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Ils ont percé dans la photo grâce à Instagram

© Gérard Trang dit "superchinois801"

© Gérard Trang dit « superchinois801 »

« LA TOILE DE LEUR RÉSEAU » – Les Instagramers influents, qui ont percé grâce au web, signent des contrats professionnels grâce à leur « talent ».

Chaque jour sur Instagram, des millions d’utilisateurs partagent leurs photographies et leurs vidéos. Grâce à cette application, née en octobre 2010, ils peuvent surtout commenter leurs propres clichés ou ceux des autres utilisateurs. Comme Gérard Trang ou Adrien Brunel, deux instagramers « influents », qui comptent plus de 100.000 utilisateurs pour l’un et plus de 300.000 pour l’autre, le réseau social a vu émerger de multiples « talents » ces dernières années. La publicité, les marques, ont bien compris leur pouvoir, au point que c’est vers eux que les agences se tournent aujourd’hui de plus en plus. Qui sont les Instagramers influents et qu’a changé Instagram dans leur reconnaissance ? Pourquoi la publicité leur fait-elle les yeux doux ? Europe 1 a mené l’enquête.

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Le déclic ? « Un voyage en Islande ». Sur Instagram il s’appelle « superchinois« . Ce passionné a commencé la photo sur le réseau social « il y a un peu moins de deux ans ». Le déclic ? « Un voyage en Islande », confie-t-il. Cet autodidacte de 31 ans partage alors ses photos, d’abord sur Facebook. « Comme j’ai noté que beaucoup d’amis appréciaient, je me suis inscrit sur Instagram et j’ai eu, assez vite, de bons retours. » « superchinois » privilégie « des photos qui changent un peu de l’ordinaire ». Je fais « du street », explique-t-il. Entendre : des photos de rue. Parfois, il aime bien aussi « jouer avec des objets ». Gérard Trang s’amuse notamment avec « une boule de cristal » qui lui permet de « renverser la vue », ou bien s’amuse encore avec les couleurs et les lignes. » Ses photos, qu’il ne retravaille pas toujours, lui ont valu d’être remarqué. Quelques contrats plus tard, la photo mobile lui procure aujourd’hui « un petit salaire en plus » chaque mois.

Adrien Brunel, lui, n’a jamais eu le culte de la photo souvenir. Ce graphiste, aujourd’hui indépendant, s’inscrit sur Instagram en 2010. Pour lui, le réseau social est avant tout « sa cour de récré visuelle » et c’est ainsi qu’il entend continuer de le considérer. Aujourd’hui, avec ses quelque 300.000 utilisateurs, Adrien Brunel fait lui aussi partie des « Instagramers influents ». Il faut dire que ses photos de rue, léchées, le plus souvent en noir et blancs, sont d’une frappante poésie. Comment explique-t-il son succès ? En avril 2012, quelqu’un chez Instagram « qui a dû aimer son travail », précise-t-il humblement, place son compte dans la liste des « utilisateurs suggérés. » Il y est resté plus de deux ans, de quoi lui procurer une belle visibilité. Depuis le printemps 2013, le graphiste, photographe à ses heures, a commencé à être sollicité pour des contrats professionnels.

Une agence consacrée à Instragram. « Autrefois dans la peinture, l’Académie avait reconnu les peintres comme des professionnels de l’art, ensuite il y a eu les marchands d’art avec l’impressionnisme, qui reconnaissaient des artistes, précise Laurence Allard, maître de conférence et sociologue du numérique, qui évoque l’apparition récente de « nouveaux intermédiaires dans la reconnaissance ». « A présent, les industries créatives, et notamment les acteurs du marketing, de la publicité, vont participer à la visibilité de ces nouveaux artistes de la photo mobile », analyse la spécialiste. Preuve de cette montée en puissance ? « Tribegram Lab » est la première agence française consacrée à Instagram (et aux réseaux sociaux visuels), qui met notamment en relation les instagramers influents avec des marques. Sa cofondatrice, Séverine Bourlet de la Vallée, effectue donc un travail de veille permanent, pour repérer des Instagramers qui pourraient répondre aux attentes de telle ou telle entreprise. « Il arrive que des Instagramers nous conseillent d’autres Instagramers », raconte Séverine Bourlet de la Vallée, « mais ce sont plutôt nous qui les cherchons, parce qu’on nous demande des spécialisations assez pointues. On peut avoir des recherches de petits comptes, qui sont de vraies niches, par exemple, dans le BMX (Bicycle motocross). Dans le milieu du sport notamment, on peut trouver des gens très influents. »

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Comment être un Instagramer influent ? Les professionnels recherchent les talents. Mais quels sont leurs critères ? « C’est un mélange de plusieurs critères. On pourrait considérer que le premier critère, c’est la taille de l’audience (le nombre d’abonnés), or ce n’est pas toujours le cas », assure Séverine Bourlet de la Vallée. « Il y a aussi une signature visuelle. Ce que recherchent les marques, c’est avant tout une créativité. On va donc rechercher un influenceur qui sait engager sa communauté, c’est-à-dire qui maintienne un dialogue, puisque sur Instagram, il ne s’agit pas que d’une image, mais aussi d’une conversation ».

La sociologue du numérique Laurence Allard préfère parler « d’image conversationnelle », ou « connectée ». Sur Instagram, on « s’exprime », on « met en forme, on met en scène », confie-t-elle. Pour gagner en visibilité, Gérard Trang utilise par exemple les hashtags : « Si vous êtes en de l’autre côté de la Manche, vous créez des hashtags avec les mots « Angleterre », ou « Londres ». Les photos remontent ainsi dans le fil des photos qui concernent ce thème, un peu comme sur Twitter », détaille-t-il.

Dernier critère, et non des moindres, selon la fondatrice de Tribegram Lab : « Il faut être très proactif », c’est-à-dire organiser des événements, s’y rendre et collaborer avec d’autres Instagramers, ou encore participer à des concours.

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« 0,002 centime d’euro par follower ». S’il ne dégage pas de salaire fixe avec son activité sur Instagram, Gérard Trang « discute sur une base de 0,002 centime d’euro par follower. » Une base, mise en place par Tribegram Lab, qui sert à la discussion. » Gérard Trang signe ainsi des contrats publicitaires mais reçoit aussi « des bons en nature », confie-t-il. Comme pour certains blogueurs, certaines entreprises offrent un voyage tout compris. « On y va et on prend des photos, tout simplement. » Gérard Trang a notamment travaillé avec des offices de tourisme, celui du Lot et du Cap d’Agde notamment. Avec Gore-tex, l’Instagramer a aussi signé un contrat pour réaliser des photos de montagne dans le cadre d’un concours. « Les trois quart du temps, on a carte blanche », raconte encore « SuperChinois ». « Simplement, pour Gore-tex, une marque de vêtements de montagne, je dois respecter le contexte et publier des photos de montagne », précise-t-il. Pense-t-il en vivre un jour ? « C’est encore assez difficile d’en vivre en France pour le moment. Ça va arriver, mais pour l’instant, c’est un loisir pour moi, c’est un bonus. J’ai mon travail à côté ».

Ces contrats professionnels, les Instagramers les choisissent. En 2013, parce qu’elles ne correspondent pas à sa démarche, Adrien Brunel refuse deux propositions d’une grande agence et d’une grande enseigne françaises. Il accepte finalement une première collaboration avec la maison Martin Margiela, une marque dont le style et l’éthique lui parlent. Puis il accepte une seconde collaboration, cette fois avec la maison Lanvin, qui cherche aussi à « faire quelque chose de différent ». Mais surtout, ces deux marques lui laissent « carte blanche », confie le photographe. Le deal ? Les photos, qu’il réalise « à sa façon » pour ces marques, apparaitront sur son compte Instagram. Pour les marques, c’est « une très bonne manière d’approcher les consommateurs, dans un contexte différent, sur les réseaux sociaux », précise sans mal ce graphiste, qui connaît bien les milieux publicitaires, « tout en profitant de l’audience » de ces Instagramers influents. Quant à lui, il peut se « prêter à d’autres exercices ».

La nouvelle figure culturelle, celle du « talent ». Le « picture marketing », qui cherche à créer de la valeur grâce à l’image, « s’adosse donc à des usages en faisant émerger des talents » pour faire vivre une marque, analyse la sociologue du numérique Laurence Allard. Cette reconnaissance se fait suivant les critères des réseaux sociaux : le nombre de ‘followers’, le nombre de ‘like’ etc, qui sont la preuve que tel photographe mobile est intéressant à contacter. Aujourd’hui c’est donc moins l’artiste qu’on va chercher à valoriser, que « le talent ». Le « talent est même, « la nouvelle figure culturelle » qui émane de la foule des usagers. C’est exactement la logique de la télé-réalité. L’intérêt pour la pub ? C’est « la vision des consommateurs qui est privilégiée, exactement sur le modèle de ce qui s’est passé avec les Youtubeuses ou les blogs de mode. »

Une logique de marché ? « Il ne faut pas tout de suite moraliser cette tendance », assure Laurence Allard, « mais plutôt y voir une logique de reconnaissance et de consécration artistique qui émerge de ces nouveaux marchés. » La sociologue, qui a récemment initié un colloque intitulé « Arts et mobiles », assure que « la photo mobile se réinscrit dans l’histoire de l’art mais en la retravaillant. Il y a un vrai travail créatif sur le retraitement de l’image », dit-elle, évoquant des amateurs « devenus des virtuoses, des Maîtres de l’application mobile. » Pour s’en convaincre ? Il suffit d’aller se promener sur Instagram.

Source : Europe1

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