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Justice: une journée dans la vie d’une avocate (1)

©Pascal Bastianaggi

Le fonctionnement de la justice est souvent mal compris et dénoncé par le grand public. Me Solenne Rebeyrol, avocate au Barreau de Papeete, nous a permis de la suivre pendant une journée de permanence, durant laquelle elle est « commise d’office » auprès de prévenus qui n’ont pas leur propre avocat. Une journée de plus de 12 heures, un véritable marathon qui se répétera durant une semaine entière. Première partie, émaillée des réflexions de l’avocate sur son métier et les problèmes de société auxquels elle est confrontée.

L’avocat de permanence, contrairement à ce que l’on peut entendre, n’est pas un avocat « au rabais ». C’est un avocat comme les autres, avec pignon sur rue, et un ou des domaines spécifiques de compétences.  Il assure ce service selon un calendrier défini à l’avance.

Tout en continuant à s’occuper de ses dossiers en cours, il faut assister et assurer la défense de personnes qui sont soit en garde à vue, soit déférées devant le procureur en vue d’une comparution immédiate (CI) ou présentées au juge d’instruction, au juge des libertés et de la détention, ou devant le tribunal correctionnel. Des journées bien remplies où l’on passe quasiment plus de temps au tribunal qu’à son domicile.

Une course de fond d’une semaine

Lundi, huit heures du matin, le Palais de justice de Papeete vient à peine d’ouvrir ses portes que déjà Me Solenne Rebeyrol parcourt les couloirs d’un pas alerte, bras chargés de dossiers et smartphone collé à l’oreille. Elle s’apprête à entamer un marathon d’une semaine en tant qu’avocate de permanence.

Pour l’avocate au barreau de Papeete, onze années à endosser la robe, la journée s’annonce chargée. Durant le week-end, les forces de l’ordre ont procédé à l’arrestation de sept personnes, chacune pour des affaires différentes. Le trio classique de la CI: vols, violences conjugales et stupéfiants.

Après les 48 heures de garde à vue réglementaires où depuis 2011, tout individu a le droit de se faire assister par un avocat, celui-ci est déféré au Palais de justice, où il doit être présenté devant le procureur qui lui signifiera son passage devant le tribunal.

En général pour des flagrants délits et des délits simples et établis où une enquête poussée n’est pas nécessaire, le prévenu sera jugé en comparution immédiate. Une procédure qui permet de juger rapidement à la suite de la garde à vue et en même temps de désengorger les tribunaux.

©Pascal Bastianaggi

De la nécessité de prendre un avocat

C’est là que Me Solenne Rebeyrol intervient, et que la course contre la montre commence, sachant que les comparutions immédiates débutent à 14 heures. Il est huit heures et il y a sept personnes dont il faut étudier les dossiers, assister devant le procureur, accompagner et défendre durant le procès.

Si pour de simples délits on peut se passer d’un avocat, ce n’est pas une bonne idée. Primo, il peut faire annuler certaines procédures. Secundo, il décrypte le langage juridique pour le rendre audible à ses clients, et tertio, le prévenu peut bénéficier d’une aide juridictionnelle pour s’adjoindre ses services. Trois bonnes raisons pour en réclamer un.

En attendant le passage devant le procureur, elle est à la recherche de ses premiers clients qui doivent être accompagnés d’une escorte policière. Pas de trace de l’escorte, elle étudie donc le premier dossier en sa possession. Une banale affaire de vol.

Le palais de justice étant dépourvu de pièces destinées aux membres du barreau, c’est sur un coin de console, dans le vestiaire des avocats, qu’elle le compulse, parmi les allées et venues de ses confrères.

À la recherche d’une faille dans la procédure

Le visage passe en mode Terminator et le regard se fait laser pour passer au scan le casier judiciaire du prévenu. Premièrement, voir à qui elle a affaire et deuxièmement relever une éventuelle récidive qui pourrait coûter cinq ans de plus à son client, ou 10 ans en cas de stupéfiants ou de terrorisme.

Puis elle étudie les procès-verbaux pour éventuellement constater qu’une pièce est manquante ou déceler une faille susceptible de faire annuler la procédure, et pourquoi pas faire libérer le prévenu. Mais c’est rare, les forces de l’ordre maîtrisant plutôt bien ce genre d’exercice.

Une vingtaine de minutes passées à éplucher le dossier, il est temps de s’entretenir avec le prévenu. Un coup d’œil dans le couloir, l’escorte est là et le prévenu assis sur le banc, menottes aux poignets.

Pédagogie et empathie

Elle se présente et lui explique qu’il va passer devant le procureur qui lui fera savoir qu’il sera jugé cet après-midi en comparution immédiate. Puis elle le questionne afin qu’il donne son point de vue sur son affaire.

Didactique, elle décrypte les hiéroglyphes du code pénal, prend son temps pour bien lui expliquer les choses, quitte à les répéter plusieurs fois, et cherche toutes les explications possibles à son geste.

Elle le conseille sur l’attitude qu’il devra adopter à la barre, ce qu’il doit dire ou passer sous silence. Elle fait à la fois preuve de psychologie et d’empathie. « Une qualité nécessaire pour bien cerner la personne à qui on a affaire, mais de laquelle il faut savoir se défaire pour prendre du recul sur le dossier », confie-t-elle.

Le temps d’étudier le dossier et de briefer le prévenu, il est près de 10 heures et il reste encore le procureur à voir.  Avant cela, il lui faut revêtir sa robe d’avocat. Accompagnée de l’escorte et du prévenu, elle arrive chez le procureur. On enlève les menottes du jeune homme, elle prend place à son coté.

Devant le procureur

Le procureur se présente au délinquant, fait les vérifications d’usage, état-civil, etc… et lui explique ce qui lui est reproché. Puis, « vous avez la possibilité de garder le silence ou de répondre aux questions. Si vous estimez avoir tout dit aux policiers, on ne va pas plus loin.»

Le prévenu indiquant qu’il n’a rien de plus à dire, le procureur lui explique que ses antécédents judiciaires l’obligent à le renvoyer devant le tribunal aujourd’hui, « Si vous n’acceptez pas d’être jugé ce jour, vous serez jugé ultérieurement et on décidera où vous irez en attendant le jugement. » 

Il peut être mis soit sous contrôle judiciaire avec obligation de pointage, ou être placé en détention en attente de son jugement. La décision sera prise dans l’après-midi au moment où son dossier sera évoqué par le tribunal. À moins qu’il accepte la CI. Ce qu’il fait. Mais il arrive que ce soit l’avocate qui le conseille afin qu’il demande un renvoi de l’affaire, si elle estime que c’est mieux pour son cas, ou pour pouvoir réunir des pièces utiles à sa défense.

Fin de l’entretien, il signe le procès-verbal de sa rencontre avec le procureur, après que Me Rebeyrol en a pris connaissance.

Caféine et dossiers comme déjeuner

Il repart avec l’escorte. Il est 10h30. Reste encore six dossiers à éplucher. Si elle n’a pas le temps de tous les lire avant 14 heures, elle avalera un café « made in distributeur », au lieu de déjeuner. Si cela ne suffit pas, elle profitera des suspensions de séance de l’après-midi pour en prendre connaissance, faute de mieux.

Dire que les journées de comparution immédiate sont synonymes de stress, c’est enfoncer une porte ouverte, mais curieusement elles se révèlent stimulantes. Un triathlon de gamberge.

 Et quand la journée se termine, « on refait le match » selon la formule consacrée.

À suivre demain, la seconde partie de notre reportage en immersion au tribunal de Papeete.

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2 Commentaires

  1. Avelina
    29 février 2020 à 13h29 — Répondre

    Royale et Majestueuse notre Avocate Solenne du Fenua.Elle s’occupe de mon dossier depuis affaire divorce,non paiement de pension et agression sexuelle sur mineure et je vous assure qu’elle est extraordinaire car elle aime son métier.Elle est Parfaite.Et je remercie le ciel de l’avoir comme Avocate.Une Ame qui nos Jours n’existe plus.Je la souhaite du repos,qu’elle profite d’etre en famille avec son epoux, son enfant afin d’etre epanouie et qu’elle puisse penser a elle.Il est temps de part son courage d’etre Épanouie de son Grand Amour pour soi.Gros bisoux Maître Vous êtes le reflet de L’Arc En Ciel.Avelina.

  2. Louis Bresson
    2 mars 2020 à 9h58 — Répondre

    Excellent reportage. Intéressant, on est impatient de lire la suite. Bravo Pascal Bastaniaggi.

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