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« Si on devait continuer à imposer la quatorzaine, il est clair que le tourisme ne reprendrait pas », dit Jean-Marc Mocellin

©CP/Radio1

Jean-Marc Mocellin est le nouveau directeur général de Tahiti Tourisme, nommé en janvier dernier et arrivé en Polynésie pendant la pire crise du tourisme que le monde ait connu depuis 20 ans. Il a accordé à Radio1 son premier entretien depuis sa nomination. Le positionnement marketing de la destination va évoluer, avec une nouvelle campagne de communication, pour mettre en avant le « slow tourism » dans un pays épargné par la contagion. Mais comme les professionnels du tourisme, il est certain que le frein principal à la reprise est l’obligation de quatorzaine.

À la tête de Tahiti Tourisme, son rôle est de faire venir les touristes en Polynésie. Dans cette période difficile, quels sont les atouts de la destination ? « Ce qui est évident, c’est le fait d’être « covid-free », répond Jean-Marc Mocellin : avoir été isolés du monde durant cette période revient à dire qu’on est préservés et loin de toute cette pandémie. Et donc on peut continuer à dire qu’on est une destination de rêve qui a été totalement épargnée. »  Autre point fort : l’attractivité de la Polynésie qui incite les touristes à reporter leur séjour, et non à l’annuler : « La grande différence avec les autres destinations, et l’un de nos atouts, c’est que les gens prévoient leur séjour en Polynésie longtemps à l’avance, avec des itinéraires complets, ils veulent rester deux, trois semaines, donc c’est le voyage d’une vie. Cela signifie que ces gens-là, quand on leur dit qu’ils ne peuvent plus venir maintenant, ce n’est pas une destination qu’ils vont zapper pour aller ailleurs. Et ça, c’est confirmé par les tour-opérateurs, la grande majorité des clients reportent leur séjour, si ce n’est pas de quelques mois, à l’année prochaine ; ce sont surtout les clients européens qui reportent d’une année. C’est le grand atout de la Polynésie, c’est sûr. »

Une nouvelle campagne publicitaire d’ici 10 jours, centrée sur le « slow tourism »

L’organisme de marketing de la destination va faire évoluer sa communication, mais sans rallonge budgétaire du Pays. Dans le monde post-coronavirus, la distance, l’éloignement et la fréquentation limitée deviennent des atouts. « Nous avions une campagne globale qui malheureusement, avec cette pandémie, n’était plus d’actualité, je veux dire qu’il y avait des aspects de la campagne qu’on ne pouvait plus mettre en avant. Donc il a fallu tout simplement recommencer. On a fait un sondage auprès de nos marchés, pour connaître, comprendre, anticiper les nouvelles attentes des clients, outre l’aspect sanitaire. Et donc on va sortir une nouvelle campagne d’ici 10 jours, avec de nouveaux aspects. Il y a certains handicaps que nous avions dans le passé que l’on peut tourner en atouts, notamment que Tahiti est une destination de rêve qui a été épargnée par le covid-19, et son isolement au milieu du Pacifique est synonyme de sécurité et de préservation.  La densité de nos visiteurs sur un territoire aussi grand que l’Europe, c’est véritablement un atout qu’on peut mettre en avant en disant que c’est l’opposé du tourisme de masse. Et contrairement au tourisme de masse, notre destination est un exemple de « slow tourism », qui est vraiment une tendance qui avait déjà commencé, où on prépare son voyage à l’avance, où on reste plus longtemps. »

« En plus de ça nous avons des produits qui sont tout à fait adaptés aux gestes barrières, en hôtels comme en pensions, des bungalows, des produits exclusifs comme des villas privées, on a même des îles privées. On a aussi ce qu’on pourrait appeler des croisières « boutique » à taille humaine. »

Comme les précédentes, cette campagne fera la part belle aux réseaux sociaux, « pas seulement parce que c’est moins cher, mais surtout parce qu’on peut cibler précisément nos types de clientèle. » Pas de rallonge budgétaire prévue, dit Jean-Marc Mocellin, « mais il faut savoir que depuis trois mois il y a beaucoup d’actions qu’on n’a pas pu mettre en place. Dans les prochains mois, on ne va pas pouvoir aller dans certains salons, on ne va pas pouvoir faire venir certains partenaires, on va donc rediriger les budgets vers cette campagne. »

La communication en direction du public polynésien est également revue, notamment pour rassurer. La semaine prochaine doit sortir une petite campagne, sur les chaînes de télévision et les réseaux sociaux, sur le guide sanitaire qui a été développé en collaboration par les ministères du Tourisme et de la Santé, sur les mesures qui sont prises au sein du secteur du tourisme, dans les avions, dans les hôtels, dans les centres de plongée etc.

« Toute formalité d’entrée un peu trop coercitive découragerait une reprise »

Le maintien de la quatorzaine est un sujet de discorde entre les autorités, les professionnels du tourisme et l’opinion publique.  « Ce que je peux dire c’est que si on devait continuer à imposer la quatorzaine il est clair que le tourisme ne reprendrait pas. Et toute formalité d’entrée qui serait un peu trop coercitive découragerait une reprise du tourisme. Il est évident que nos touristes viennent ici pour trouver la chaleur humaine, l’esprit polynésien, la culture… ça signifie des contacts, des interactions avec les gens. Et si jamais on devient une destination où il n’y a plus ce contact, ils vont être déçus. »

« C’est aussi ce qui est ressorti de nos réunions à Bora Bora, poursuit-il, qui dans la majorité d’opinion semblait affirmer que plutôt que mal ouvrir, il vaut mieux ne pas ouvrir, ou qu’il vaut mieux ouvrir un petit peu plus tard plutôt que d’ouvrir dans des conditions où finalement, on accepte le tourisme mais on le regarde de loin. »

Pour le moment, les destinations concurrentes de la Polynésie tendent vers l’imposition d’ « un test moins de 72 heures avant l’arrivée, et à l’arrivée aussi pour certaines destinations, et tous les 5 à 7 jours au cours du séjour. Ça demande une logistique qui est assez lourde. Maintenant, est-ce que c’est suffisant en termes sanitaires, ce n’est pas à nous d’en juger. Donc c’est tout un tas de questions et de processus à mettre en place qui dépendent du ministère de la Santé,» dit le directeur de Tahiti Tourisme.

En attendant d’accueillir les touristes, l’inquiétude monte dans l’hôtellerie, avec deux acteurs majeurs qui ont annoncé leur fermeture la semaine dernière. Et Jean-Marc Mocellin, qui a fait toute sa carrière à la tête d’hôtels de luxe, répond à ceux qui disent que la crise a bon dos, et que les hôteliers en profitent : « Si un établissement est rentable il n’y a absolument aucune raison pour un propriétaire de vouloir fermer son hôtel. Si c’est le cas, c’est une décision qui est lourde, c’est que les pertes sont devenues insupportables, que même un plan de départ ça coûte une petite fortune et que la capacité de financement est atteinte, et que ça ne fait plus aucun sens économique de maintenir l’activité, en particulier dans une crise dont on ne sait pas quand elle va s’arrêter. » 

La croisière, « un modèle qui va survivre »

La crise sanitaire marque-t-elle la fin des croisières ? « C’était l’impression qu’on a tous eue au départ, mais pour avoir échangé avec les compagnies de croisière, il semble que non. Il semble que la croisière reste un modèle qui va survivre et continuer à progresser dans le monde, » dit Jean-Marc Mocellin, par ailleurs en accord avec Gaston Tong Sang qui veut limiter la présence des méga-paquebots dans le lagon de Bora Bora, « l’un n’empêche pas l’autre ».

Les compagnies aériennes tributaires des décisions américaines

Pas d’inquiétude pour l’instant sur la desserte future de la Polynésie : « On a fait le tour des compagnies aériennes, elles sont toutes à ce jour favorables à la reprise, elles n’ont jamais affirmé qu’elles allaient partir et d‘ailleurs elles reportent leurs réservations d’un mois sur l’autre depuis trois mois. Pour elles aussi la question est de connaitre les conditions de réouverture pour évaluer leur potentiel de passagers, et l’autre question c’est la possibilité d’embarquer des passagers aux escales américaines. S’ils n’ont pas cette capacité, il est clair que les fréquences ne seront pas les mêmes. » Quant à la possibilité de poursuivre des liaisons commerciales avec la France via Pointe-à-Pitre, Jean-Marc Mocellin pointe que la rentabilité d’une telle ligne se serait pas au rendez-vous.

Une décision du gouvernement à prendre très vite

Mais même si les touristes reviennent dès le mois de juillet, dit Jean-Marc Mocellin, la remise en route ne pourra être que graduelle. La prudence de Jean-Marc Mocellin s’explique facilement : « Même si on prenait la décision aujourd’hui, au niveau des tour opérateurs et des plans de vol, il faut minimum un mois, un mois et demi pour se mettre en place, informer les gens, faire une petite campagne pour dire qu’on est ouverts et dans quelles conditions. » Notamment la capacité des hôtels : « Ils peuvent ouvrir en phases, n’ouvrir qu’une partie des chambres ou des bungalows, mais toute la question est plus, encore une fois, dans les formalités qu’on va exiger à l’entrée. Plus elles seront strictes et plus ce sera difficile de rouvrir les hôtels comme ceux de Bora Bora, par exemple. » Il est donc clair que des décisions doivent se prendre dans les quelques jours qui viennent, dit Jean-Marc Mocellin.

Jean-Marc Mocellin termine l’entretien par un coup de chapeau aux équipes de Tahiti Tourisme avec qui il a travaillé à distance durant deux mois avant de pouvoir rejoindre le fenua. « Je suis très impressionné, c’est du 7 jours sur 7, à pas d’heure, parce que tout le monde est totalement impliqué dans la volonté de reprise. »

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2 Commentaires

  1. 3 juin 2020 à 9h23 — Répondre

    un vrai pro , çà fait plaisir , welcome back !

  2. Alain Ghigliazza
    5 juin 2020 à 3h16 — Répondre

    Merci pour ces précisions. Nous sommes impatients de connaître les décisions qui seront prises concernant la quatorzaine, car nous serions navrés de devoir annuler notre voyage familial ( 7 personnes ), que nous avons réservé depuis le mois de décembre, et dont nous rêvons depuis des mois.

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« Si on devait continuer à imposer la quatorzaine, il est clair que le tourisme ne reprendrait pas », dit Jean-Marc Mocellin