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Pourquoi l’organisation de l’Etat Islamique lance sa propre monnaie

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DÉCRYPTAGE – L’organisation de l’Etat Islamique a annoncé qu’elle allait battre monnaie. Alors, coup de com’ ou vrai projet politique ?

« Si Dieu le veut, différentes pièces vont être fabriquées en or, argent et cuivre ». Par ces mots, l’Organisation de l’Etat Islamique* a annoncé vendredi qu’elle allait battre monnaie. Objectif : « échapper au système monétaire tyrannique imposé aux musulmans qui a conduit à leur oppression ». Pour ce faire, l’OEI va remettre au goût du jour une monnaie islamique utilisée en 634 sous le califat d’Othman.

Pourquoi l'organisation de l'Etat Islamique lance sa propre monnaie

© Capture d’écran du communiqué de l’OEI.

Une annonce qui peut paraître surprenante venant d’une organisation terroriste, mais qui pourtant répond à la logique de l’OEI : se parer peu à peu de tous les attributs d’un Etat traditionnel. Pourquoi et comment l’OEI va-t-elle battre monnaie ? Eléments de réponse avec Yvan Tchikaya, numismate, Afzal Ashraf, consultant spécialiste du djihad, et Romain Caillet, chercheur sur les questions islamistes.

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Pourquoi l’OEI veut battre monnaie ?

« C’est une composante essentielle du processus de construction étatique », analyse le spécialiste de l’OEI Afzal Ashraf qui poursuit. « L’OEI a besoin d’un drapeau, d’un hymne, de frontières, et donc de monnaie. La politique est faite de symboles. C’est pourquoi ils vont faire des pièces de monnaie les plus graphiques possibles. Même si les leaders meurent, la monnaie survit. Plus ils créent des objets physiques, plus ils existent symboliquement. Même si personne dans le monde ne reconnaît l’OEI comme un Etat, ses dirigeants doivent faire comme s’ils dirigeaient un Etat « , poursuit-il.

Outre l’aspect symbolique, « c’est aussi un moyen de ne pas utiliser le dollar, très répandu dans la région », ajoute Afzal Ashraf. Un moyen de sortir du système monétaire international donc, et « de prouver son indépendance alors qu’au contraire, la région sous domination de l’OEI est très dépendante du monde ».

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Comment va fonctionner cette monnaie ?

Yvan Tchikaya, numismate, explique que cette monnaie, inspirée du califat d’Othman, qui remonte au VIIeme siècle, « utilise uniquement trois types de pièces : une en or, une en argent et une en cuivre ». Un choix qui ne l’étonne pas, « puisque l’argent et l’or sont des valeurs importantes mises en avant dans le Coran ».

La principale information sur cette monnaie, c’est que sa valeur sera indexée sur la valeur du métal dont elle est faite. « Elle vaudra littéralement son pesant d’or, ou d’argent ou de cuivre », commente le numismate. Ce n’est donc pas une monnaie fiduciaire, c’est-à-dire une monnaie dont la valeur n’est pas définie par son support. Un exemple simple, les billets de banques. Ces simples bouts de papier ont pourtant une valeur élevée, garantie par un Etat et sa banque centrale. La monnaie de l’Organisation de l’Etat Islamique ne fonctionne donc pas comme cela puisque sa valeur correspond à celle du métal utilisé pour la fondre.

« On ne pourra donc pas la changer en euros ou en dollars. Si l’Etat islamique veut acheter des armes ou des munitions avec, ce sera difficile. Ce n’est pas la monnaie en elle-même qui intéressera les fournisseurs, mais sa valeur en or et en argent », conclut Yvan Tchikaya.

Autre caractéristique de ce genre de monnaie soulignée par l’agent de change, « elle n’offre aucune garantie contre la falsification, si ce n’est de tester le métal dont les pièces sont constituées. C’est le seul moyen de vérifier. » Pour autant, cette monnaie devrait remporter un certain succès auprès des populations placées sous la domination de l’OEI, explique Afzal Ashraf. Et pour cause, « même si l’OEI venait à disparaître, cette monnaie gardera sa valeur puisqu’elle est indexée sur le prix de l’or. Ce n’est pas comme la monnaie irakienne qui a perdu 99% de sa valeur après la chute de Saddam Hussein. « 

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Comment cette monnaie va-t-elle être produite ?

Le chercheur londonien ne se fait pas de souci pour l’OEI. « Ils ont des ressources conséquentes pour battre monnaie, même si je ne peux pas les chiffrer ». Les dirigeants du califat autoproclamé devraient se procurer les métaux nécessaires pour couler toutes ces pièces de deux manières. D’abord « en le prélevant sur les femmes yézidies, qui ont beaucoup de bijoux. C’est aussi une des raisons pour lesquelles ils persécutent cette minorité religieuse », souligne Afzal Ashraf. Mais l’OEI obtiendra principalement l’or, l’argent et le cuivre en les achetant sur les marchés mondiaux via des sociétés-écrans. Ils ont récupéré un demi-milliard de dollars à la banque de Mossoul en Irak, ils détiennent des réserves impressionnantes en pétrole et en cash », conclut l’analyste.

Après la monnaie, quelle est la prochaine étape ?

Pour Romain Caillet, le prochain objectif de l’Organisation de l’Etat islamique devrait être de créer des papiers d’identités.  » Ils avaient déjà une justice, des tribunaux, une armée, une administration, des services publics, une éducation. Outre la reconnaissance internationale qui n’arrivera jamais, la prochaine étape pourrait donc être ces papiers d’identité. Pour l’instant, les gens qui rentrent sur le territoire de l’OEI n’ont rien à justifier. » Mais Afzal Ashraf tempère. Pour lui, « l’OEI donne le change ». « Ils font mine de pouvoir développer une organisation avec tous les attributs de l’Etat. En réalité, ils sont en mauvaise posture. Depuis des mois, ils n’avancent plus. L’OEI est dans une position défensive. Tout au fond de lui, je crois qu’Abou Bakr Al Bagdadi sent qu’il est en danger et qu’il peut mourir ».

*Nous avons choisi cette dénomination pour bien faire la distinction entre l’Etat Islamique autoproclamé, non reconnu en tant que tel, et d’autres Etats qui bénéficient de toutes les caractéristiques nécessaires pour prétendre à ce statut.

Source : Europe1

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