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RDCongo : le chaos raconté de l’intérieur

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INTERVIEW – Enfants-soldats, familles déplacées, charniers : une responsable de MSF décrit l’urgence humanitaire.

L’INFO. Une situation extrêmement préoccupante. Alors que l’armée congolaise, épaulée par les Casques bleus, inflige, depuis près d’une semaine, revers sur revers aux combattants rebelles du M23 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les populations locales éprouvent les pires difficultés pour s’alimenter, se soigner et se protéger des multiples violences.

>>> Francesca Mangia, chef de la mission de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), interrogée par Europe1.fr, en fait l’expérience quotidiennement dans cette zone du Nord-Kivu.

« L’hôpital a besoin de matériel ». L’équipe de 18 expatriés de Francesca Mangia travaille essentiellement dans la zone entre Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu et Rutshuru, à 80 kilomètres plus au nord. « Il y a beaucoup de difficultés pour intervenir dans les endroits où les besoins humanitaires sont nombreux », déplore cette responsable de MSF qui a constaté une récente résurgence des combats de la rébellion du M23, ces tutsi congolais qui se sont « mutinés » en avril 2012. « Ces combats ont coupé le seul axe qui permettait d’accéder à la ville de Rutshuru et donc de ravitailler l’hôpital qui a besoin de matériel pour les anesthésistes, les chirurgiens », constate Francesca Mangia. Heureusement, cette route a été rouverte depuis peu et le trafic a ainsi pu reprendre sous la surveillance des fusils automatiques de l’armée.

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Des millions de familles déplacées. Pendant ce « black out », les humanitaires ont poursuivi leurs activités de routine mais ils ont dû faire face à une affluence de déplacés. Des villageois de toute la zone qui sont arrivés à Ruthsuru pour trouver assistance. Certains ont passé plusieurs nuits à l’église ou dans des paroisses car l’établissement de santé était submergé, a constaté MSF. Selon un récent rapport de l’ONU, le conflit aurait fait plus de 3 millions de déplacés à l’intérieur du pays et près de 44.000 Congolais auraient déjà fui hors du pays. « La population n’a plus les moyens de rester chez elle, de cultiver les champs pour gagner un peu d’argent », déplore Francesca Mangia. Les habitants finissent donc par bouger tous les deux jours d’un village à l’autre, ce qui n’arrange rien aux conditions sanitaires. Depuis quelques jours, la situation s’empire même du côté de Kibumba, une ville très commerçante tout près de la frontière rwandaise, car les déplacés sont légions. « Il s’agit surtout de femmes et d’enfants. Ils manquent d’abris notamment pendant la saison des pluies, ce qui augmente la vulnérabilité de la population dont la situation humanitaire est déjà dégradée », renchérit Francesca Mangia.

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Des blessés et des maladies infectieuses. Parmi ces victimes du feu : des civils blessés « par balles ou par des éclats d’obus » qu’il faut prendre en charge et parfois, effectuer des « chirurgies lourdes ». Il y a aussi une recrudescence des problèmes de santé. MSF doit actuellement faire face actuellement à une épidémie de paludisme. Francesca Mangia a dénombré près de 2.500 malades chaque semaine et ce, dans seulement deux centres de santé. Dans d’autres établissements, MSF n’a pas eu accès aux dernières données du fait des combats. « Il y aussi une augmentation des infections de l’appareil respiratoire qui sont aussi liées au paludisme, notamment chez les enfants de moins de cinq ans. Il y a aussi des problèmes liés à la nutrition, comme des infections intestinales », détaille Francesca Mangia.

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Des violences sexuelles et des enfants-soldats. Les femmes ne sont pas épargnées par les violences sexuelles. Le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies a ainsi recensé « 705 cas, dont 619 cas de viols depuis janvier ». « La violence sexuelle est utilisée comme une arme de guerre », assure Francesca Mangia. « Les femmes doivent par exemple aller chercher du bois de chauffage, de la nourriture dans la brousse et là, elles sont exposées à des rencontres avec des militaires ou des rebelles », explique cette responsable humanitaire. Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi des enfants-soldats dans la région. Un millier d’entre eux, âgés de 6 à 17 ans, se battraient régulièrement aux côtés des groupes armés, selon l’ONU. Ils sont enlevés et forcés à rejoindre ces groupes, contre une promesse d’argent ou d’emploi. La force onusienne sur place raconte que beaucoup d’entre eux deviennent porteurs, cuisiniers, espions, esclaves sexuels, gardes ou combattants. « Il y a des orphelins parmi eux mais on observe également de nombreux kidnappings lors des pillages de villages », déplore Francesca Mangia.

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Des fosses communes découvertes. Dans ce chaos ambiant, les premières preuves tangibles de crimes de guerre ont été dévoilées. Les autorités congolaises ont décidé lundi de créer une commission d’enquête pour faire la lumière sur les fosses communes découvertes à Kibumba, dans la zone de l’Est de la RDC, tout juste libérée des rebelles du M23. « J’ai vu des choses dégueulasses (…) J’ai vu trois ou quatre crânes d’enfants, des sous-vêtements et des vêtements de femmes. Par endroits, il y avait des insectes, ce qui veut dire qu’il n’y avait pas que des os, et il y avait parfois de la terre meuble : je n’ai pas voulu marcher, parce qu’on peut s’enfoncer », a raconté un témoin à l’Agence France Presse. « Plus loin, a-t-il encore dit, il y a un gros précipice où des gens disent que pas mal de corps ont été jetés. Je n’ai pas pu vérifier. Mais des fosses, il est bien possible qu’il y en ait un peu partout ailleurs. »

Une génération perdue. Ce conflit qui dure pèse sur le moral de la population. « Cela fait 20 ans que la zone est en proie aux affrontements. Il y a toute une génération n’a connu que la violence ou les déplacements incessants. Il y a la maman et l’enfant qui vont chercher refuge à l’hôpital. Le père et le fils plus âgés, eux, sont obligés de rester dans la brousse car il n’y a plus de places. Les familles sont démembrées », fait remarquer cette responsable de MSF. « Il y a beaucoup de résignation. Ils ne voient pas l’espoir d’une reprise de la vie normale. C’est un peu cynique de dire cela mais la population est malheureusement habituée aux combats », conclut Francesca Mangia.

Source : Europe1

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