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Environnement, biodiversité, alimentation : le regard du CMA sur nos modes de vie

Heevai Tefaafana, David Taurei et Pae Taupotini. ©VD

Ce jeudi, les dernières promotions du Centre des métiers d’art présentaient leurs travaux de fin d’études devant un jury dans l’espoir d’obtenir la reconnaissance de leurs deux années de formation. Dès demain, ce sera au tour du grand public de découvrir les créations artistiques de ces 16 étudiants lors d’un vernissage organisé au CMA dès 18h30. Rencontre avec 3 d’entre eux : David Taurei, Heevai Tefaafana et Pae Taupotini.

La fine fleur de la nouvelle génération d’artistes contemporains polynésiens, formée au Centre des métiers d’art, dévoilera ses travaux de fin d’études. L’exposition rassemble 16 étudiants : « cinq sont en Certificat des métiers d’art polynésien (CPMA) en gravure et sculpture et 11 en Bac pro des métiers d’art polynésien (BPMA) » récapitule Jessie Martin, professeur d’arts appliqués. Avant cela, ils ont dû se plier à deux étapes incontournables : le diplôme national dont les résultats seront révélés d’ici une à deux semaines mais également la soutenance, en français et en langues polynésiennes, ce jeudi 24 juin devant un jury* pour le Parau Tu’ite Hanahana. Ce titre récompense le travail d’excellence réalisé par les étudiants du centre : « il vient reconnaître les compétences acquises à travers la compréhension du patrimoine polynésien et océanien dans les domaines de la gravure, de la sculpture, de la peinture ou des arts numériques », précise le CMA.

C’est donc une formidable plongée dans l’univers et l’identité de ces jeunes artistes, désormais accomplis, que vous propose le Centre des métiers d’art dès vendredi soir lors du vernissage de l’exposition, et jusqu’au 10 juillet. Et un premier contact avec le public, les galeristes ou encore les collectionneurs d’art pour ces jeunes créateurs. David Taurei, Heevai Tefaafana et Pae Taupotini, font partie de ces 16 étudiants-artistes et ont accepté de répondre à notre micro. Qu’il s’agisse d’environnement, de biodiversité ou encore d’alimentation locale, leurs regards d’artistes se portent avec acuité et philosophie sur nos modes de vie contemporains. Leurs messages sont à l’art pictural ce que le film documentaire d’impact est au cinéma : une volonté d’insuffler un changement spécifique dans nos sociétés.

Pae et ses ‘uru en argile : une réflexion sur notre alimentation

Pae Taupotini s’est orienté vers toute une déclinaison d’écorce de ‘uru en argile cru. Issu d’une grande famille de sculpteurs marquisiens sur bois et pierre, lui a choisi de travailler la terre, à travers la thématique ‘uru, avec lequel il a grandi et qui l’a nourri au quotidien. Par la fragilité de la matière argileuse, l’étudiant souhaite rappeler que le ‘uru est un aliment qui perd de son importance et de son caractère sacré dans nos sociétés actuelles attirées par les produits importés et la malbouffe – véritable fléau en Polynésie. « Le fenua est riche de sa terre, il faut profiter de ses bienfaits : le ‘uru doit continuer à unir les Polynésiens autour d’une alimentation locale, saine et responsable. » Ces œuvres sont touchantes par leur réalisme et la poésie de leurs titres : « Puoò » (« brûlé », une toile acrylique incarnant l’écorce de ‘uru tout juste sorti du feu), « Meiàki » (« constellation de ‘uru », une toile acrylique incarnant l’écorce de ‘uru sous forme d’une constellation), et ses « ‘urumete » et autres « ‘urubowls ». Le travail de Pae représente bien les savoir-faire polyvalents développés par les étudiants lors de leur formation au CMA. Sculpteur de formation et alors qu’on aurait pu l’attendre sur du bois ou de la pierre : Pae s’est consacré pour la première fois pour ce travail de fin d’études à l’argile. « Je ne voulais pas rester dans quelque chose de confortable mais ouvrir mes horizons et toucher à tout. »

Pae, sculpteur en CPMA, et son univers consacré au ‘uru. © VD

Les pōito-animaux marins de Heevai et les anguilles en pierre de David pour sensibiliser à la biodiversité

Heevai Tefaafana, quant à elle, s’est consacrée à une étude autour du milieu aquatique, centré sur les pōito, ces bouées marines de corps morts utilisées par les bateaux, la pêche ou encore le secteur perlicole. « Étant moi-même en contact constant avec l’océan puisque j’habite en bord de mer, et puisque nous avons célébré récemment la Journée mondiale des océans, j’ai voulu sensibiliser les individus afin qu’ils se questionnent sur la relation qu’ils entretiennent avec leur environnement marin. » Son travail dévoile ces fameuses bouées ajourées selon des motifs d’animaux marins. La matière plastique de ces bouées évoque le danger de la pollution pour ces animaux, et le contraste entre la couleur orange extérieur et l’intérieur peint à la bombe à spray bleu rappelle l’urgence d’agir. La transparence des motifs sculptés évoque quant à elle, le vide, la disparition et alerte le peuple de navigateurs qu’est le peuple polynésien sur les dégâts causés par l’humanité. Que ces bouées soient installées sur un socle, en suspension ou plongées dans l’eau, l’installation de la jeune diplômée en sculpture immergera le spectateur dans un océan imaginé comme n’existant bientôt plus. Le titre de l’œuvre, « ‘O vai ‘oe ? », joue sur la corrélation entre eau et identité.

« ‘O vai ‘oe ? », œuvre de Heevai Tefaafana, sculptrice en CPMA. © VD

L’idée de travailler sur le thème de l’anguille est venue à l’esprit de David dès février 2021 lors d’un séjour de 2 semaines de stage dans la vallée de Papeno’o aux côtés de l’association Fare Hape, à l’occasion d’une conférence de Herehia Helme, chercheuse spécialisée sur ces animaux. « Les anguilles représentent le sacré dans la culture polynésienne. À travers mon travail, je souhaitais sensibiliser le public à leur importance pour la biodiversité de notre fenua. J’ai alors commencé à dessiner sans relâche et à faire des recherches sur ces animaux qu’on dit souvent mystérieux. » Le résultat de son travail sera représenté par des peintures et de la sculpture sur pierre. Pourquoi la pierre ? « Parce que c’est dans ce milieu qu’elles évoluent, et c’est grâce aux pierres qu’elles se protègent de la lumière. » L’étudiant, qui hésite encore entre une inscription en BEP ou l’ouverture d’une patente, salue la qualité de l’accompagnement de l’équipe pédagogique du Centre : « Quand tu entres ici, tu sais que tu vas devenir quelqu’un. »

David et ses puhi, sculpteur en CPMA. ©VD

Très bientôt, le CMA vous proposera de partir à la rencontre de l’ensemble de ces jeunes artistes au travers de 10 épisodes d’une série vidéo où vous pourrez admirer leurs travaux en peinture, sculpture et gravure. Un avant-+goût :

*Le jury est présidé de Monsieur Borel, inspecteur de l’Éducation nationale option métiers d’art – actuellement en Polynésie française pour une mission d’évaluation au CMA. En font également partie Miriama Bono Hiriata Millaud Heremoana Buchin et le dessinateur P’tit Louis. À noter aussi que les inscription à l’examen d’entrée au Centre des métiers d’art sont ouvertes. Pour le Bac pro des métiers d’art polynésien (BPMA) et Certificat des métiers d’art polynésien (CPMA) jusqu’au 30 juin, de 8 heures à 15h30, sur place, à l’angle des avenues Régent Paraita et Georges Clémenceau, Papeete (face Jeannina)

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