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Outre-mer : Reconquérir l’autonomie alimentaire

Les territoires ultramarins dépendent beaucoup des importations pour l’alimentation de leurs habitants, mais à l’heure où les conflits internationaux, la pandémie mondiale et le cours des matières premières pèsent sur les prix et perturbent les liaisons maritimes, la question de reconquérir l’autonomie alimentaire est de plus en plus urgente.

« Cette année, c’est une explosion des coûts à tous les niveaux : l’alimentation des bovins, l’électricité, les engrais, les semences, le matériel agricole avec l’augmentation des métaux, tout explose. Le deuxième problème, c’est la disponibilité de ce qu’on veut acheter. Et le troisième c’est la livraison des containers, aléatoire parce qu’il n’y a plus assez de place dans les bateaux », explique Bruno de la Coopérative d’éleveurs de bovins de Tahiti.

Pour ces territoires souvent éloignés de plusieurs milliers de kilomètre de l’hexagone, tous les biens transitent par bateau, avec les contraintes que cela génère, y compris les biens essentiels comme l’alimentation car l’agriculture locale ne suffit pas aujourd’hui à nourrir les près de 2,2 millions de personnes qui y habitent.

« Consommer local et mieux consommer »

En Polynésie, « 30% des produits alimentaires achetés en magasin sont locaux. Mais si on intègre l’autoproduction, on évalue à 50% la part de l’alimentation produite localement » explique Philippe Couraud, directeur de l’Agriculture dans cette collectivité d’outre-mer. « 35% de la viande porcine consommée localement est produite localement. Sur les œufs, on est autosuffisants. Il y a parfois quelques tensions sur le marché des œufs, par exemple quand une exploitation ferme pour raison sanitaire, mais pas de pénurie en ce moment ».

La direction locale de l’Agriculture annonce par ailleurs « un plan de transition alimentaire sur 10 ans, pour consommer local et mieux consommer, notamment moins de sucre », qui devrait être présenté en milieu d’année. « On produit aussi des fruits et légumes, mais beaucoup de légumes ne pourront jamais être produits localement. Pourquoi importer des pommes ? On pourrait s’en passer » plaide encore Philippe Couraud dans une interview.

Pression foncière

Les cinq DROM (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion et Mayotte), où les terres arables subissent une forte pression foncière, ont une agriculture dominée par les cultures d’exportation. Sur 135 000 hectares de surfaces agricoles recensés en 2020, 38 300 étaient dédiés à la culture de la canne à sucre et 7 700 à la banane. Le nombre d’exploitations est globalement en baisse de 10% sur 40 ans, sauf en Guyane, territoire qui a également vu augmenter sa surface agriculture utile ces dernières années. Si tout ne peut pas être produit sur place, institutions et élus locaux cherchent à enrichir l’offre de production agricole « pays ».

En Polynésie, « il y a encore de la marge ». « On a estimé à 800 hectares les terres qu’on pourrait utiliser. 500 hectares du Territoire et 300 hectares de terrains privés. Il y a donc un volet foncier, c’est vrai. Il y a peu de place à Tahiti et Moorea, mais aux Marquises, aux Îles-Sous-Le-Vent et aux Tuamotu, il y a des surfaces plus importantes ».

Obstacles fiscaux et financiers

« L’amélioration de la trajectoire d’autosuffisance alimentaire passe par la production locale d’un certain nombre de fruits et légumes importés », indique ainsi le Cirad, dans un rapport paru en début d’année proposant 23 leviers pour atteindre cet objectif dans les cinq DROM. Ces mesures concernent l’agriculture, l’agronomie, mais aussi l’emploi, la formation et les politiques publiques, car il faudra bouleverser des habitudes et des situations établies pour faire bouger les choses.

Il existe en effet également des obstacles fiscaux et financiers à la production locale. Pour Alain Plaisir, spécialiste de la fiscalité qui menait une liste autonomiste lors des dernières élections régionales en Guadeloupe, « le problème, pour atteindre la sécurité alimentaire en Guadeloupe provient de deux choses : d’une part, des mécanismes du marché qui font que les importateurs et les consommateurs iront toujours au moins cher, mais aussi le statut de département qui ne permet pas aux élus locaux d’avoir une politique de prix ».

Pour protéger les productions locales, il existe une taxe locale sur les importations, l’octroi de mer, spécifique aux Outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte, La Réunion). Mais elle est à la fois considérée comme responsable de la cherté de la vie ou inefficace. « Les prix des produits alimentaires importés en Guadeloupe sont si bas au départ que même avec la taxe, ils restent plus bas que les prix locaux », note Alain Plaisir. « Les politiques publiques en matière de souveraineté alimentaire, dans le contexte départemental, ne sont que des vœux pieux qui ne peuvent pas aboutir. C’est pourquoi je suis favorable à l’autonomie, mais aussi à une refonte totale de notre fiscalité locale, notamment sur ces questions d’importations », assure encore Alain Plaisir.

Interview. Philippe Couraud, directeur de l’Agriculture en Polynésie française :

Quelle est la part des produits alimentaires importés en Polynésie par rapport à ceux produits localement ?

30% des produits alimentaires achetés en magasin sont locaux. Mais si on intègre l’autoproduction, on évalue à 50% la part de l’alimentation produite localement. Les exportations sur les produits agricoles, qui ne sont pas tous alimentaires (Coprah, vanille, monoï, tamanu, rhum…), représentent environ 700 millions de francs Pacifique Fcfp par an (5,8 millions d’euros). Chaque année, on importe 40 milliards Fcfp (61 millions d’euros) de biens alimentaires.

35% de la viande porcine consommée localement est produite localement. Sur les œufs, on est autosuffisants. Il y a parfois quelques tensions sur le marché des œufs, par exemple quand une exploitation ferme pour raison sanitaire, mais pas de pénurie en ce moment.

On produit aussi des fruits et légumes, mais beaucoup de légumes ne pourront jamais être produits localement. Pourquoi importer des pommes ? On pourrait s’en passer. Il y a des communes qui bannissent les fruits importés dans les menus des cantines. Mais pour le moment, elles ne sont pas majoritaires. On a démontré pendant cette période qu’on peut le faire sans dépenser plus, en évitant le gaspillage, en gérant bien les quantités servies.

La difficulté reste l’approvisionnement. Ça suppose plus de production, plus de surfaces cultivées. On va présenter en milieu d’année un plan de transition alimentaire sur 10 ans, pour consommer local et mieux consommer, notamment moins de sucre.

Quelles sont les freins au développement de l’agriculture et de l’élevage ? Les terres ou les vocations ?

Sur les terres, il y a encore de la marge : on a estimé à 800 hectares les terres qu’on pourrait utiliser. 500 hectares du Territoire et 300 hectares de terrains privés. Il y a donc un volet foncier, c’est vrai. Il y a peu de place à Tahiti et Moorea, mais aux Marquises, aux Îles-Sous-Le-Vent et aux Tuamotu, il y a des surfaces plus importantes.

Le secteur agricole attire toujours. On a de bons dispositifs d’installation. On veut maintenir 15 000 actifs dans 1 000 exploitations. 3 000 d’entre eux vont partir dans les 10 ans qui viennent, il faut les remplacer. Et on peut imaginer une agriculture avec encore plus d’actifs.

Quelles difficultés rencontrez-vous pour accroître l’autonomie alimentaire ?

J’ai l’impression qu’il y a une perception différente des enjeux de l’alimentation depuis la crise Covid. Ce n’est plus une hypothèse d’école : si jamais il n’y avait plus de desserte pendant un, deux ou trois mois, qu’adviendrait-il de notre sécurité alimentaire ? Il y a une vraie prise de conscience, notamment dans les atolls des Tuamotu, pour s’affranchir des importations et donc produire localement.

La crainte, c’est la rupture d’approvisionnement. Je n’ai pas de visibilité sur les approvisionnements. Tout est compliqué en matière de fret. Ce sont les suites de la crise Covid. A terme, la guerre en Ukraine pourrait aussi poser des problèmes sur les céréales : on n’a rien qui vient d’Ukraine mais il y a des tensions sur le marché des céréales, il y a même de la spéculation et par cascade, comme on ne pèse pas grand-chose, les fournisseurs peuvent donner la préférence à de très gros clients.

En partenariat avec Outremers360.

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1 Commentaire

  1. Luc Mutzig
    1 octobre 2023 à 4h47 — Répondre

    Produire des légumes en autosuffisance sur les atolls est parfaitement possible, les polynésiens ont juste la mémoire courte: lorsqu’il vivait sur l’atoll d’Ahé, Bernard Moitessier a prouvé que l’on pouvait rendre les sols sableux fertiles en enfouissant les déchets végétaux hachés dans le sable au lieu de les brûler come ça se fait habituellement, ainsi que tous les autres déchets organiques, en quelques années le sable de son jardin est devenu noir tellement il était chargé en matière organique et il produisait bien plus de légumes qu’il ne lui en fallait , il pouvait en revendre une grande partie…Il faut également optimiser la récupération de l’eau de pluie ,dans des collecteurs fermés à l’abri des moustiques pour éviter leur prolifération et l’évaporation et distribuer l’eau aux légumes de façon économe avec un goutte à goutte

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