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Chiens tueurs de Raiatea : « La vie de cette petite fille s’est jouée pour 3 000 Francs ! »

Les faits se sont déroulés le 24 juillet 2018 à Uturoa. Un bébé de 17 mois succombait à ses blessures après avoir été mordu par des chiens. Les propriétaires des deux molosses comparaissaient ce mardi. Ils ont été condamnés à 24 mois de prison avec sursis et près de 10 millions d’amende.

Il est aux environs de 17 heures quand le père de l’enfant revient de son travail. Il se change pour aller jouer au foot. Il laisse sa femme et l’enfant, tranquilles à la maison, tous deux installés devant la télé. En rentrant de l’entraînement, il trouve sa femme endormie devant l’écran. Il la réveille et lui demande où se trouve le bébé. Affolée, sa femme ne sait quoi lui répondre. Peut-être qu’elle est allée chez les voisins comme elle le fait régulièrement ?

Ils la cherchent, alors que la nuit est tombée. Quand il est rentré il a aperçu une couche déchiquetée dans le jardin. Sur le coup, il n’y a pas prêté plus d’attention, les chiens du voisin ont pour sale habitude de se livrer à ce type de faits. Il fait quelques mètres et découvre l’enfant inanimée et ensanglantée, le corps couvert de morsures, à quelques mètres de son garage, près de la propriété des voisins qui sont aussi de la famille. Il la prend dans ses bras, « elle était froide et rigide » et appelle les secours.

Des gendarmes en patrouille sont prévenus par radio qu’un bébé avait été attaqué par des chiens. Rendus sur place, ils aperçoivent les pompiers et un agent hospitalier tentant de ranimer l’enfant. Trop tard. La fillette est décédée. Choc hémorragique, précisera le médecin légiste.

Des traces de sang sur les babines

Les gendarmes sur les lieux remarquent que les chiens du voisin, un berger allemand et un dogue argentin, ont des traces de sang sur les babines. Ils font des prélèvements, qui se révèleront précieux pour la suite de l’enquête car ils mettront fin aux dénégations des propriétaires des deux chiens qui mettaient en doute la culpabilité de leurs animaux. Car comme l’enquête de voisinage l’a révélée, les deux quadrupèdes étaient connus du quartier et avaient la réputation de chiens gentils et pas agressifs, malgré leur aspect peu engageant. La petite, d’ailleurs, allait souvent les voir et jouait avec eux, ce qu’a confirmé le père aux gendarmes. « Elle jouait avec les chiens sans problème et elle leur mettait sa main dans la gueule sans aucun souci. »

C’est grâce aux recherches sur l’ADN effectuées par un laboratoire nantais que la preuve a été faite qu’ils étaient les auteurs des nombreuses morsures, et non pas des chiens errants comme l’avançaient les propriétaires.

À la barre, le père et le fils, propriétaires des chiens, étaient encore sous le coup de l’émotion. À la question du juge, « Est-ce que depuis vous avez parlé avec les parents de la victime ? » le fils, 34 ans, fond en larmes. « Je n’y arrive pas ». Quant au père, 62 ans, les mots lui restent en travers la gorge et il doit s’y reprendre à plusieurs reprises pour qu’ils sortent. « C’est dur de parler de cela. Je n’y arrive pas. On se parle, on se salue mais c’est tout. »

Si les chiens avaient plutôt bonne réputation, le souci c’est lorsque le fils les attachait avec des moyens de fortune, cordes raboutées parfois entourées de Serflex, et comme collier, une corde, ils avaient tendance à s’échapper. Comme le terrain sur lequel ils vivent est en indivision, difficile de le clôturer. C’était en projet mais comme le coût les a fait reculer, c’est resté à l’état de projet. Idem pour l’achat d’attaches et de colliers dignes de ce nom pour des chiens qui pèsent entre 20 et 30 kilos.

« Ici tout le monde fait comme vous. On ne clôture pas et les chiens divaguent. »

C’est ce point qui a fait bondir la procureure de la République particulièrement remontée, car elle a suivi l’affaire dès le début et surtout, elle a eu les photos de l’enfant entre ses mains. C’est sur un ton où se mêlaient colère et tristesse qu’elle a pris la parole.

« Ces gens-là disent n’avoir pas les moyens pour clôturer le terrain ou pour acheter de vrais colliers adaptés à leurs chiens. Ils n’ont donc pas les moyens d’avoir des chiens ! Et en plus, ils sont attachés. C’est le meilleur moyen de les rendre fous. »

Si le fils ne gagne pas beaucoup, 120 000 Fcfp par mois, le père retraité a une patente d’entrepreneur de pompes funèbres et sa femme travaille au tribunal de Raiatea et les chiens sont régulièrement amenés chez le vétérinaire pour des vaccins.

Autre point qui a déclenché la colère de la procureure qui poursuit : « C’est un dossier révoltant et affreux. C’est une infraction involontaire, mais je veux parler de votre négligence et de votre avarice. Ici tout le monde fait comme vous. On ne clôture pas et les chiens divaguent. C’est une négligence crasse commise par d’autres gens. » Puis se tournant vers le juge et ses assesseurs, « Aujourd’hui vous devez être un curseur. Il est temps de faire savoir que ce curseur existe pour les attaques de chiens. C’est le message que l’on doit faire passer. » Elle a réclamé deux ans de prison avec sursis et l’interdiction de posséder des chiens.

« La vie de cette petite fille s’est jouée pour 3 000 Francs ! »

Un peu plus tôt, l’avocat des parties civiles avait lui aussi relevé l’absence de matériel adéquat pour garder les chiens attachés. « Vous nous dites qu’un collier coute 3 000 Fcfp et que vous n’avez pas les moyens. Quand on n’a pas les moyens d’avoir un animal, on n’en prend pas. Les vaccins sont payés et coûtent nettement plus chers que des bons colliers. » Assénant, « la vie de cette petite fille s’est jouée pour 3 000 Francs ! », il poursuit, « Le père a de nouveau un chien et il est toujours attaché de bric et de broc. Le fils, lui, ne veut plus de chien, traumatisé par cette affaire, et c’est tant mieux. Si vous ne pouviez pas clôturer votre terrain, vous auriez pu fabriquer un enclos pour vos animaux. » Il réclame en indemnités pour la mère de l’enfant qui, « n’arrive pas à se projeter dans le futur et n’envisage pas d’avoir un autre enfant. », 3,5 millions Fcfp, la même somme pour le père, et 2,5 millions Fcfp pour la grand-mère et le grand-père.

L’avocat de la défense de son coté s’est lui attaché à démontrer, à grand coup d’alinéas et d’article du code civil, que le chef d’accusation d’homicide involontaire ne s’appliquait pas à ses clients. Une plaidoirie où la technicité l’emportait sur l’émotion. Pour lui, « les condamnations requises sont excessives sur le plan pénal » et il a demandé au tribunal de faire preuve de clémence.

Ils ont été condamnés à 24 mois de prison avec sursis et à payer les indemnités réclamées par la partie civile. Les chiens ont été euthanasiés.

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