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Les Américains sont fous de "RBG", leur juge octogénaire

Washington (AFP) – Avec ses dentelles et son vocabulaire précieux, la magistrate américaine Ruth Bader Ginsburg semble débarquer d’une époque révolue dans le décorum austère de la Cour suprême des Etats-Unis. Comment expliquer alors sa surprenante popularité ?

« RBG », ainsi qu’on la surnomme, est un réjouissant mystère. A 83 ans, la doyenne de la vénérable institution ne peut plus faire un pas sans que des fans l’arrêtent pour un selfie.

Son regard sévère, surmonté d’un chignon, s’affiche sur des sacs de plage, des pins, des tee-shirts, des albums pour enfants ou des tasses à café.

Telle une rock-star, elle est sollicitée par les grands médias et jusqu’aux journaux populaires, qui ont rapporté ces derniers jours la sortie de « My Own Words », un recueil de ses écrits et discours. Pas vraiment le style roman de gare, la juge progressiste étant connue pour son intellect supérieur et ses argumentaires ciselés.

« Cela me fait sourire. A 83 ans, tout le monde veut me prendre en photo! », a récemment confié à Yahoo! Mme Ginsburg, devenue malgré elle une icône des réseaux sociaux.

Rencontrée à Washington au salon « Tattoo Paradise » où elle travaille, l’artiste tatoueuse Nikki Lugo s’émerveille encore de la commande inédite que lui a passée une jeune étudiante en droit: un tatouage sur l’épaule de RBG, en robe noire de magistrate.

– ‘Elle est phénoménale’ –

Une oeuvre qu’elle a réalisée en couleur et lui a valu d’être interviewée par plusieurs télévisions, intriguées par le culte voué à l’octogénaire.

RBG, confie à l’AFP Nikki, « elle est phénoménale, comme une vedette pop, elle est immense ». Un paradoxe quand on sait que la juge mesure 1,54 m, tout en étant régulièrement classée parmi les femmes les plus influentes du monde.

Avec ses débats ultra techniques, la Cour suprême ne passionne pourtant guère les Américains. Ils ignorent presque tout des juges qui y siègent. Ceux-ci sont huit au lieu de neuf, depuis le brusque décès en février d’Antonin Scalia, un pilier conservateur.

M. Scalia était l’ami de RBG, malgré leurs convictions opposées. Ils partageaient une passion pour l’opéra et, sur une photo jaunie, on les voit assis dans un palanquin, à dos d’éléphant, en voyage en Inde.

Mme Ginsburg, nommée en 1993 par le président Bill Clinton, est l’une des trois femmes de la Cour suprême. Mais on pourrait aussi bien considérer que la haute cour compte sept juges d’un côté et… RBG de l’autre.

Car depuis toujours cette femme creuse son sillon en franc-tireur, dégommant les préjugés sexistes.

Mariée à 21 ans, elle s’est lancée dans les études à une époque où les amphithéâtres de droit étaient quasi-exclusivement remplis d’hommes.

D’abord passée par Harvard, RBG termine major ex aequo de sa promotion de la tout aussi prestigieuse université Columbia. Et se voit proposer… zéro offre de recrutement par les cabinets new-yorkais !

« J’avais trois choses contre moi. Premièrement, j’étais juive. Deuxièmement, j’étais une femme. Mais le pire, j’étais la mère d’une enfant de 4 ans », a-t-elle relaté à CBS.

De 1972 à 1978, Ruth Ginsburg plaide six fois à la Cour suprême contre la discrimination sexuelle. Elle remporte cinq victoires qui ébranlent la société américaine, fondée sur le patriarcat familial.

– Jabot Madame ! –

Quarante ans plus tard, quand on lui demande: « Quand serez-vous satisfaite du nombre de femmes à la Cour suprême? », elle répond avec malice: « Quand il y en aura neuf ».

Mais, si RBG est aujourd’hui tant admirée, ce n’est pas seulement car elle fut cette pionnière de la lutte pour l’émancipation des femmes.

Elle a épousé d’autres évolutions de société, se rapprochant des jeunes sur des questions comme l’avortement, la peine de mort ou le mariage homosexuel.

Une modernité saluée dans un livre de 2015 intitulé « Notorious RBG », en référence à Notorious B.I.G., célèbre rappeur assassiné en 1997 à Los Angeles.

RBG, c’est aussi un look suranné inimitable: des gants de maille fine, d’imposantes boucles d’oreille, un jabot en mousseline. Et soudain, métamorphose ! La voilà dans une salle de gym portant un sweatshirt « Super Diva »!

Car le secret de longévité de RBG s’appelle Bryant Johnson. Ce Noir athlétique est son entraîneur personnel, au rythme de deux rendez-vous par semaine.

Avec lui « je fais 10 pompes, puis je respire, puis j’en fais dix autres. Puis +la planche+, que je trouve plus difficile, durant 30 secondes, puis je me relâche, et 30 secondes supplémentaires », a-t-elle raconté à Yahoo!.

En juillet dernier, RBG s’est affranchie de son devoir de réserve pour traiter d' »imposteur » Donald Trump, dont elle a raillé l' »égocentrisme ». Des propos qu’elle a dit ensuite regretter.

Mais en vérité RBG n’a de comptes à rendre à personne: elle a grimpé tous les échelons de la hiérarchie judiciaire, vaincu deux cancers, élevé deux enfants et enterré en 2010 son mari bien aimé, Marty.

Que Hillary Clinton remporte la Maison Blanche ou pas, RBG continuera à incarner le droit au féminin, dans le Temple de la justice où elle a été nommée à vie.

Dans un argumentaire fin juin, Mme Ginsburg a écrit en français « faute de mieux ».

Cette expression, connue seulement d’une infime minorité d’intellectuels en Amérique, a plongé dans la perplexité les spécialistes qui suivent la Cour suprême.

Les recherches en ligne de « faute de mieux » ont bondi de 495.000% au matin du 27 juin, a rapporté le dictionnaire Merriam-Webster. Mme Ginsburg a dû en rire sous cape.

La juge de la Cour suprême américaine Ruth Bader Ginsburg à Washington, le 6 décembre 2015. © AFP

© AFP/Archives CHRIS KLEPONIS
La juge de la Cour suprême américaine Ruth Bader Ginsburg à Washington, le 6 décembre 2015

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