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Euro-2016: violences à Marseille: qui, comment, pourquoi?

Paris (AFP) – Qui sont les hooligans? Comment et pourquoi passent-ils à l’acte? Comment lutter contre eux? Quelle est la responsabilité des Russes dans les bagarres de samedi à Marseille? Premiers éléments de réponse au lendemain de ces violences qui ont jeté une ombre sur l’Euro-2016.

. Comment s’explique cette flambée de violences?

Le commissaire Antoine Boutonnet, responsable de la lutte contre les hooligans en France, a mentionné « des mouvements de foule d’une population extrêmement dense au niveau du Vieux-Port avec suralcoolisation de cette population ». La rixe la plus sérieuse est partie d’un « mouvement important de 300 Russes venus vers les supporteurs anglais ».

Sébastien Louis, spécialiste des supporteurs radicaux en Europe, était présent à Marseille. Il pointe la responsabilité de hooligans russes: « Le problème n’était pas l’alcool, même s’il y en avait beaucoup effectivement, mais ces ‘hools’ russes qui sont venus de manière extrêmement organisée. »

Selon lui et un autre spécialiste, Geoff Pearson, chercheur à l’université de Manchester, il y avait « très peu de hooligans parmi les supporteurs anglais », notamment « grâce au travail en amont de la police anglaise ».

. Qui sont ces hooligans russes?

De nombreux supporteurs fichés comme radicaux n’ont pas pu entrer en France pour l’Euro, « près de 3.000 personnes » stoppées aux frontières, expliquait Antoine Boutonnet lors de l’inauguration du Centre de coopération policière internationale (CCPI), chargé de coordonner le dispositif anti-hooliganisme lors de l’Euro.

Mais selon Sébastien Louis, « 150 supporteurs russes » déterminés à en découdre, sont venus en camionnette après avoir atterri par avion non pas directement en France, mais « en Suisse ou en Italie », échappant ainsi à la surveillance aux frontières.

« Ce sont des supporteurs de plusieurs clubs russes, le CSKA Moscou, le Spartak Moscou, le Lokomotiv ou encore le Zenit Saint-Petersbourg. Ce sont de petites bandes, de 20, 25 individus, qui ne sont pas du tout alcoolisés, font tous de la ‘muscu’ et savent se battre », explique Sébastien Louis.

« Je ne peux qu’imaginer que les autorités russes n’avaient pas les informations concernant ce groupe de supporteurs, ou qu’elles n’étaient pas au courant de ses intentions, car ils ont la possibilité d’empêcher des gens jugés à risque de quitter leur territoire », observe Geoff Pearson.

. Pourquoi ces dérapages?

« Il y a une compétition dans les tribunes entre supporteurs radicaux (de différents pays), avec pour objectif de prouver sa valeur », explique Sébastien Louis. Si les hooligans russes se sont rendus à Marseille, c’est « tout simplement pour se faire une réputation dans le petit monde du hooliganisme ».

Et cibler les Anglais est important en matière de prestige, poursuit le chercheur: « Ils ont une réputation. Dans les années 1980, leurs hooligans étaient ce qui se faisait de mieux en la matière ».

« Il y a une culture des hooligans qui est importante en ce moment en Russie, ils veulent se tester et s’établir » au niveau international, complète Geoff Pearson, qui pointe toutefois que ces ultras russes se sont en majorité battus contre des « supporteurs anglais normaux », pas de type ‘ultra’. « Il faut toutefois nuancer, il y a aussi quelques Anglais qui se sont battus avec des supporteurs +normaux+ russes », observe le chercheur, lui aussi présent sur place.

. Des risques pour la suite de la compétition?

« Pendant longtemps, on a eu une suprématie des groupes d’Europe de l’Ouest et cela se déplace à l’Est », remarque Sébastien Louis, citant la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, la Russie ou la République Tchèque parmi les plus importants bastions de hooligans. « Dans les prochains jours, on risque d’avoir les Polonais ou les Hongrois qui, peut-être, vont vouloir prouver qu’ils sont dans le Top 5 européen ».

Outre Angleterre-Russie et Turquie-Croatie dimanche, trois autres matches de la compétition ont été classés à haut risque: Allemagne-Pologne jeudi 16 au Stade de France, Angleterre-Pays de Galles le même jour à Lens et Ukraine-Pologne le 21 juin, à nouveau à Marseille. Ils feront tous l’objet d’un dispositif de maintien de l’ordre renforcé.

Geoff Pearson s’inquiète de la concentration d’un petit périmêtre de supporteurs russes, slovaques et anglais dans le nord de la France jeudi. La veille d’Angleterre-Galles se déroule en effet Russie-Slovaquie, à Lille: « Potentiellement, le risque de troubles est élevé ».

. Comment lutte-t-on contre le hooliganisme à l’étranger?

Les deux chercheurs interrogés par l’AFP pointent la responsabilité des forces de l’ordre françaises dans les événements survenus à Marseille.

Geoff Pearson évoque « une erreur de stratégie »: « Ils n’ont pas bien géré la foule anglaise, ils n’ont pas communiqué avec elle, et ils n’ont pas non plus su gérer ce mouvement d’ultras russes. Ils (les forces de sécurité, ndlr) faisaient face aux fans anglais alors qu’ils auraient plutôt dû les protéger. »

Sébastien Louis dénonce la « stratégie d’opposition qui conduit à l’escalade ». « En Allemagne, en Autriche, il y a beaucoup plus de dialogue pour prévenir, avertir les supporteurs. A la place, en France, on a les gaz lacrymogènes et les chiens. »

Le commissaire Antoine Boutonnet, lui, a assuré que « l’intervention rapide et efficace des forces de l’ordre a permis de circonscrire les incidents dans le temps et dans l’espace », et plaidé pour une harmonisation européenne des interdictions de stade.

180 policiers étrangers collaborent avec les Français pour la sécurité anti-hooligans dans cet Euro. « Quand ces gens savent que la police allemande est là et les connaît, ils y réfléchissent à deux fois avant de passer à l’action », a jugé Uwe Ganz, qui dirige la délégation de policiers allemands en France.

Et à titre d’exemple, le ministère de l’Intérieur croate a communiqué à la France avant l’Euro une liste de 326 hooligans potentiellement dangereux.

Un poilcier derrière son bouclier face à des supporteurs lors de heurts, le 11 juin 2016 à Marseille. © AFP

© AFP LEON NEAL
Un poilcier derrière son bouclier face à des supporteurs lors de heurts, le 11 juin 2016 à Marseille

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