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Il y a 60 ans, le premier Paris – Tahiti atterrissait à Faa’a

Le DC-7 de la TAI sur la piste de Faa’a.


Le 16 octobre 1960, pour la première fois, un vol commercial long-courrier se posait à Tahiti. Même si la piste de Faa’a ne sera terminée et inaugurée que l’année suivante, ce DC-7 de la compagnie TAI, fait rentrer le fenua dans une nouvelle ère. Jean-Claude Soulier, présent sur la piste ce jour là pour accueillir l’appareil, se souvient.

C’est une date difficile à oublier pour Jean-Claude Soulier. Le 16 octobre 1960, il y a tout juste 60 ans, un Douglas DC-7 des Transports aériens intercontinentaux (TAI) se posait à Faa’a. L’octogénaire, alors jeune technicien – électricien pour la compagnie, était sur le tarmac ce jour là. Il a même, du haut d’un escabeau, enroulé une longue couronne de fleurs au nez du quadrimoteur, atterri « trois minutes » après un Lancaster de la Marine. « L’État ne voulait pas que ce soit un privé qui atterrisse en premier » sourit-il. Mais la TAI, elle, était bien décidée à être la première compagnie à se poser à Tahiti, après deux jours de vol et d’escales depuis Paris, le long de la « route des Indes ».

Une « vraie piste » après celle de Bora Bora

Orly, Athènes, Le Caire, Karachi, Saigon, Sydney, Nouméa… La route est longue pour arriver à Faa’a. La piste, construite sur le lagon, entre la côte et le motu Tahiri – une prouesse technique pour l’époque – n’est alors pas encore terminée. Mais qu’importe, voilà plusieurs années déjà que la TAI voulait pousser un peu plus à l’Est sa desserte, déjà prolongée vers l’Australie en 1956, pour les Jeux Olympiques de Melbourne, puis vers la Nouvelle Calédonie. Le rêve de son cofondateur, Paul Bernard : étendre ses lignes au travers du Pacifique, rejoindre les États-Unis, déjà desservis par Air France… « Il voulait permettre aux passagers de faire le tour du monde sur des ailes françaises », reprend Jean-Claude Soulier. La Polynésie est un passage obligé, mais sa seule piste d’aviation était celle qui avait été construite pendant la guerre à Bora Bora. La compagnie avait commencé à y poser ses DC-6 puis des DC-7, des avions à hélices, à partir de 1958. Les passagers embarquaient ensuite sur des hydravions Bermuda ou Catalina pour Tahiti. Mais Paul Bernard le sait : l’avenir est aux jets, qui nécessitent une piste plus longue, et le centre économique de la Polynésie doit se désenclaver. Très tôt, il fait partie de ceux qui plaident la cause d’un aéroport moderne à Tahiti. L’idée est évoquée – et débattue – dès 1953 à Papeete, soutenue par une poignée d’entrepreneurs et de haut-fonctionnaires à Paris. C’est le « contexte » qui décidera l’État, explique Jean-Claude Soulier. Les financements du projet, indispensable à l’implantation d’un centre d’expérimentations nucléaires, sont débloqués en 1958.

Les voitures des curieux rassemblées sur le motu, qui accueille déjà une petite base de mise à l’eau des hydravions. En fond, le DC-7 et le Lancaster atterris le 16 octobre.

Ce 16 octobre 1960, l’évènement déplace « une bonne partie de Tahiti » sur la côte de Faa’a, encore peu urbanisée, ou directement sur les bords de pistes, où l’on croise aussi le groupe Heiva de Madeleine Moua. Ce ne sera pas la dernière fois que la foule se donne rendez-vous à l’aérodrome. Le vol de la TAI, qui poursuit sa route jusqu’à Honolulu, et plus tard, à Los Angeles, est dès ce mois d’octobre, hebdomadaire. Très rapidement, la nouvelle piste tahitienne accueille aussi le Constellation de la SPAL (compagnie spécialement créée par la Pan American pour s’implanter sur la ligne Hawaii – Tahiti ) ou les Electra de la TEAL, future Air New Zealand. À la pointe de Hotuaera, dite « du Flamboyant », les atterrissages deviennent des lieux de rassemblements populaires et réguliers.

La construction de la piste de Faa’a, en 1960. Elle mesurait moins de 2km le 16 octobre, mais atteint 3400 mètres quelques mois plus tard, ce qui lui permet d’accueillir des jets.

À Faa’a, le ballet des camions, qui allaient chercher dans la vallée de la Punaruu les énormes quantités de pierres nécessaires au remblai, ne s’arrêtera pas avant la fin 1961. La première aérogare, côté motu, n’est alors pas terminée. Mais dès le mois de mars 61, la piste est assez longue pour recevoir le premier avion à réaction, un DC-8. En mai, elle est officiellement inaugurée, en même temps que la fameuse ligne « tour du monde » résultat du partenariat entre Air France et la TAI. Ce chantier, gigantesque pour le fenua de l’époque, a attiré de nombreuses entreprises et travailleurs de métropole, qui s’ajoutent aux équipes des compagnies à Tahiti et aux premiers flots de touristes dont le trajet est facilité. Le pays est d’autant plus remué qu’à la fin de l’année 1960 débarquent Marlon Brando et les équipes de la MGM pour filmer Les Révoltés du Bounty. Comme le rappelle Jean-Claude Soulier, qui, après la TAI, a mené une longue carrière de journaliste, cette courte période qui précède le CEP amorce le boom économique de la Polynésie.

D’année en année, les anciens de la TAI, de UTA, compagnie qui l’a absorbée en 1963, ou de l’aviation civile se réunissent le 16 octobre, autour de la stèle de Paul Bernard, aujourd’hui installée devant la « nouvelle » aérogare. Un rassemblement qui n’a pas pu se tenir cette semaine, la situation sanitaire n’y étant pas propice. Mais pas question de laisser passer ces 60 bougies. L’OPT devrait apposer aujourd’hui un cachet commémoratif sur les lettres dans certains de ses bureaux. Quant à la cérémonie, que Jean-Claude Soulier voulait « un peu plus importante que d’habitude », anniversaire oblige, elle va simplement être « remise à plus tard ». Le Pays a lui-même exprimé la volonté de « marquer le coup ».

Jean-Claude Soulier s’est tout de même rendu sur la stèle à la mémoire de Paul Bernard cette semaine. « Un homme qui a beaucoup fait pour le désenclavement et le développement de Tahiti », explique-t-il. Ce grand résistant, devenu figure de l’aviation française dans les années 50, s’est éteint en septembre 1960, quelques semaines avant l’atterrissage de la TAI à Tahiti. ©D.R.

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2 Commentaires

  1. SHIGETOMI Jean-Christophe
    17 octobre 2020 à 8h44 — Répondre

    Mes amitiés à mon ami Jean-Claude Soulier, mémoire de l’aéronautique locale que je salue.
    Amicalement.

    Jean-Christophe SHIGETOMI (JCS) homonyme de Jean-Claude Soulier (JCS)

  2. Sam
    17 octobre 2020 à 19h31 — Répondre

    Superbe article que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt ! Merci 🙂

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Il y a 60 ans, le premier Paris – Tahiti atterrissait à Faa’a