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Putsch : la Turquie sous état d'urgence pour la première fois en 15 ans

Istanbul (AFP) – La Turquie a vécu jeudi sa première journée d’état d’urgence depuis 15 ans, ce qui n’a pas empêché son président d’appeler le peuple à rester en masse dans les rues, après le putsch raté ayant fait 265 morts, selon un nouveau bilan.

Le gouvernement turc avait fait état de plus de 300 morts dans la nuit dramatique du 15 au 16 juillet, mais, sans explication, il a baissé le chiffre des pertes du côté des mutins de 104 à 24. Les combats ont fait 241 morts chez les loyalistes, a annoncé le vice-Premier ministre Numan Kurtulmus.

 L’état d’urgence, longue habitude turque qui avait disparu du paysage politique depuis 2002, a été instauré pour trois mois et prévoit notamment des restrictions aux libertés de manifester ou de circuler. 

Les députés ont adopté sans surprise la mesure annoncée la veille par le président Recep Tayyip Erdogan, par 346 votes contre 115.

Le vice-Premier ministre a déclaré aux médias turcs que le gouvernement espérait pouvoir la lever « dans un mois ou un mois et demi », « si les conditions reviennent à la normale ».

Il a annoncé que la Turquie allait déroger à la Convention européenne des droits de l’homme, évoquant l’exemple de la France qui a fait de même au titre de l’article 15 de la CEDH après les attentats de Paris en novembre 2015.

Cet article reconnaît aux gouvernements, « dans des circonstances exceptionnelles », la faculté de déroger, « de manière temporaire, limitée et contrôlée », à certains droits et libertés garantis par la CEDH.

Cette dérogation prémunit donc la Turquie contre d’éventuelles condamnations de la CEDH alors que des purges considérables sont en cours dans l’armée, la justice, la magistrature, les médias et l’enseignement.

L’ampleur de la purge en cours en Turquie suscite l’inquiétude à l’étranger, Berlin ayant encore appelé jeudi Ankara à respecter « la juste mesure des choses ».

– « traîtres terroristes » –

 Malgré les restrictions au droit de manifester prévues par l’état d’urgence, de nombreux Turcs ont reçu un texto de « RTErdogan », les appelant à continuer à descendre dans la rue pour résister aux « traîtres terroristes ».

Une expression faisant référence aux partisans du prédicateur exilé aux Etats-Unis, Fethullah Gülen, accusés d’avoir noyauté l’Etat et fomenté le putsch.

Ankara demande à la justice américaine de lui remettre le septuagénaire, affirmant avoir transmis des preuves de son implication, qui n’ont toujours pas été rendues publiques.

Le pouvoir turc a laissé « les mains libres » au réseau de Gülen, a reconnu jeudi un ministre. « Ils ont eu les mains libres, on le reconnaît », a déclaré le vice-Premier ministre Mehmet Simsek à des journalistes étrangers. « Pourquoi? Nous n’avions pas l’expérience de la direction du pays ».

« Mon cher peuple, n’abandonne pas la résistance héroïque dont tu as fait preuve pour ton pays, ta patrie et ton drapeau », « Les propriétaires (des villes) ne sont pas les chars. Les propriétaires sont la nation », écrit dans son texto le président.

La purge continue à plein régime. Quelque 55.000 personnes, militaires, juges, professeurs, ont été arrêtées, suspendues ou limogées. Jeudi, selon l’agence Anadolu, 109 généraux ou amiraux restaient en détention, tout comme une trentaine de magistrats. Le ministère de la Défense a par ailleurs suspendu 262 juges et procureurs militaires.

– humiliés et brutalisés –

« Nous continuerons à nous battre pour éliminer ces virus des forces armées », a répété mercredi M. Erdogan.

Des figures emblématiques de l’armée arrêtées sont désormais vues avec haine et comme des traîtres, paradées devant les médias d’Etat, humiliées et probablement brutalisées.

Tel est le cas de l’ancien chef de l’armée de l’air, le général Akin Oztuk, photographié hagard avec un bandage sur l’oreille, puis avec un oeil au beurre noir.

Mais Ankara assure toujours ignorer qui a été sur le terrain le grand organisateur du coup d’Etat.

« On ne sait pas. Ce n’est pas clair », a dit M. Kurtulumus à des journalistes étrangers. « Il y a tant de noms dans les dossiers, tant de personnes de niveau moyen et élevé. »

Huit militaires turcs ayant fui en Grèce samedi après le putsch avorté en Turquie et réclamés par Ankara ont été condamnés jeudi par un tribunal grec à deux mois de prison avec sursis.

Comme l’opposition s’était rangée derrière le président Erdogan après le putsch, l’état d’urgence a rencontré le soutien quasi unanime de la presse, y compris de Zaman, quotidien proche du mouvement gulénistes avant d’être brutalement repris en main par l’exécutif turc en mars.

Mais des Stamlbouliotes interrogés par l’AFP s’inquiétaient. Hasan, 60 ans redoutait « une période plus sombre »: « L’état d’urgence n’a jamais servi la démocratie, l’économie, le développement dans aucun pays. »

Le président turc Tayyip lors d'une conférence de presse au palais présidentiel à Ankara, le 20 juillet 2016. © AFP

© AFP ADEM ALTAN
Le président turc Tayyip lors d’une conférence de presse au palais présidentiel à Ankara, le 20 juillet 2016

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1 Commentaire

  1. tupai
    22 juillet 2016 à 9h46 — Répondre

    la Turquie ne peut plus espérer faire partie de l’union européenne tant que son président maintiendra cette posture

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