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« Les disparitions des étudiants cristallisent la colère des Mexicains »

© Reuters

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3 QUESTIONS A – De crime d’envergure, l’enlèvement de 43 étudiants mexicains à Iguala est devenu une affaire d’Etat au Mexique. Gaspard Estrada nous explique pourquoi.

Ils étaient venus manifester, on les a retrouvés, sans vie, dans des fosses communes. En septembre dernier, 43 étudiants ont soudainement disparu dans la région d’Iguala, dans le sud du Mexique, alors qu’ils défilaient dans les rues de la ville pour protester contre leurs conditions de vie. Les enquêteurs affirment qu’ils ont été assassinés sur ordre du maire et de sa femme, avec l’appui des cartels, très puissants dans la région.

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Si l’enquête a permis de commencer à faire la lumière sur cette affaire politico-criminelle sans précédent, elle n’a pas calmé la colère des Mexicains, excédés par les abus de pouvoirs de ses politiciens et sceptiques quant à la capacité des autorités de faire respecter la Loi. Gaspard Estrada, analyste à l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes de Sciences Po, explique à Europe1.fr comment ce crime a peu à peu cristallisé toutes les tensions politiques mexicaines.

Pourquoi la disparition des 43 étudiants d’Iguala a-t-elle eu un tel écho dans l’opinion publique mexicaine ?

C’est vrai que ça pourrait paraître étonnant tant l’assassinat au Mexique n’est pas une nouveauté. Le pays est accoutumé à un climat de violence et au crime organisé. Sous le précédent président Vicente Calderon (entre 2006 et 2012), 70.000 personnes ont été tués à cause du narco-trafic. En fait, cette affaire d’Iguala cristallise les tensions au Mexique pour d’autres raisons que la seule violence.

Lesquelles ?

L’évènement a pris de l’ampleur d’abord parce que les victimes sont des étudiants. Mais ces assassinats font aussi écho dans la mémoire mexicaine, puisqu’en 1968, plusieurs milliers d’étudiants manifestaient déjà à Mexico. L’armée avait alors ouvert le feu et tué des centaines d’entre eux. L’affaire récente, où les assassinats ont été visiblement commandités par un responsable local, ramène donc les Mexicains 45 ans en arrière.

Ensuite, cette affaire a beaucoup interpellé parce que le maire, membre de la gauche, est censé représenter l’opposition, et donc soutenir les étudiants. Or, c’est lui qui a organisé la répression. Enfin, l’affaire pose la question de l’impunité puisque, même s’ils ont finalement été capturés, le maire et sa femme ont échappé pendant plusieurs semaines aux enquêteurs.

Comment cette affaire de disparition a-t-elle basculé du fait-divers macabre à la crise d’Etat ?

L’affaire a toujours eu un volet politique puisqu’elle implique un maire. Le fait qu’il soit de gauche, qu’il doive normalement être du côté des étudiants, n’a rien arrangé. Ensuite, le lien avec les cartels (débauchés par le maire et son épouse pour assassiner les étudiants) a contribué à intéresser la presse mondiale. Les échecs policiers et la médiatisation internationale ont achevé de focaliser les regards sur les problèmes de violence au Mexique, oubliés ces dernières années. C’est cette prise de conscience qui fait de ces assassinats une affaire d’Etat.

Cette affaire a-t-elle suscité la défiance des Mexicains contre la gauche ou contre la classe politique en général ?

Les politiciens, et plus largement les autorités, sont critiqués à tous les étages. L’Etat du Guerrero où se situe Iguala n’a pas été épargné puisque le gouverneur a démissionné. Le pouvoir de l’Etat mexicain est aussi remis en question, d’abord à cause de l’inefficacité de la police et de la lenteur avec laquelle avance l’enquête, mais aussi à cause de l’attitude du président Pena Nieto (en place depuis 2012). Il est à 40% de popularité dans les sondages, ce qui est très bas pour le Mexique. Cela s’explique parce que Pena Nieto a fait un pari à sa prise de fonction. Il a complètement évacué de sa communication la question de la violence et du crime organisé pour se concentrer sur l’économie et les réformes nécessaires. L’affaire d’Iguala tombe au mauvais moment pour lui, et lui démontre que sa communication ne concorde pas avec la réalité des Mexicains.

Source : Europe1

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