifiques. Pourtant, ce tome 2, publié par Au Vent des îles, ne se limite pas à mettre à jour ses réflexions sur les rapports entre les « métro » et les ma’ohi ou sur la conception des Tahitiens de leur propre identité. Sous-titré « essai sur l’assimilation culturelle en situation coloniale consentie », l’ouvrage fait plutôt le focus sur les changements concrets dans les modes de vie et la société polynésienne. Des changements « très rapides » appuie l’enseignant-chercheur, qui s’était intéressé, ces dernières années, aux temps anciens plutôt qu’au fenua contemporain.

L’intime et le collectif

« Ce tome 2 parle de la façon dont les Tahitiens, malgré tout et malgré eux, deviennent français chaque jour davantage », explique l’auteur. Évolution de la langue, des vêtements ou de la place du sacré, rapport au genre ou à la sexualité, construction de l’appareil éducatif ou administratif, jeunes qui partent par centaines dans l’armée ou moins jeunes qui se mettent à utiliser des noms français pour parler de poissons bien d’ici… Tout ou presque, dans ces 230 pages, pointe vers une « francisation des mœurs », une occidentalisation des modes de vie de la Polynésie. Le professeur d’université explique n’avoir pas suivi de démarche scientifique formelle pour écrire cet essai, un « moment de partage et d’interrogation » plus qu’un « manuel de sociologie ». Mais ses réflexions et son propos se basent tout de même sur de multiples rencontres, entretiens, lectures, et sur une observations pointue du quotidien. « J’essaie d’aborder la vie ordinaire, qu’est-ce que les gens mange,t, la manière dont ils parlent, quels sont leurs distractions, quels sont les moments forts de leur vie, leurs mariages, leurs enterrements, explique-t-il. Ça concerne à la fois l’intime et le collectif, et ça concerne le quotidien ».

Les dernières colonies françaises

La mécanique de cette « acculturation » ? « Un phénomène d’assimilation coloniale qui continue son œuvre » reprend le chercheur, pour qui « il ne fait pas de doute », malgré les non-dits, que les collectivités du Pacifique sont « les dernières colonies françaises », « comme Hawaii est une colonie américaine ». « Cela n’implique pas une situation de souffrance, pointe-t-il, on est dans une situation consentie », et « les Tahitiens vont peu à peu vers le seul modèle qu’on leur propose », « celui du colonisateur ». Cette « situation », Bruno Saura assure « ne pas dénoncer, la déplorer ». Et malgré son intérêt – et son affection – pour les traditions et les cultures locales, dont il décrit l’effacement progressif, le professeur de civilisations polynésiennes s’est efforcé de « ne pas adopter un point de vue personnel » dans ce nouveau tome. « Ce n’est mon rôle de juger, il appartient aux Tahitiens de savoir comment ils voient leur présent et leur avenir, mais il faut être honnête », reprend-il, conscient que certains de ses constats « ne vont pas plaire à tout le monde ».

Pas question, non plus d’affirmer que la culture polynésienne est déjà à enterrer. « Heureusement que la culture tahitienne existe et qu’elle est encore là. Et bien sûr qu’il y a une manière tahitienne de faire les choses et une manière tahitienne de vivre la modernité », précise-t-il. Mais en choisissant un angle incisif, l’essai a aussi comme objectif d’interpeller. « J’ouvre un certain nombre de portes, et derrière un certain nombre de ces portes, il y a matière à mener des réflexions, ou à faire des études beaucoup plus lourdes », explique l’auteur, qui n’exclut pas lui-même de pousser Des Tahitiens, de Français, vers d’autres focus – et donc d’autres tomes – sur la place des popa’a à Tahiti ou celle des métis.

Des Tahitiens, des Français  – Tome 2, aux éditions Au vent des îles est en vente dans toutes les librairies. A noter que Bruno Saura sera samedi prochain à 16h45 au Salon du Livre pour présenter et débattre de son ouvrage.

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3 Commentaires

  1. deodata
    16 novembre 2021 à 7h23 — Répondre

    L’acculturation des Polynésiens, c’est-à-dire sa perte de culture, sans pour autant en avoir encore une autre témoigne de la perte de l’âme polynésienne. Il est urgent que notre inconscient collectif fasse jaillir une nouvelle espérance pour créer une identité réelle dans la société en cours de création. Merci à Bruno Saura de son constat écrit !

  2. Rua
    16 novembre 2021 à 12h04 — Répondre

    Oia mau tera e parau hia ra e SAURA tane. Mauruuru no ta òe mau parau.

  3. Hei
    17 novembre 2021 à 8h17 — Répondre

    Tous les Tahitiens, Polynésiens terme ayant ma préférence, tous ne deviennent pas de plus en plus Français . Certains gardent leurs us et coutumes, leur langue notamment ceux vivant dans les îles éloignées, au fin fond des vallées , dans les quartiers populeux … La colonisation est passée par là, la religion est passée par là , la mondialisation mais qu’est-ce qui fait que certains deviennent de plus en plus Français? La faute à l’argent qui pourrit tout . Il y a une réelle cassure entre ceux qui se complaisent dans ce « système colonial » , car les premiers à en profiter et les autres qui bon gré mal gré ne font que le subir . Quant à nos jeunes le « american way of life » les touche de plein fouet , certains n’ont que faire de la culture de leurs ancêtres , de leur langue. Aujourd’hui c’est génération Facebook , réseaux sociaux qui ne les aide pas à s’élever dans la société bien au contraire .
    Ce qui a été perdu est perdu , pas de retour en arrière possible. Ne reste plus qu’à tenter de sauver ce qui peut encore l’être grâce à l’aide de ceux qui savent.

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