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JO-2016: en Inde et Mongolie, les lutteuses combattent d'abord l'interdit

Rio de Janeiro (AFP) – C’est le combat commun des lutteuses en Mongolie et en Inde. Avant de venir défendre leurs couleurs sur les tapis de Rio, avec pour certaines de réelles chances de médailles, il aura fallu briser l’interdit social d’un sport considéré comme exclusivement masculin. 

Et si elles jouissent aujourd’hui d’une popularité nationale sans égale, aucune n’oublie combien elle a été conspuée avant d’atteindre ces glorieux sommets.  

« Les gens nous lançaient des regards vicieux à chaque fois que nous nous mettions en shorts pour l’entraînement », raconte à l’AFP l’Indienne Vinesh Phogat (21 ans), issue d’une famille de lutteurs prestigieux d’une ville du nord du pays, où les femmes sont en principe couvertes de la tête aux pieds.

Le parallèle est saisissant avec l’histoire de Soronzonboldyn Battsetseg (26 ans), une fille de nomades qui a défié la steppe mongole en combattant avec des garçons de son âge. Puis a vu sa vie basculer en arrachant le bronze en moins de 63 kilos à Londres, en 2012.  

« C’est plus facile pour un homme de devenir lutteur en Mongolie. Les femmes sont obligées d’être mentalement beaucoup plus fortes », assure-t-elle. 

Tumendembereliin Sukhbaatar, l’un des entraîneurs – tous masculins – du centre d’entraînement de la région d’Oulan-Bator, en convient en se souvenant de ses débuts en 2000: « Les hommes pensaient que le tapis était un lieu sacré et que les femmes ne devaient pas y être autorisées parce qu’elles étaient impures. »

– Oreilles en chou-fleur –

Tout, pour ces femmes, s’est donc joué à force de courage et de persévérance. Il aura fallu affronter les résistances, fermer les yeux, se boucher les oreilles. Et refuser de se rendre. 

Ce fut le cas de Vinesh, sa cousine Babita et sa coéquipière Sakshi Malik, qui ont grandi à Haryana et sont toutes les trois à Rio. Cette ville voisine de New Delhi est régie par de rigoureux conseils de village, au sein desquels les hommes s’assurent que les femmes ne défient en rien les valeurs traditionnelles.

Le mariage hors caste ou hors religion y est passible de punitions, y compris les crimes d’honneur. Et les avortements sélectifs ont valu à la ville le pire ratio du pays en terme de genre, avec 877 femmes pour 1.000 hommes, contre 940 dans tout le pays, selon le dernier recensement de 2011. 

Lorsque Sakshi s’est éprise de lutte vers l’âge de 12 ans, les villageois ont copieusement admonesté ses parents, arguant qu’elle finirait les oreilles en chou-fleur et deviendrait rien moins qu’impossible à marier car indésirable. « Je ne comprenais pas pourquoi les gens disaient de telles bassesses alors que j’étais encore si jeune », explique-t-elle. « Ca m’a fait douter. » 

Difficile de ne pas vaciller face à des mentalités fortes de certitudes séculaires. Comme en Mongolie, où une princesse du 13e siècle a refusé d’épouser un homme incapable de la battre au combat. Le mythe est considéré comme à l’origine de l’interdit qui frappe les lutteuses. L’histoire, rapportée en Occident par Marco Polo, a notamment inspiré Turandot, l’opéra de Puccini.

– Après l’ostracisme, les selfies –

Comment, alors, secouer une société si convaincue d’elle-même ? Le regard des Indiens a commencé à changer après la breloque en or de Geeta Phogat, la soeur aînée de Babita, aux jeux du Commonwealth 2010. Elle est devenue par la même occasion la première Indienne à se qualifier pour les JO, en 2012 à Londres.

Sakshi, quant à elle, est devenue une célébrité locale après sa médaille d’argent aux jeux du Commonwealth 2014. « C’est vraiment bizarre de voir combien les gens peuvent s’intéresser à moi maintenant que je suis devenue célèbre », se réjouit Sakshi en parlant des villageois désormais avides de selfies avec elle.

Idem en Mongolie où le sourire de Battsetseg orne désormais les panneaux publicitaires d’Oulan-Bator depuis sa troisième place à Londres, la première médaille olympique du pays depuis 1980. « Quand je rentre à la maison, les gens m’accueillent comme si j’étais le président. »

Elle sait pourtant qu’elle ne sera jamais autorisée à participer aux célébrations traditionnelles du Naadam. Si elle peut s’aligner sur l’équitation et le tir à l’arc, la lutte lui reste encore interdite.

La victoire de ces femmes est finalement peut-être ailleurs, dans cette vie improbable qu’elles ont su s’offrir alors que les attendait le carcan serré des obligations des femmes soumises. « Ma vie est très spéciale par rapport à celle de mes amies. Certaines ont fait un peu d’études avant de retourner aux travaux ménagers. Celles qui sont mariées s’occupent de leur mari et de leurs enfants », constate Sakshi.

Quant à Vinesh, sa fierté sera sans limite vendredi soir lorsqu’elle portera la tenue traditionnelle indienne. « C’est bon d’aller à la cérémonie d’ouverture, de voir notre drapeau voler haut et de s’amuser en sari », s’enthousiasme celle dont les ongles roses tranchent avec sa robuste musculature. 

« On ne porte jamais de saris ou de trucs de filles. » 

La lutteuse indienne Sakshi Malik (D) à l'entraînement le 24 mai 2016 à Lucknow. © AFP

© AFP SANJAY KANOJIA
La lutteuse indienne Sakshi Malik (D) à l’entraînement le 24 mai 2016 à Lucknow

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