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Fa’a’amu : la fin de « l’open bar »

L’an dernier, le ministère public a fait appel de 16 décisions du juge aux affaires familiales concernant des délégations de l’exercice de l’autorité parentale (DEAP) de demandes d’adoption. Une première historique qui démontre la volonté du parquet et du parquet général de mettre fin à des dérives sur l’adoption d’enfants polynésiens par des parents venus de l’extérieur, sans pour autant s’attaquer à la tradition du fa’a’amu local.

La DEAP de la discorde. En Polynésie, la délégation de l’exercice de l’autorité parentale est devenue le sésame pour des parents souhaitant adopter au fenua en s’affranchissant des règles locales, nationales et internationales. Après une requête formulée par les parents biologiques auprès du juge aux affaires familiales (JAF), ce dernier reçoit 4 à 6 semaines plus tard parents biologiques et adoptifs pour décider de cette délégation. Les juges se retrouvent alors souvent devant le fait accompli, les parents adoptifs ayant déjà récupéré l’enfant, leurs avocats évoquant la tradition polynésienne du fa’a’amu. Les avocats dénoncent, à tort, le manque de cadre juridique et de structures pour permettre de respecter les mêmes procédures qu’en métropole. Aujourd’hui le parquet et le parquet général sifflent la fin de la récréation. « « En métropole, adopter un enfant est un parcours du combattant », détaille le procureur général Thomas Pison. « Avant l’adoption, les parents ont des visites de l’assistance sociale, il y a une enquête, il y a un agrément. Il faut comprendre qu’en Polynésie, les règles sont les mêmes. Sauf qu’avec le fa’a’amu qui a été dévoyé notamment vis-à-vis de la métropole, des métropolitains viennent pensant que grâce à la DEAP, qui n’est pas faite pour ça, on a un nourrisson tout de suite sans passer par l’administration et on repart en métropole et c’est gagné.  C’est ce que nous combattons car il n’y a pas de raison qu’en Polynésie, les enfants soient adoptés sans aucun contrôle. Ce n’est pas tant pour le contrôle tatillon de l’administration mais c’est surtout pour la protection de l’enfant. Comment peut-on remettre un nourrisson de quelques jours voire de quelques heures à des gens qui sont inconnus, et qui le mois suivant repartiront avec le nourrisson et une décision de justice. Je suis désolé mais en tant que ministère public, on ne peut pas laisser faire cela. On se cache derrière le fa’a’amu pour faire de la sous adoption.»

Au moment d’accorder la DEAP, le juge aux affaires familiales se retrouve souvent le fait accompli.
© Florent Collet / Radio 1

Ainsi, si plusieurs dizaines de demandes de DEAP et d’adoption ont été formulées l’an dernier, 16 ont fait l’objet d’un appel du parquet. En matière civile, le ministère public a pour mission de protéger les personnes vulnérables, les enfants en font partie. Dans ces procédures, le parquet a estimé que l’intérêt de l’enfant n’était pas préservé.  « Je crois que c’est la première fois que nous avons des appels, sur des DEAP notamment. Cela montre bien qu’il y a une prise de conscience du ministère public sur quelques difficultés » relate le procureur général. Si la méthode a longtemps paru normale et acceptée, la quête d’adoptants à la recherche de parents en difficulté n’est pas acceptable pour le ministère public. « Il y a des choses qui sont criantes. Ce sont des familles qui arrivent de métropole et distribuent des cartes de visite à la maternité. Ce sont des familles de métropole qui circulent dans les quartiers difficiles pour dire qu’ils recherchent un enfant. Cela pose une difficulté », s’indigne Thomas Pison.

Céline Charloux, substitut général chargé du parquet civil général. ©Florent Collet / Radio 1

La DEAP est tout de même possible mais doit répondre à certaines règles et notamment celle d’une décision prise par les parents, en toute liberté et en toute connaissance de cause, ce qui n’est pas toujours le cas, comme l’explique Céline Charloux, substitut général chargé du parquet civil général. « Il peut y avoir des pressions psychologiques voire monétaires, c’est à ce genre de situations que nous cherchons à mettre fin. »

Droit des parents mais aussi intérêt supérieur de l’enfant. Dans la situation actuelle, rien ou peu n’est fait pour s’assurer qu’une solution plus favorable à l’enfant soit choisie au lieu d’un exode loin de la Polynésie. « L’intérêt de l’enfant  est défini par des normes internationales qui priorisent pour l’enfant le droit de vivre avec sa famille ou tout au moins dans sa culture, sur son territoire. C’est seulement à défaut et dans le respect des règles de l’adoption uniquement qu’un enfant peut partir. Les règles c’est avoir le consentement libre et éclairé des parents et également d’avoir des adoptants sélectionnés à cette fin comme étant des gens qui présentent des garanties pour le bon développement de cet enfant. »

Des parents adoptants sélectionnés par la Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité. Le Pays a désormais les textes législatifs pour accorder ou non un agrément aux parents adoptants, et la DSFE dispose de pouponnières pour accueillir les nourrissons dans l’attente de leur adoption. Autrement dit, l’adoption directe auprès de parents biologiques n’est plus acceptée. La DSFE doit devenir la porte d’entrée de tous les adoptants pour trouver un enfant.

Pour autant, le ministère public ne veut pas mettre fin au fa’a’amu local dans le cercle familial. « On s’attaque justement au fait de ne pas respecter cette tradition qui normalement est un système de solidarité intrafamiliale, fraternelle, qui permet de prendre en charge des enfants quand les parents ne peuvent pas faire face, à certain moment de la vie, à l’éducation de l’enfant. Il n’est pas irrévocable, et les enfants ne sont pas coupés de la famille », détaille ainsi Céline Charloux.

En plus des appels sur les décisions du JAF, le ministère public utilise également la voie pénale pour certaines dérives, telles que la provocation à l’abandon d’enfant, ou l’entremise dans un but lucratif en vue d’adoption, punissable d’un an d’emprisonnement. « C’est un avertissement entre guillemets aux personnes de métropole qui pensent que la Polynésie c’est l’open bar. Ce n’est pas l’open bar, il y a une procédure et il faut la respecter », prévient le procureur général.

 

 

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2 Commentaires

  1. simone Grand
    11 février 2021 à 7h31 — Répondre

    Merci et bravo pour cette décision d’autant que bien des adoptés devenus adultes rencontrent de réelles difficultés de vie en métropole.

  2. 11 février 2021 à 18h35 — Répondre

    Que vive le fa’a’amu cette tradition polynésienne qui est à présent dévoyée. Qu’on interdise l’adoption par des parents résidants en Métropole. Sortir l’enfant de son milieu engendre des adultes qui plus tard seront en quête de leur identité. Je trouve ces parents popa’a bien égoïste, des parents popa’a souvent prêt à payer pour adopter…

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