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Que reste-t-il de la France "black-blanc-beur"?

Paris (AFP) – A l’orée de l’Euro de football, le mythe de la France « black-blanc-beur » semble bien loin, et l’euphorie de 1998 a laissé place à une polémique sur le racisme de la société, relancée par la sortie fracassante de Karim Benzema.

L’attaquant du Real Madrid a lancé un pavé spectaculaire dans la mare en accusant Didier Deschamps d’avoir « cédé à la pression d’une partie raciste de la France » en ne le sélectionnant pas pour l’Euro-2016. Des critiques comparables avaient été émises par l’ancien international Eric Cantona et l’acteur Jamel Debbouze quelques jours auparavant.

Des propos largement condamnés dans la classe politique. Mais la polémique « en dit long sur le climat de crispation de la société sur la diversité et le multiculturalisme », note François Gemenne, chercheur à Sciences Po.

« On le sentait un peu venir », soupire l’historien Yvan Gastaut, pour qui « on est là dans un feuilleton de l’après-1998 ».

L’époque semble en effet bien loin où la France descendait sur les Champs-Elysées rendre hommage à son équipe « black-blanc-beur » — une formule certes « médiatique, mais beaucoup d’intellectuels, de politiques, disaient alors: le sport intègre. Tout le monde y croyait », rappelle le sociologue du sport William Gasparini.

– « Lieu de mémoire » –

En 1998 la victoire était « un moment d’euphorie, de liesse, parce que c’était la première fois que la France remportait une Coupe du monde ». Mais « cela donnait aussi à voir une France qui se veut ouverte, qui se réconcilie avec ses populations issues de l’immigration », ajoute le sociologue, pour qui 1998 a été « un événement historique », voire « un lieu de mémoire ».

On est alors dans un autre contexte: « le chômage baisse, les résultats économiques sont plutôt bons, et la France gagne », bref, « tout va bien ». Mais « c’est une parenthèse », note M. Gasparini. Et la belle euphorie ne va pas tarder à se lézarder.

Si, en 2000, le mythe peut subsister puisque c’est la même équipe qui remporte l’Euro, les incidents se multiplient ensuite: Marseillaise sifflée au Stade de France en 2001, « affaire des quotas » révélée par Mediapart en 2011…

C’est surtout le Mondial 2010 en Afrique du Sud qui va écorner l’image, lorsque les joueurs refusent de s’entraîner pour protester contre l’exclusion de Nicolas Anelka qui avait insulté le sélectionneur.

De héros de l’intégration, les joueurs sont devenus des « traîtres à la nation », selon l’expression du sociologue Stéphane Beaud.

– « Une France qui doute » –

C’est que, dans un contexte géopolitique et social plus tendu, le regard a changé sur l’équipe métissée. « Le 11 septembre 2001 est passé par là », estime M. Beaud. Les citoyens d’origine maghrébine « sont peu à peu considérés comme des musulmans, même si cette notion est contestable sociologiquement ».

Dans la foulée survient « l’aggravation de l’apartheid social avec les émeutes de 2005, qui sont une date majeure de la société française », ce qui amène à « la consolidation de ce groupe comme une classe dangereuse, et un cercle vicieux de stigmatisation », ajoute le sociologue.

Si Deschamps, lui-même héros de 1998, « peut difficilement être accusé de racisme », ce qui est intéressant dans cette polémique c’est que l’entraîneur « est le produit d’une société qui se prémunit contre ceux qui seraient considérés comme des fauteurs de troubles », note Yvan Gastaut.

Selon lui, le débat sur la diversité a connu « une accélération, un durcissement ces deux dernières années ».

Et l’année 2015 n’a rien arrangé, avec ses attentats jihadistes qui ont soulevé « des questions sur l’intégration des jeunes issus de l’immigration maghrébine », affirme William Gasparini.

Un retour en grâce du mythe « black-blanc-beur » est-il possible? « Je ne pense pas qu’on puisse revenir sur cette parenthèse enchantée », dit le chercheur, car « on est aujourd’hui dans une France qui doute, avec un conflit social très dur sur la loi travail ».

« Si la France gagne, il y aura une petite embellie », estime M. Gasparini. « Mais on ne retrouvera pas la liesse de 1998. »

L'équipe de France de football après sa victoire en finale de la Coupe du monde, le 12 juillet 1998 au Stade de France, à Saint-Denis près de Paris. © AFP

© AFP/Archives PASCAL GEORGE
L’équipe de France de football après sa victoire en finale de la Coupe du monde, le 12 juillet 1998 au Stade de France, à Saint-Denis près de Paris

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