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Enseigner le fait religieux comme Sénèque ou La Fontaine ?

Paris (AFP) – « Il faut un enseignement des religions à l’école, mais un enseignement laïque », recommandait en mars François Hollande. Mais vingt ans après son introduction dans les manuels, le fait religieux peine toujours à être enseigné.

Le sujet intéresse les participants à l' »instance de dialogue avec l’islam de France », réunie récemment place Beauvau. Un atelier y a souligné l’urgence de renforcer l’enseignement du fait religieux, qui pourrait être un des projets soutenus par la Fondation de l’islam de France, active dès janvier.

Conçu à l’origine comme un enseignement transversal qui permettrait à tous de comprendre le monde dans lequel on vit, dans la pratique, celui-ci est surtout circonscrit à la classe d’histoire: Antiquité, débuts du christianisme, naissance de l’islam, colonies françaises, indépendance et Shoah au collège; mémoire de la Shoah au lycée.

En cours de lettres ou de philosophie, le fait religieux est peu abordé; presque occulté en cours d’arts plastiques, selon l’écrivain et spécialiste des religions Odon Vallet: « L’histoire de l’art n’est pas très bien accordée avec le fait religieux, elle est trop européenne et néglige beaucoup l’art islamique et oriental ».

Depuis les attentats qui ont frappé la France au nom d’un islam radical, l’Etat a pris quelques initiatives. Depuis septembre, la plateforme de formation continue à distance des enseignants « M@gistère » propose neuf heures de mise à niveau sur le fait religieux. Mais la majorité des nouveautés se concentrent sur la laïcité et les valeurs de la République.

– Emplois du temps pléthoriques –

Sous couvert de neutralité de l’Education nationale, les réticences persistent et une partie du corps enseignant et de la classe politique craignent de faire entrer Dieu à l’école. « Les textes sacrés sont très peu étudiés à l’école. Leur étude systématique nous ferait basculer du côté de la théologie », affirme Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes.

« Beaucoup de choses sont encore à faire. Les enseignants pourraient être bien mieux formés et accompagnés qu’ils ne le sont aujourd’hui. A l’échelle d’un établissement, on n’organise pas assez le travail collectif », concède-t-il.

« Les emplois du temps sont pléthoriques. Si vous avez des professeurs qui parlent toute la journée à des élèves assis sur une chaise du matin au soir, il n’y a pas de place pour innover », abonde Philippe Gaudin, directeur adjoint de l’Institut européen en sciences des religions, organisme qui participe depuis sa création en 2002 à la mise en œuvre de l’enseignement des faits religieux à l’école.

Le rapport commandé au philosophe Régis Debray par Jack Lang, alors ministre de l’Education nationale, après le 11-Septembre 2001 préconisait pourtant une réaffirmation de l’enseignement du fait religieux à l’école afin que les futurs citoyens comprennent le « monde d’aujourd’hui ».

Invités à un colloque organisé début décembre à la Bibliothèque nationale de France, plusieurs intellectuels ont tenté d’apaiser les craintes. « A partir du moment où un extrait d’un texte sacré est présent dans un ouvrage scolaire, ce texte est désacralisé. De la même façon qu’un objet sacré devient oeuvre d’art et de culture dans la vitrine d’un musée », plaide le philosophe Christian Godin.

« N’est-ce pas la fonction de l’école que d’enseigner qu’il y a des modes de lecture des textes très différents et qu’il existe aussi une manière scientifique de les aborder? », interroge le psychanalyste Jean-Pierre Winter, qui souhaite que « les textes de toutes religions soient traités au même titre que Sénèque, La Fontaine ou Victor Hugo ».

« Il ne s’agit pas seulement de la compréhension de la religion des autres, mais de parler des dangers de la religion superficielle », abonde l’enseignante-chercheuse britannique Julia Ipgrave. « Une religion qui existe seulement à travers des slogans et des clichés utilisés pour séparer le bien du mal est l’ami de l’ennemi. Une profonde connaissance de la religion va, au contraire, agir comme un contrôle précieux ».

La place Saint-Pierre le 20 novembre 2016 au Vatican. © AFP

© AFP VINCENZO PINTO
La place Saint-Pierre le 20 novembre 2016 au Vatican

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