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Les délais de prescription doublés pour les crimes et délits

Paris (AFP) – Le Parlement a définitivement adopté jeudi la proposition de loi doublant les délais de prescription pour les crimes et délits, une réforme attendue depuis plus de dix ans sur l’équilibre délicat entre la nécessaire réparation et le jugement dans un délai raisonnable.

Le texte, adopté à main levée par les députés, était cosigné, fait rare, par un député radical de gauche ancien avocat, Alain Tourret, et un député LR ancien magistrat, Georges Fenech.

Il porte de dix à vingt ans le délai de prescription de l’action publique en matière criminelle à partir de la commission des faits. Pour les délits de droit commun, le délai doit passer de trois à six ans.

Le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a vanté au cours des débats une réforme « nécessaire », tant « le droit de la prescription, hérité du code d’instruction criminelle de 1808, était devenu complexe ». Il a loué jeudi un texte permettant de « faire bouger de manière intelligente ce qui reste quand même l’un des fondamentaux de notre droit ».

Pour M. Tourret, le droit de la prescription était devenu « un chaos » au fil des dérogations législatives et des arrêts de la Cour de Cassation.

« Une véritable schizophrénie s’est établie entre d’une part ceux qui voulaient faire appliquer la prescription et d’autre part le refus absolu de l’opinion publique, et des victimes en particulier, d’admettre la prescription (…) Soit on abandonne la prescription, soit on fait une loi claire », avait-il martelé au début des débats il y a un an.

Preuve de la difficulté du sujet, le syndicat de la magistrature (SM, gauche) avait signifié mardi dans une lettre aux parlementaires son opposition à cet allongement des délais, arguant que « les bonnes intentions ne feront pas une bonne législation ». 

« La prescription n’est pas un ennemi de la Justice, elle est au contraire un de ses piliers », avait expliqué le syndicat en soulignant « les traductions concrètes » de cet allongement: constatations matérielles « plus difficiles », « fragilité » des témoignages, avec au bout le risque « de condamner à tort » ou de prononcer « un non-lieu quelle que soit la crédibilité de la parole de la victime ».

– Infractions « occultes » –

Georges Fenech a reconnu jeudi que cet allongement entraînerait un surcroit de travail pour les tribunaux mais, a-t-il dit, « la prescription ne doit pas être un moyen de régulation des flux judiciaires ». 

Entérinant la jurisprudence de la Cour de cassation (constante depuis 1935 selon M. Fenech), la loi prévoit le report du point de départ des délais de prescription pour les infractions « occultes » ou « dissimulées ».

Dans ces dossiers essentiellement économiques et financiers, la prescription ne courra pas à partir de la commission des faits mais à compter du moment où « l’infraction est apparue et a pu être constatée ». Les parlementaires ont toutefois introduit une date butoir de 12 ans (après la commission de l’infraction) pour les délits et de 30 ans pour les crimes.

« Ce n’est pas rétroactif, donc cette limite de 12 ans n’aura aucun impact sur les dossiers en cours », a souligné M. Fenech dans une allusion à l’affaire Fillon où les investigations portent sur des faits qui remontent jusqu’à 1986. 

Le texte maintient les délais allongés pour certaines infractions d’une particulière gravité (crimes ou délits commis sur les mineurs, crimes ou délits de nature terroriste), même si l’UDI ou le Front de gauche ont notamment plaidé en vain pour allonger encore ceux des crimes, notamment sexuels, à l’encontre de mineurs, ou les agressions sexuelles. Une mission « de consensus » confiée par le gouvernement à l’animatrice Flavie Flament -qui a révélé avoir été violée adolescente- doit rendre ses conclusions fin mars.

Les seuls crimes imprescriptibles resteront les crimes contre l’humanité. « Plus on allonge le délai de prescription, plus on s’approche de l’imprescriptibilité, réservée aux crimes contre l’humanité, et là c’est très dangereux car on banalise les crimes contre l’humanité », a mis en garde M. Tourret.

Le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas à l'Assemblée nationale, le 8 février 2017. © AFP

© AFP MARTIN BUREAU
Le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas à l’Assemblée nationale, le 8 février 2017

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