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Le "webtoon" grinçant d'un transfuge nord-coréen à Séoul

Séoul (AFP) – Comme beaucoup de Nord-Coréens passés au Sud, Choi Sung-Guk a ressenti le besoin de raconter son histoire. Mais quand les autres publient des mémoires déchirants, lui poste des bandes dessinées grinçantes qui font un carton en ligne.

Fort de son talent d’illustrateur, il a trouvé sur internet le support parfait pour toucher un jeune public zappeur qui, si le format avait été différent, n’aurait pas forcément suivi les tribulations d’un trentenaire nord-coréen en Corée du Sud.

Après avoir fabriqué pendant huit ans des dessins animés dans les studios d’animation nord-coréens SEK, Choi Sung-Guk, 36 ans, publie désormais chaque semaine un « webtoon » (mot-valise qui associe web et « cartoon » et désigne ces BD publiées en ligne) sur Naver, premier portail internet sud-coréen.

Le titre de son webtoon, « Rodong Simmun » (« Interrogation sur le travail »), est un détournement du nom du principal organe du parti au pouvoir à Pyongyang, le Rodong Sinmun (Journal du Travail). 

Il raconte les péripéties de la vie en puisant dans son vécu à Séoul, où il est arrivé en 2010.

« On me poussait à tenter le coup, mais je pensais qu’il serait impossible de me faire une place parmi des milliers d’auteurs de webtoons », raconte M. Choi dans son bureau de Séoul. « Mais l’accueil a été phénoménal ».

Publiées depuis mai, ses bandes dessinées attirent chaque semaine en moyenne 20.000 internautes et des critiques dithyrambiques.

– Impératif de légèreté –

Leur héros est Yong-Chol, un transfuge d’une vingtaine d’années dont les efforts d’intégration sont illustrés avec un humour souvent grinçant et parfois carrément noir.

Beaucoup de planches traitent du fossé culturel entre Nord et Sud-Coréens. Ainsi cet épisode où Yong-Chol prend un banal geste de politesse d’une collègue pour une déclaration d’amour et la demande en mariage après le premier rendez-vous.

Plus sombre, cette séquence dans un bâtiment du Service national du renseignement (NIS), où les transfuges passent plusieurs mois pour vérifier qu’ils ne sont pas des espions.

Le héros gamberge en attendant fébrilement son interrogatoire, convaincu qu’on va le torturer. Mais au final, les agents du renseignement reviennent simplement lui apporter un café.

Dans la marge, des annotations de l’auteur sur la vie au Nord. « Quiconque est interrogé doit marcher en regardant ses pieds avec interdiction d’établir de contact visuel avec autrui », explique l’une d’elles.

Le style et le ton tranchent avec l’archétype de l’autobiographie du transfuge, souvent un récit déchirant de persécution, de souffrance et d’évasion, écrit par un nègre.

Choi Sung-Guk explore de façon personnelle ce qui rapproche les Coréens des deux côtés de la frontière. Et ce qui les sépare.

« Je ne cherche pas à établir ce qui est bien ou mal. Je veux montrer en quoi nous sommes différents, mais aussi semblables », explique-t-il à l’AFP.

Avec un impératif de dérision et de légèreté: « Sur internet, les gens ne restent pas si les choses sont trop sérieuses ou poignantes. L’humour aide le public à s’identifier ».

– Son ‘travail de rêve’ à Pyongyang –

Ses dessins paraissaient initialement dans un magazine mensuel publié par Koreaura, la maison d’édition où il travaille à Séoul. Sans trouver son public.

« Notre lectorat est limité », reconnaît Park Chang-Jae, le fondateur de Koreaura qui a encouragé Choi Sung-Guk à publier sur Naver car « internet n’a pas de frontières ».

Les studios SEK où Choi Sung-Guk a travaillé en Corée du Nord ont une réputation internationale pour avoir notamment contribué à des cartons planétaires comme « Le Roi Lion » ou « Pocahontas ».  

Ils furent aussi le lieu de travail de l’auteur canadien Guy Delisle dans la bande dessinée autobiographique « Pyongyang » (L’Association, 2003).

M. Choi dit avoir eu là-bas un « travail de rêve », agrémenté par des rations mensuelles garanties de viande et de sucre. Mais il a déchanté en découvrant le salaire des étrangers travaillant dans le même studio.

Après sa démission, il a fait « beaucoup d’argent » en vendant sous le manteau des DVD pirates, jusqu’à ce qu’il se fasse prendre en 2006. Ce délit est habituellement sévèrement puni au Nord, mais il s’en est sorti sans trop de dommages car certains de ces anciens clients étaient de puissants responsables du régime.

Banni de Pyongyang, il a ensuite travaillé comme formateur en informatique hors de la capitale, avant de rejoindre la Corée du Sud via la Chine en 2010.

Depuis deux ans, il participe à une émission sur YouTube dédiée à la vie des Nord-Coréens qui ont fait défection. 

Lors de chaque émission, M. Choi fait parler son talent en dessinant une scène de la vie du Nord, puis il en discute avec un autre transfuge.

La chaîne YouTube où est diffusée l’émission compte plus de 21.000 abonnés, dont un grand nombre de Coréens de la diaspora, installés pour certains jusqu’aux Etats-Unis.

Le transfuge nord-coréen Choi Sung-Guk dessine une BD comique à Seoul, le 9 août 2016. © AFP

© AFP JUNG YEON-JE
Le transfuge nord-coréen Choi Sung-Guk dessine une BD comique à Seoul, le 9 août 2016

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