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Corruption ou guerre des clans? Un ministre russe inculpé

Moscou (AFP) – Arrêté en pleine nuit par les services secrets, le ministre russe de l’Economie Alexeï Oulioukaïev, a été inculpé mardi pour « extorsion de pot-de-vin » après avoir, selon les enquêteurs, tenté de soutirer deux millions de dollars au puissant groupe pétrolier Rosneft.

Si les Russes sont familiers des arrestations médiatisées de hauts fonctionnaires, élus ou cadres policiers pour corruption, il s’agit du plus haut responsable russe placé en arrestation pour de telles accusations depuis l’arrivée au pouvoir en 2000 de Vladimir Poutine.

Presse et observateurs cherchaient à déterminer si la chute annoncée mardi par le Comité d’enquête russe d’Oulioukaïev, 60 ans et au gouvernement depuis trois ans, était le résultat d’une simple affaire de corruption ou un règlement de comptes entre clans du Kremlin.

Le ministre, qui occupe un poste clé en période de récession économique, a été arrêté lundi soir en flagrant délit, peu avant minuit, lors d’une opération menée par le FSB (ex-KGB), dans le cadre d’une enquête sur une corruption à grande échelle.

Selon un communiqué du Comité d’enquête, le principal organe d’investigation en Russie, il a été ensuite inculpé formellement d' »extorsion de pots-de-vin » et devait être présenté à un juge en vue d’un éventuel placement en détention. Il risque jusqu’à 15 ans de prison.

Selon les enquêteurs, le ministre a « exigé de la direction de Rosneft » deux millions de dollars en échange de son feu vert pour l’acquisition par le géant pétrolier semi-public russe Rosneft du pétrolier Bachneft, appartenant à l’Etat.

Il a « menacé d’user des pouvoirs liés à sa fonction pour faire obstacle aux activités de la compagnie » si cette dernière ne lui versait pas le pots-de-vin, a précisé la même source. La direction de Rosneft aurait alors contacté les autorités.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré mardi matin aux médias russes que le président avait été mis au courant dès le début de l’enquête contre son ministre. 

-‘Beaucoup de questions’-

L’ancien député d’opposition Guennadi Goudkov a estimé que cette affaire ne relevait « pas de la lutte de corruption mais d’une intensification des luttes internes pour l’influence, les flux financiers et les postes ». 

Rosneft est dirigé par Igor Setchine, un proche de Vladimir Poutine aussi discret qu’influent et considéré comme un des chefs de file des « siloviki », ces responsables issus comme le président des services secrets, de l’armée ou de la police. Les luttes intestines entre « siloviki » et entre « libéraux » rythment depuis plus de quinze ans la vie politique russe, Vladimir Poutine jouant souvent le rôle d’arbitre.

Alexeï Oulioukaïev était lui partisan de réformes de libéralisation et avait mis en garde contre la « stagnation » de l’économie russe.

Comme une grande partie du gouvernement, il s’était publiquement opposé dans un premier temps à la vente de la moitié du capital de Bachneft à Rosneft, la plus grosse cession d’actifs réalisée cette année par l’Etat russe pour renflouer son budget plombé par l’effondrement des cours du pétrole.

Après une volte-face du Kremlin, il avait dû ensuite mettre en oeuvre en octobre cette transaction d’environ 5 milliards de dollars, ce qui avait été interprété comme une victoire d’Igor Setchine.

Les accusations visant M. Oulioukaïev, ministre jugé relativement peu influent qui se serait attaqué à une entreprise à la puissance considérable, ont laissé dubitatifs certains observateurs. L’influent ex-ministre des Finances Alexeï Koudrine a jugé que cette affaire posait « beaucoup de questions ».

« Il faut être fou pour menacer Rosneft, un mois après la transaction approuvée, et extorquer deux millions de dollars à Igor Setchine, l’un des personnages les plus influents du pays », a réagi Alexandre Chokhine, président de l’Union des industriels et entrepreneurs sur la radio Business FM.

-‘Choc’-

Selon une source policière citée par l’agence RIA Novosti, avant d’intervenir, les enquêteurs ont obtenu « des preuves solides » en « procédant à des écoutes de ses conversations et des conversations de ses associés ».

« Si l’arrestation a eu lieu, c’est qu’il devait y avoir des fondements », a jugé Olga Krychtanovksaïa, spécialiste des élites russes à l’Académie des Sciences, relevant qu’il aurait été « plus simple de limoger » un ministre « faible ».

« C’est un choc pour l’establishment, aucun responsable d’un tel niveau n’avait jamais été arrêté sur des soupçons pénaux », a-t-elle ajouté, interrogée par l’AFP.

Des affaires de corruption, mal qui continue de ronger la Russie, impliquent régulièrement des élus et hauts fonctionnaires. Mardi encore, deux adjoints du gouverneur de la région sibérienne de Kémérovo ont été arrêtés pour extorsion de fonds.

En 2012, le ministre de la Défense Anatoli Serdioukov, éclaboussé par une affaire de corruption, avait été limogé mais il n’avait été inculpé qu’un an plus tard.

Le ministre russe de l'Economie Alexeï Oulioukaïev à Saint-Pétersbourg, le 22 mai 2014. © AFP

© AFP/Archives OLGA MALTSEVA
Le ministre russe de l’Economie Alexeï Oulioukaïev à Saint-Pétersbourg, le 22 mai 2014

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