ACTUS LOCALESENVIRONNEMENT

Les maires du fenua se laissent tenter par « l’agrisolaire »

Inaugurée en 2018, la ferme agrisolaire de Focola, en Nouvelle-Calédonie sert de modèle de démonstration auprès des élus polynésiens. @D.R.

La société Akuo, déjà bien implantée dans l’outre-mer, multiplie les contacts au fenua. Son concept de serres photovoltaïques, qui permettent une production d’énergie renouvelable couplée à du développement agricole, a déjà attiré l’attention de certains tavana. Des projets sont lancés. Reste à savoir quand « l’agrisolaire » sortira réellement de terre.

Un pan de toit recouvert de panneaux solaires, un autre transparent, pour laisser rentrer la lumière. À l’intérieur, des plans de tomates, de taro ou de vanille. Voilà l’idée de ces serres photovoltaïques, conçues pour résister aux cyclones, que la société Akuo voudrait voir se multiplier au fenua. Et l’idée trouve aujourd’hui un certain écho chez les élus. Il faut dire que le groupe français, actif dans l’outre-mer depuis une décennie, a commencé à prendre des contacts en Polynésie depuis deux ans, sous la houlette d’un ancien administrateur des îles du Vent, Jean Ballandras. Après avoir développé plusieurs fermes en Nouvelle-Calédonie – une première raccordée en 2018, une autre sur le point de l’être et une troisième en début de chantier -,  le discours est rodé pour le directeur de Akuo Energy Pacific : « l’Agrinergie » – c’est le terme déposé – permet d’avancer à la fois vers l’autonomie énergétique et alimentaire.

Taputapuatea, Taravao, Huahine…

Thomas Moutame fait partie des premiers convaincus par ce concept, « qui permet de ne pas gâcher du foncier ». Pour le tavana, aucun doute : Taputapuatea sera la première à accueillir les serres solaires, « d’ici 2022 si tout va bien ». Deux hectares de serres, soit environ 2MWc (mégawatt-crête) de puissance installée, sont en projet sur un terrain tout juste loué à l’OPH par la mairie qui le confiera ensuite à un cultivateur de vanille. « Pour ces cultures les problèmes, c’est l’humidité et les maladies. Avec des serres comme ça on répond aux deux et on produit de l’énergie renouvelable, pointe le maire, qui est aussi vice-président de la communauté de communes des Raromatai. Ça répond à plusieurs problèmes chez nous : on est en train d’avancer pour des projets à Huahine, à Tumaraa, peut-être à Maupiti, à Taha’a ».

Il faut dire qu’en apparence, le concept n’engage pas les élus outre mesure : « On met à disposition le foncier, ils font tout l’investissement pour les serres, on aménage ensemble et ils amortissent en revendant l’électricité », détaille le tavana qui chiffre l’opération à « 1 milliard ou 1,2 milliard de francs au total » et à 20 emplois créés. Il l’assure : « S’il n’y avait pas le covid, on aurait déjà posé la première pierre à Taputapuatea ». La longue histoire d’annonces sans lendemains dans le domaine de l’énergie en Polynésie invite d’autres élus à la prudence. Jean Ballandras fait donc tout pour rassurer ses potentiels « partenaires » : un temps présenté comme solution « innovante », « l’agrisolaire », testée dès 2009 à La Réunion, est désormais une « technologie mature ».

La ferme agrisolaire de Focola, en Calédonie. ©Akuo

L’épidémie a certes ralenti la marche, mais Akuo continue ses prospections. Ces dernières semaines, c’est Gaëtan Bordes, apporteur d’affaires actif au fenua ou en Asie, passé par le domaine industriel ou l’institutionnel après une carrière dans l’enseignement, qui sert de « poisson-pilote » à la société. En début de semaine, il faisait une présentation devant la mairie de Taiarapu-Est. Là aussi, un projet de serres photovoltaïques serait « bien avancé ». Cette fois avec un propriétaire privé, prêt à faire construire pas moins de 7 hectares de serres sur deux sites pour y faire pousser des produits maraichers. Pour Akuo, trouver les « partenaires agricoles fiables » est une nécessité : pour que le modèle soit viable, il faut que le cultivateur, à qui la société paye parfois un loyer, fasse vivre son exploitation pendant au moins 20 ans.

La mairie d’Anthony Jamet a d’autres projets : elle négocie l’équipement du site militaire de la station ionosphérique rétrocédée à la commune. « Le projet est beau, mais il n’y a aucun engagement de notre côté » à ce stade, précise la municipalité. Toujours du côté de Taravao, c’est le Pays qui avait évoqué la possibilité d’explorer ce genre de production « mixte » sur le futur pôle aquacole de Faratea. Akuo Energy a déjà installé, à La Réunion, des panneaux solaires sur des bassins à poissons. Là encore on vante « une solution qui répond à deux problèmes : l’énergie et le foncier ».

Discussions à prévoir avec le Pays et avec EDT

L’agrisolaire a le vent en poupe, donc. La solution ne répondra pourtant pas, à elle seule, à tous les défis énergétiques de la Polynésie. Avec 1 GWh par an et par hectare (sur un peu moins de 700 GWh de consommation annuelle), les serres photovoltaïques ne seront, sauf investissements colossaux, que des décimales dans les objectifs de transition énergétique. « Toujours ça de pris », commente-t-on du côté du Pays. Pour concrétiser, il faudra toutefois convaincre sur la cruciale question du prix de l’électricité. « L’initiative d’Akuo Energy n’est pas de faire en sorte de payer moins cher la consommation électrique, mais de se dire que 100% de cette électricité que l’on consomme vient d’une énergie propre », expliquait déjà la commune de Taiarapu-Est après son entrevue avec Gaëtan Bordes. « On est plus que compétitifs » assure toutefois Jean Ballandras. En Nouvelle-Calédonie, la première ferme agrisolaire, qui avait bénéficié de subventions des collectivités publiques, revend 18 francs le KWh et la seconde devrait le proposer à 12 francs. Les chiffres – hors surplus causées par la « double-insularité » dans les archipels – pourraient être « assez proche » en Polynésie française, où Akuo dit ne pas rechercher de subventions locales hormis une éventuelle défiscalisation, « à laquelle tous les projets ne sont pas éligibles ».

Avant d’installer les premiers piquets, il faudra aussi, à Taputapuatea comme ailleurs, signer des accords de raccordements et de rachat de l’électricité avec le concessionnaire. À savoir, pour Raiatea et Taiarapu, Secosud et EDT-Engie. « Le projet n’a de sens que s’il convient au gestionnaire de réseau et s’il n’y voit pas son avantage, notre démarche serait assez rapidement vouée à l’échec, note le dirigeant d’Akuo pour la zone Asie-Pacifique. Une discussion doit donc avoir lieu et nous avons enclenché certaines d’entre elles, notamment à Taputapuatea ». Le promoteur compte aussi sur la très attendue loi de péréquation du prix de l’électricité et, bien sûr, sur les renouvellements de concessions des îles, fin 2021, pour ouvrir la porte un peu plus grand à ses projets.

Après une carrière dans la préfectorale, qui l’a notamment amené à l’Elysée, sous Jacques Chirac, et à Papeete, en tant qu’administrateur des îles du Vent, Jean Ballandras, est entré chez Akuo il y a 9 ans et dirige désormais les activités en Asie et dans le Pacifique. @D.R.

Article précedent

La politique publique de l'habitat se construit, livraison prévue début 2021

Article suivant

Nomination : François de Kerever devrait être le nouveau conseiller Outre-mer à l’Elysée

1 Commentaire

  1. simone grand
    26 septembre 2020 à 8h39 — Répondre

    Bravo pour ce projet d’enlaidissement des paysages. Avec les rivières systématiquement dégradées, Tahiti ressemblera à une vaste zone industrielle découpée par des caniveaux.

Répondre à simone grand Annuler la réponse.

PARTAGER

Les maires du fenua se laissent tenter par « l’agrisolaire »