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Ia Ora Te Fa’atura : les associations exigent une vraie politique contre les violences

Parmi les présidentes d’associations mobilisées, Raymonde Raoulx, Irmine Tehei, Armelle Merceron, Sandra Lévy-Agami et Elisabeth Hermant. © CP/Radio1

Les vahine en ont assez. Assez de subir, souvent avec leurs enfants, des faits de violences en constante augmentation, dans une société qui modernise son style de vie mais beaucoup moins sa manière de penser. Sept associations d’aide aux femmes et enfants victimes de violences se sont réunies en un collectif qui a rencontré le Haut-commissaire et le président du Pays pour demander, et proposer, des actions concrètes, des formations pour les aidants, des accompagnements pour les victimes aussi bien que pour les auteurs de violences, mais aussi de la pédagogie précoce pour éviter aux enfants de perpétuer des comportements violents. « Il faut aussi, à un moment donné, que le Pays décide d’en faire une priorité locale. »

À quelques jours de la Journée mondiale des droits de l’enfant (20 novembre) et de la Journée mondiale de lutte contre les violences à l’égard des femmes (25 novembre), 7 associations ont constitué un collectif pour demander à l’État et au Pays de traiter sérieusement le sujet. L’APAJ-Te Rama Ora (aide judiciaire aux victimes), le Centre d’information des droits des femmes et de la famille (CIDFF), l’association Emauta, Soroptimist International Club de Tahiti-Papeete, le Groupement de solidarité des femmes de Tahiti (GFST), Vahine Orama et l’Union des femmes francophones d’Océanie (UFFO) viennent de créer le collectif Ia Ora Te Fa’atura, pour « interpeller les autorités et la société sur la nécessité d’intensifier l’action de lutte contre les actes de violence, de renforcer l’efficacité de la prise en charge des victimes et des auteurs, et de développer une politique de prévention plus ambitieuse. »

À l’origine de ce collectif, le constat que la violence augmente et se banalise, que ce soit dans les familles ou au travail. Pour rappel, les faits de violence sont proportionnellement 2,5 fois supérieurs en Polynésie qu’en métropole. Selon le Haut-commissariat, en 2018 trois femmes et un homme sont décédés suite à des violences conjugales. Parmi les 2 549 victimes déclarées de violences, 80% étaient des femmes. Le rapport de l’APAJ sur l’année 2019 montre que 80% des cas traités par l’association correspondaient à des violences volontaires, des infractions à caractère sexuel, des menaces, injures et harcèlements.

Les constats partagés

  • Quand la situation économique et sociale apparait difficile, les tensions familiales s’intensifient et les violences se développent.
  • De plus en plus de femmes sont en situation précaire, or de nombreuses violences sont à relier à la précarité, à la consommation d’alcool et de drogues.
  • En outre le milieu insulaire fermé ou la vie dans les quartiers sont des facteurs de silence et de blocage du dévoilement de ces agressions.
  • De nombreuses femmes cherchent à s’émanciper, à se former, ce qui provoque souvent des réactions masculines d’opposition.
  • Les auteurs de violences sont souvent protégés par leur famille, au détriment des victimes. C’est le cas notamment lorsque les couples sont installés dans la famille du conjoint.
  • Le manque de communication au sein des couples et des familles, les difficultés à se dire les choses, sont à l’origine de tensions accumulées et de débordements violents.
  • La jalousie, le sentiment de possession de l’autre entrent souvent en jeu dans le développement de situations conjugales conflictuelles.
  • Les comportements violents des adultes renvoient à la question de l’éducation des garçons et des filles qui n’inculque pas le respect des personnes les unes à l’égard des autres et les principes de l’égalité Hommes-Femmes.
  • Dans le milieu du travail des situations d’agression, de harcèlement ne sont pas révélées. Celles qui font l’actualité ne sont que la partie émergée car le silence, l’étouffement est la règle.

Sandra Lévy-Agami, présidente de Vahine Orma Tahiti, insiste sur ce dernier point. « Je remercie le collectif d’avoir inclus les violences extra-familiales, et principalement la violence au travail. Encore hier j’ai eu un appel d’une femme dans une commune qui est harcelée au travail, qui subit des choses horribles et qui n’est pas entendue, et qui ne sait pas comment faire. On peut parler de harcèlement, mais on peut aussi parler d’agressions, voire même d’agressions sexuelles, de plus en plus. » L’année 2020, souligne Sandra Lévy-Agami, a illustré plusieurs fois cette problématique : le cas de l’InterContinental de Moorea, le suicide d’une jeune fille au RSMA, le procès de Coco Deane. On peut aussi citer le cas de cette élue de l’assemblée qui avait reçu des milliers de SMS malveillants. « Une femme qui travaille, qui est émancipée, on se dit ouf, elle est sauvée. Et bien non, » dit Sandra Lévy-Agami.

Elisabeth Hermant, la présidente de Vahine Orama Moorea, confirme que de nombreuses agressions ont lieu au travail, et insiste sur l’effort de communication à faire en direction des hommes : « Il faut qu’ils comprennent que ce sont leurs petites filles, ce sont leurs femmes, ce sont leurs sœurs qui vont se faire agresser. »

Les propositions du collectif

  • Des propositions concrètes applicables rapidement pour renforcer le maillage des interventions quotidiennes sur le terrain 

1.1 Formaliser à chaque échelon local (commune, île) un dispositif coordonné d’intervention, adapté aux moyens locaux, composé de personnes ressources existantes sur place : police, gendarmerie, services publics de proximité (éducation, santé, social, ..), référents des églises, associations… ;  formaliser et mettre à jour des procédures, des protocoles de prise en charge des victimes de violence ; faire remonter les signalements de violences familiales ; établir des lieux de parole et d’échange des personnes ressources sur « les cas » ; accompagner les couples et familles confrontés à la violence.

1.2 Sensibiliser, former les référents à chaque échelon et leur permettre de construire le dispositif local adapté à la réalité du lieu.

1.3 Mettre en place un centre d’appels pour les situations de violences (conjugales, familiales, professionnelles) chargé de l’écoute, de l’information et de l’orientation.

1.4 Mettre en place une permanence téléphonique à la DSFE, à l’image des astreintes médicales pour le contact lors de situations d’urgence survenant en dehors des heures d’ouverture du service.

1.5 Coopérer avec les taxis « sanitaires » pour le transport des victimes en échange de bons de transport financés par la DFSE.

1.6 Identifier des lieux d’accueil d’urgence sécurisés en renfort des deux centres de la zone urbaine, qui sont souvent saturés : pensions de famille, lieux d’accueil proposés par les communautés religieuses, …

1.7 Intensifier l’accent particulier porté aux violences induites par le trafic d’ice et l’addiction devant lesquels les familles et les associations sont démunies. La création d’un centre de désintoxication spécialisé nous paraît nécessaire.

  • Des demandes à un niveau plus global pour donner plus de cadre et de visibilité à l’action de lutte et de prévention contre les violences

2.1 Présentation des bilans ou des points d’étapes de la mise en œuvre des plans d’action validés au plus haut niveau :

  • Propositions du « Plan d’orientation stratégique pour la mise en œuvre d’une politique publique pour la famille», adopté par délibération de l’Assemblée de la PF en juin 2016,
  • Orientations du Grenelle contre les violences conjugales pour la Polynésie et application à la Polynésie des orientations nationales,
  • Plan d’action du volet « violences intrafamiliales » du Conseil de prévention de la délinquance en Polynésie, en particulier sa déclinaison jusqu’au terrain communal dans le cadre des plans locaux de prévention (seules 8 communes sur 48 auraient mis en place un conseil communal ?). Leurs orientations et actions manquent de visibilité pour ce qui concerne leur volet « violences familiales ».

2.2 Dans le cadre de la politique de prévention des dysfonctionnements, introduire dès l’enfance (en classe, dans les centres de loisirs et sportifs) un travail sur les représentations liées au genre, à la vie de couple et de famille pour faire naitre des projections de vie et promouvoir l’aptitude à communiquer.

2.2 Mise en place de recherches de niveau universitaire pour apporter un éclairage sociologique et psychologique ce qui permettrait d’expliquer l’origine des violences et les formes qu’elles prennent afin d’agir de façon plus efficace.

2.3 Création d’un observatoire permanent qui permettrait de mesurer et comprendre les faits et les évolutions de manière à adapter les politiques publiques, les prises en charge et les actions de prévention.

2.4 Evaluation du coût financier et humain des violences (impact sur les vies), car il n’est jamais explicité dans toute son envergure. Le connaître permettrait de mesurer son ampleur et d’agir en conséquence.

2.5 Plus globalement l’amélioration des conditions de vie des familles (ressources financières, logements et programmes de décohabitation, accès à des jardins partagés, …) sont des facteurs de mieux être et de paix familiale.

Édouard Fritch propose un forum

La situation est connue, mais les personnalités politiques, l’œil souvent fixé sur les échéances électorales, sont peu nombreuses à s’adresser à la population pour dire résolument ‘ça doit cesser’. Armelle Merceron tempère : « Je pense que ce sont des êtres humains, issus de la société polynésienne, et très souvent des hommes, et ils ont eux-mêmes cette difficulté, sans doute, à affronter les choses. Et notre rôle c’est peut-être aussi de leur dire et de les soutenir. » Au cours de la rencontre entre le président du Pays et le collectif, l’idée d’un forum sur le sujet a été proposée par Édouard Fritch. Armelle Merceron espère qu’il réunira « des personnes d’horizons très différents », et souhaite vivement que les maires s’engagent.

Elle note aussi, comme la presse, le défaut d’information officielle ou son retard important. Ainsi, en métropole on connaît déjà les chiffres des violences intrafamiliales durant le premier confinement, alors qu’aucun chiffre n’est présenté en Polynésie. « C’est toute cette question de s’organiser pour que l’information existe, Il manque une vue d’ensemble (femmes et enfants, ndlr) et une analyse de cela » dit Armelle Merceron. « Les forces de l’ordre ont des chiffres, mais elles ne les donnent pas, je ne sais pas pourquoi, mais je pense qu’il faut être transparent là-dessus, » renchérit Elisabeth Hermant.

Car si en France métropolitaine l’égalité hommes-femmes est une priorité déclarée du gouvernent Macron, et que des moyens d’information et d’accompagnement ont été mis en place, en Polynésie, rappelle Sandra Lévy-Agami, tout ce qui concerne la famille est de la compétence du Pays, « il faut aussi, à un moment donné, que le Pays décide d’en faire une priorité locale. » Le collectif note d’ailleurs que le coût financier des violences (dépenses de la CPS, des Affaires sociales, etc) n’a jamais été évalué.

 

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1 Commentaire

  1. simone Grand
    20 novembre 2020 à 6h53 — Répondre

    Mes enquêtes et recherches m’ont amenée à penser qu’il existe deux mythes importés qui concourent à l’auto-dévalorisation de leur identité et de l’humanité de nombreux Polynésiens. Ce qui explique la violence intrafamiliale et autodestructrice.
    Le 1er date de 1768. C’est le mythe du paradis associé à celui de la vahine. Car les tane Tahiti ont beau avoir une vahine, ils ne se sentent pas au paradis voire en enfer tant ils sont marginalisés. Ils soupçonnent leurs vahine de ne réserver le paradis qu’aux Chinois et aux Popa’a. En désespoir, ils cognent.
    Le 2ème date de l’Evangélisation. C’est le mythe de « l’idolâtrie » des anciens Polynésiens qui « adoraient le Diable ». Comme, les anciens Polynésiens pratiquaient le culte des ancêtres, la parole missionnaire ayant été matraquée et marquée au fer rouge durant la colonisation anglaise associée au règne de Pomare II, cela signifie qu’ils sont des descendants de démons. Ce qui rend le salut impossible car on ne peut changer ses origines biologiques même si tous les jours, l’on prie en se prenant pour enfants d’Abraham, Isaac, Jacob, etc…

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