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Le Cesec et l’IVG : un débat d’un autre âge

Le Conseil économique, social, environnemental et culturel a rendu ce jeudi matin un avis favorable au projet de loi du Pays relatif à l’interruption volontaire de grossesse, qui en met à jour les modalités pratiques, sans pourtant améliorer vraiment la lisibilité de la réglementation. Un débat assez pénible dans lequel seuls les hommes se sont exprimés, souvent hors sujet.

Chaque année environ 1 000 IVG sont pratiquées en Polynésie, des chiffres stables depuis une dizaine d’années. 60% sont réalisées par voie médicamenteuse, praticable jusqu’à la 5e semaine de grossesse (contre 76% dans le reste de l’ensemble français, outre-mers inclus). Les IVG instrumentales sont possibles jusqu’à 12 semaines de grossesse, et bien sûr plus tard si la vie de la mère est en danger. La grande majorité des IVG concernent des femmes adultes. « Ce sont souvent des erreurs de contraception, un préservatif qui craque, une pilule oubliée, ou même une grossesse sous pilule, ou alors que la femme allaite encore, ça peut arriver », explique le Dr Wiart. Mais le Pays n’a pas fourni de données statistiques complètes, regrette le CESC.

Le texte vise principalement à mettre à jour la réglementation locale, qui « est demeurée figée depuis 2002 », indique le Cesec. Mais le co-rapporteur du projet d’avis, le Dr Wiart, estime le texte proposé maladroit, car les règles relatives à l’IVG restent éparpillées : « Il faut absolument que ce soit un texte qui regroupe tout, il y a des délibérations, des lois de Pays, le code de la santé publique…On s’y perd, heureusement qu’on avait un juriste avec nous. » Le Cesec souhaite donc que la loi du Pays reprenne toutes les dispositions législatives qui s’appliquent à la Polynésie française ou précise clairement les articles du code de la santé publique auxquels la loi du Pays doit faire référence.

Le projet de loi grave donc dans le marbre des dispositions nationales étendues aux collectivités françaises du Pacifique depuis 2008 et 2016 (pour certaines, à la demande de l’assemblée de la Polynésie) et qui faisaient déjà l’objet de circulaires.  L’obligation de consultation psychosociale préalable à l’IVG est supprimée pour les femmes majeures – elle reste obligatoire pour les mineures, et systématiquement proposée à toutes. Les deux consultations médicales sont maintenues (la première à des fins d’information, la seconde pour recueillir le consentement écrit et déterminer le type d’IVG pratiquée) mais le délai entre les deux est supprimé pour les femmes majeures, et réduit à 48 heures minimum pour les mineures – une disposition à laquelle le Cesec n’est pas totalement favorable. Les  sages-femmes pourront pratiquer les consultations préalables et les IVG médicamenteuses. Le Cesec souhaite que les sages-femmes soient formées à ces actes, et que « la délivrance des médicaments nécessaires à la réalisation de l’IVG médicamenteuse soit étendue à toutes les pharmacies » et non pas cantonnée aux pharmacies internes des hôpitaux et cliniques. Enfin, les établissements hospitaliers doivent disposer de locaux de consultation et de surveillance distincts de ceux de la maternité.

« Tiraillements » entre religion et soutien à l’IVG

Le Dr J.-F. Wiart, président de la commission santé du Cesec. ©CP/Radio1

Si le texte étudié ne concernait que les modalités pratiques sans remettre en question le droit à l’IVG lui-même, ce que le président du Cesec et les rapporteurs ont du rappeler à plusieurs reprises, le Dr Jean-François Wiart reconnaît qu’en Polynésie il y a encore de fortes oppositions, et aussi des tiraillements du fait des positions anti-IVG des confessions religieuses.

Le seul conseiller qui ait voté contre le texte, Jaros Otcenacek, n’a pas dérogé à un exercice relativement fréquent au Cesec, le hors sujet : « On est en train de mettre la CPS en difficulté, s’est-il exclamé, on va ouvrir la porte à la faillite de la CPS », comme si 1 000 avortements annuels dont 600 consistent en une prise de comprimés allaient couler le système de soins, sans qu’il ne s’inquiète du coût matériel et social de mettre au monde des enfants non désirés, de les soigner et de les éduquer. « La population est vieillissante, on veut faire venir des travailleurs (une interprétation erronée d’un récent rapport de l’ISPF, ndlr). Je ne peux pas cautionner la mort de la population polynésienne. » 47 ans après la loi Weil – que la Polynésie n’a transposé localement que 28 ans plus tard – le droit des femmes à disposer de leur propre corps reste un concept difficile à saisir pour certains, qui auraient sans doute mieux fait d’aller à la pêche.

D’autres voix se sont élevées pour demander que l’information et l’éducation sexuelle soient élargies, « particulièrement pour les filles ». « Ça a toujours été comme ça, soupire le Dr Wiart. Le garçon se contente de mettre le préservatif … parfois. Comme ce sont les filles qui sont enceintes, c’est à elles de faire le plus attention. Mais on ne peut pas incriminer la jeune fille qui n’a pas été éduquée correctement. » Le fait que les mineures puissent avoir recours à l’IVG, avec un référent majeur mais sans en informer leurs parents, ne passe toujours pas chez certains. Le Dr Wiart rappelle que cette confidentialité est primordiale dans des cas extrêmes, comme l’inceste.

À l’issue des débats durant lesquels aucune femme ne s’est exprimée, le projet d’avis a été adopté par 36 voix pour, une voix contre, et 6 abstentions, celles des syndicalistes. Reste à espérer que l’assemblée de la Polynésie prendra de la hauteur lors de l’examen prochain du texte.

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