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L’affaire du Street Shop en cour d’appel

La fameuse affaire du Street Shop de Papeete qui mettait à la vente des graines de cannabis de collection et d’autres objets estampillés de feuilles de cannabis passait en appel ce jeudi. Un appel qui portait plus sur la forme de l’affaire que sur le fond. Au menu des questions prioritaires de constitutionnalité, des demandes d’annulation de procédure. Le délibéré sera rendu le 28 mai.

Le bruit fait autour de cette affaire avait résonné partout en Polynésie. Pour certains c’était beaucoup de bruit pour pas grand-chose, pipettes et autres objets estampillés d’une feuille de cannabis étant monnaie courante dans pas mal de boutiques à Tahiti comme les stations-services, tabacs, etc… Pour d’autres, notamment les autorités judiciaires, c’était le symbole même de la provocation à l’usage de stupéfiants.

Il faut dire que le gérant du Street Shop, ouvert en février 2018, rue des écoles à Papeete, et qui proposait à la vente des pipettes, des grinders et autres objets, ainsi que des graines de cannabis de « collection », avait fait les choses en grand pour l’ouverture du magasin. Inauguration en fanfare, publicité et distribution de goodies. Bref, de quoi chatouiller quelque peu les nerfs des forces de l’ordre et de la justice.

Quoi qu’il en soit, les trois hommes à l’origine de ce commerce avaient été poursuivis par la justice en avril 2019,  pour « détention et vente non autorisée de stupéfiants » et « provocation à l’usage ou au trafic de stupéfiants ».

Le délibéré rendu un mois plus tard condamnait Nicolas Veyssiere, fournisseur et financier du Street Shop à 15 mois de prison avec sursis, Cédric Tournier, gérant du shop à 10 mois avec sursis et Anthony Tutard, commercial et livreur, à 8 mois avec sursis.

Si le tribunal avait relaxé les trois hommes sur le chef de « détention et vente non autorisée de stupéfiants » en l’occurrence les graines de cannabis dites « de collection » autorisées à l’époque et puis interdites par un arrêté, en revanche il a retenu la « provocation à l’usage ou au trafic de stupéfiants ». C’est sur ce point que deux des trois accusés, Nicolas Veyssiere et Anthony Tutard, ont fait appel. Leurs avocats estimaient que « la vente de graines ou de produits à l’effigie d’une feuille de cannabis n’est pas une provocation à la consommation ».

L’atteinte à la liberté d’expression en question

Ce jeudi en appel, Me Millet, le conseil de Nicolas Veyssiere qui est actuellement en métropole, a fait part de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC)*. La première concerne la liberté d’expression. Pour Me Millet, le fait d’interdire la provocation à l’usage de stupéfiant et la présentation de l’usage de stupéfiant de manière favorable, porte atteinte à la liberté d’expression de manière excessive. Et d’argumenter : « Dans une société démocratique il faut pouvoir débattre des éventuels avantages d’un stupéfiant, et on sait aujourd’hui que le cannabis a des vertus thérapeutiques. Une loi a d’ailleurs été votée pour autoriser l’usage thérapeutique du cannabis. » Pour lui, « il est important d’en débattre librement sans craindre de tomber sous le coup d’une loi pénale. »

La deuxième question concerne l’absence de précision sur la provocation à l’usage de stupéfiants. « En matière de provocation à usage d’alcool, il y a une série de textes qui précise quels objets peuvent être provoquants ou quel message incitatif peut être incriminé, alors que pour les stupéfiants il n’y a aucune précision et aujourd’hui on ne se sait pas ce qui peut être vendu ou pas, notamment en termes de pipettes ou bong ou tout article de fumeurs qui peuvent être utilisés à des fins de consommation de stupéfiants. »

Pour le procureur, en ce qui concerne l’atteinte à la liberté d’expression, il estime qu’il « n’est pas reproché au prévenu d’exprimer son opinion, mais de faire une opération commerciale en attirant le client. (…) Dans ce dossier, la liberté d’expression doit s’effacer devant la santé publique. » Sur la provocation à l’usage de stupéfiants, « l’usage hors champ médical est réglementé ». Et de demander le rejet de ces deux QPC.

Ce sera au tribunal de trancher sur la nullité de ses deux QPC. En cas d’acceptation, elles seront transmises au Conseil constitutionnel pour étude.

Demande d’annulation de la procédure

Sur la forme du dossier, Me Millet a quelque peu égratigné Mario Banner, le directeur de la DSP, en soulevant « de très nombreuses nullités. (…) On a constaté que le commissaire en charge de l’enquête avait fait des déclarations à la presse qui démontrent une partialité et un parti pris à l’encontre de l’activité de nos clients que nous jugeons contraire à l’obligation d’impartialité qui s’impose à un enquêteur. Et nous demandons la nullité de l’enquête. » Pour l’avocat, « ce parti pris a généré un certain nombre de problèmes dans la procédure », s’exclamant « 96 heures de garde à vue et 10 heures d’interrogatoire, c’est énorme. Cela pour moi devrait faire annuler la procédure. »

Avis que ne partage guère le procureur qui, sans surprise, demande le rejet de la demande d’annulation de la procédure. Il estime que les enquêteurs ne doivent pas faire part « d’impartialité, mais d’objectivité.» Quant à la nullité de la garde à vue, « la prolongation de la garde à vue est justifiée au vu des infractions qui lui étaient reprochées. »

Même peines qu’en première instance requises

« Il est reproché à Anthony Tutard et Nicolas Veyssiere la provocation à l’usage ou au trafic de stupéfiants » rappelle le procureur poursuivant, « ils ont commercialisé des objets estampillés d’une feuille de cannabis dont l’usage ne peut laisser aucun doute… Ce sont des produits pour des consommateurs de paka. » Et de marteler, « nous sommes bien sur des faits de provocation à l’usage ou au trafic de stupéfiants. Ils ne peuvent pas douter de la destination des produits qu’ils vendent. » Il requiert contre Nicolas Veyssiere 15 mois de prison assorti en totalité d’un sursis probatoire avec une amende d’un million de Fcfp et pour Anthony Tutard, huit mois avec sursis.

« Je n’ai jamais vu un délinquant demander l’autorisation pour commettre un délit. »

Pour la défense de Nicolas Veyssiere, Me Millet estime que s’il y a eu des poursuites dans ce dossier, « c’est à cause de la vente de graine de cannabis. Est-ce que le fait d’avoir conscience que les graines puissent être détournées fait que l’on commette une incitation ? On est dans l’hypocrisie. » Pour appuyer sa plaidoirie il évoque les longues feuilles de papier à rouler vendues un peu partout « qui ne font l’objet d’aucune poursuite, alors que l’on sait très bien à quoi elles sont destinées. »

Demandant la relaxe pour son client, il précise, « je n’ai jamais vu un délinquant demander l’autorisation pour commettre un délit. » De fait, le prévenu avait obtenu le permis d’importation des douanes pour ses graines.

Pour Me Varrod qui défend les intérêts d’Anthony Tutard, « Mon client n’a jamais diffusé de messages incitatifs à la consommation de stupéfiants. » Pour preuve, il cite des clients du magasin interrogés à la sortie du Street Shop par la DSP, lesquels ont déclaré « On nous a dit que c’était interdit de les planter et que de toutes façons, elles ne poussaient pas. ». Il demande la relaxe assurant que « l’usage qui a été fait ou sera fait de ces graines ne dépend pas de mon client. »

Le délibéré sera rendu le 28 mai.

*La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est le droit reconnu à toute personne, partie à un procès, de soutenir qu’une disposition législative est contraire aux droits et libertés que la Constitution garantit.

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