ACTUS LOCALESPOLITIQUE

La visite présidentielle, « une carte postale pour lancer la campagne d’Emmanuel Macron »

« Déçus » par le ton jugé cocardier d’Emmanuel Macron, Oscar Temaru et Moetai Brotherson dénoncent ses propos « malhonnêtes ou mal renseignés » sur le nucléaire et une vision du monde et du Pacifique « ancrée dans le passé ».

Ce n’est pas la première fois que le Tavini Huiraatira le rappelle : quelques mois avant la présidentielle de 2017, le candidat Macron avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », de « vraie barbarie », même, lors d’une visite à Alger. « Je m’étais dit ‘enfin il y a de nouveaux hommes politiques intelligents, honnêtes, qui arrivent sur la scène’, je l’avais applaudi », assure Oscar Temaru, qui « attendait de voir ce qu’il allait dire ici ». Les trois jours de visite du Président de la République, qui a beaucoup joué sur des notes patriotiques, et parlé des lumières plus que des ombres de l’histoire franco-polynésienne, ont donc « beaucoup déçu » dans les rangs du parti indépendantiste. « J’avais l’impression d’entendre l’arrière-petit-fils du général de Gaulle », ironise l’ex-président du pays qui note que le mouvement indépendantiste, pas plus que la réinscription de la Polynésie sur la liste des territoires à décoloniser de l’ONU, n’ont été évoqués par Emmanuel Macron. « C’est inadmissible, au 21e siècle d’avoir ce discours d’il y a 60 ans, relayé par nos hommes politiques qui sont toujours là pour applaudir ».

Des foules « abêties » ou au moins « utilisées »

Et des applaudissements, Emmanuel Macron en a bien eu sur son passage, des Marquises – où il a livré « un discours du bon sauvage » pour Oscar Temaru – jusque devant les élus la présidence – « on aurait dit la Corée du Nord » – en passant par Manihi ou l’hôpital. « C’est tout un monde à désyndromiser », s’agace le chef de file indépendantiste, qui parle « d’abêtisation » organisée, comme le « génocide culturel » polynésien, sur plusieurs décennies. « Je ne juge pas ceux qui étaient en liesse, ceux qui étaient heureux de voir le Président de la République, l’accueil est dans notre tradition, nuance Moetai Brotherson. Mais ils ont été utilisés pour peindre une carte postale idyllique qui va être déversée dans tous les journaux français simplement pour faire le lancement de la campagne électorale d’Emmanuel Macron » pour la présidentielle de 2022.

« Soit il est malhonnête, soit il est mal renseigné »

Difficile de dire, pourtant, que le Tavini pouvait s’attendre à une révolution avec cette visite. Notamment sur le dossier nucléaire. Après le « coup de com' » de la table ronde, le parti bleu ciel estime que le chef de l’État n’a pas changé de ligne par rapport à ses prédécesseurs, et doute de sa sincérité à vouloir faire justice aux victimes. « Si le chef de l’État avait la volonté d’aller au plus près de victimes comme il l’affirme, au lieu de mettre en place une nouvelle usine à gaz, il subventionnerait l’association 193, qui a des antennes partout », pointe Moetai Brotherson qui « vérifiera » les annonces d’augmentation de moyens pour le Civen lors du vote de la loi de finances en fin d’année. Pour le député, dont la proposition de loi sur l’indemnisation et la réparation du nucléaire a été rejetée par la majorité LREM à l’Assemblée nationale, fin juin, le discours final du président sur le sujet était tout simplement « inadmissible ». « Quand il nous dit qu’il n’y a pas de mensonge d’État et que les militaires étaient exposés comme les Polynésiens aux radiations, soit il est malhonnête, soit il est mal renseigné, reprend le parlementaire. Le soldat de base, en short et chemisette, c’est vrai a été exposé et on lui a menti, comme aux Polynésiens. En revanche les gradés, eux, ils étaient dans des bunkers avec des murs de plusieurs mètres d’épaisseur ». Aucun doute pour le Tavini, l’État et l’armée « savaient ».

« Les Chinois n’ont jamais envahi qui que soit »

Enfin, c’est sur la géopolitique, cœur du discours final d’Emmanuel Macron, que le Tavini a tenu à réagir. Non pas que le parti indépendantiste ne partage pas l’analyse sur l’intérêt stratégique du fenua au sein de ce que l’État appelle « l’axe Indo-Pacifique » : « ça fait bien longtemps qu’on dit que nous nous trouvons au barycentre du nouveau monde », rappelle Moetai Brotherson. Mais l’idée selon laquelle seule la France et sa force militaire peuvent protéger la Polynésie contre les appétits d’autres puissances agace. « Malheur aux petits, malheur aux isolés… » avait lancé Emmanuel Macron. « Indigne d’un chef d’État européen », juge le député qui rappelle, au passage, que « le rapport asymétrique entre la France et la Polynésie, est le même ratio qu’entre la Chine et la France ».  Et de dénoncer une approche « patrimoniale » des rapports entre les peuples : « en fait il dit : si la Polynésie appartient à la France on vous protégera, et sinon démerdez-vous ». Pour le Tavini, la Polynésie peut s’épanouir, dans le monde et dans sa région « en traitant d’égal à égal » avec les autres nations, dont la France. Oscar Temaru est, comme souvent, plus direct : la menace chinoise n’est qu’un leurre – « les Chinois n’ont jamais envahi qui que ce soit », dit-il – n’en déplaise aux Tibétains – et le soutien de la France, un trompe-l’œil : « On peut avoir tout ça sans contreparties, sans se prostituer, sans se prosterner devant ces couillons ».

Article précedent

JO de Tokyo : grosse déception pour Teddy Riner, battu en quart de finale

Article suivant

60 ans du statut de Wallis et Futuna : « La République continuera d’être avec vous » assure Emmanuel Macron

3 Commentaires

  1. Moe
    29 juillet 2021 à 20h19 — Répondre

    Il est vrai que la stérilisation massive des femmes ouïghoures en Chine, ce n’est pas de la colonisation à proprement parler.

  2. 30 juillet 2021 à 10h14 — Répondre

    Macron est venu surtout glaner des voix pour 2022 et les promesses faites ne seront pas tenues. Il refile le « saucisson » au prochain élyséen.

  3. 30 juillet 2021 à 12h11 — Répondre

    La statue de la liberté qu’Oscar met en avant, sait-il qu’elle a été crée et construite par Frédéric Auguste Bartholdi, un FRANÇAIS qui l’a offerte à l’Amérique en 1915 ? Et oui un français et la statue de la Liberté à l’entrée du Port de New York, alors que les Américains ont été les premiers à « offrir » la bombe à Hiroshima et Nagasaki, et Bkini en parle-t-on ? M.Temaru l’association 193 s’est postée sur le passage du Président et ce dernier s’est arrêté pour avoir avec eux un dialogue intelligent et correct sans aucune agressivité où étiez vous M.Temaru ? Avez vous tenté de contacter le Président Macron ? Je ne pense pas non ! Car après coup on a subitement un tas de reproches et de griefs à mettre en avant, mais après le départ du Président Macron c’est plus facile et plus courageux de s’exprimer, dans l’excès comme toujours.

Laisser un commentaire

PARTAGER

La visite présidentielle, « une carte postale pour lancer la campagne d’Emmanuel Macron »