ACTUS LOCALESJUSTICE Six mois avec sursis pour la mamie qui ne déclarait pas son employé Pascal Bastianaggi 2022-02-16 16 Fév 2022 Pascal Bastianaggi Une femme a été condamné à six mois de prison avec sursis pour travail clandestin. Rien de bien extraordinaire sous nos latitudes où la pratique est érigée au rang de sport national, voire de tradition. Là où ça le devient, c’est que non seulement elle a employé un chauffeur de truck durant cinq années sans qu’il ne soit déclaré, mais en plus il devait payer l’essence et les réparations du véhicule. Ana a 82 ans et à la voir assise dans la salle du tribunal, toute menue et coquette avec sa robe et son chapeau fleuri, la première pensée qui nous vient à l’esprit c’est « encore une victime d’une quelconque escroquerie » suivie de « franchement y’en a qui n’ont pas honte de s’en prendre à une mama ». Mais quand on l’appelle à la barre en tant que prévenue, le stylo nous tombe des mains. Et il y a de quoi. Elle est poursuivie pour avoir employé, de septembre 2012 à janvier 2017, un chauffeur de truck sans le déclarer à la CPS, sans lui fournir de contrat de travail et cerise sur le gateau, en lui faisant payer l’essence et les réparations du truck. Quant aux horaires du corvéable, 77 heures environ par semaine pour un salaire fluctuant entre 60 et 110 000 Fcfp par mois. Bref, l’employé qui n’existe que dans les rêves les plus fous des chefs d’entreprise. Des conseillers très spéciaux Mais en 2017, la CPS décide inopinément de faire un contrôle et Ana se voit dans l’obligation de régulariser la situation. Elle propose donc à son chauffeur de lui faire un contrat de travail à la date de 2017. Ce que celui-ci refuse car il estime qu’il travaille pour la société Vaihiria Transport depuis 2012. Loin de se laisser abattre, Ana fait appel à deux conseillers en la personne de René Temeharo, alors à la commission des transports de l’assemblée, et à Léonard Puputauki Junior. Les deux hommes conseillent Ana et lui concoctent un protocole d’accord qu’elle doit faire parapher à son chauffeur. Mais celui-ci n’en démord pas, il a été embauché en 2012 et non en 2013. Mais c’était sans compter le travail au corps des deux conseillers spéciaux, qui ont persuadé le chauffeur de signer sinon, « vu que les cotisations CPS n’ont pas été versées, c’est toi qui va rembourser la CPS et c’est une grosse somme. » L’homme prend alors peur, c’est ce qu’il dit dans sa déposition, et signe. Ce qui ne l’empêchera pas de porter plainte. En gros le protocole indique que la société lui paiera ses congés, mais seulement partir de 2013, à condition qu’il n’engage pas de procédure contre la société. Quant à l’essence qu’il a payée de sa poche, elle lui sera remboursée, toujours sous condition. Elle avançait l’argent de l’essence qu’elle défalquait sur le salaire du chauffeur Assise à la barre, Ana se fait traduire les propos du juge par un traducteur assermenté. À la question « pourquoi ne pas avoir déclaré votre employé à la CPS et ne pas lui avoir fait de contrat de travail ?», elle répond « j’étais ignorante et on avait un accord », « mais cela ne vous empêche pas de respecter la loi » s’exclame le juge qui poursuit, « et l’essence que vous lui faisiez payer ? », « c’est faux, je payais l’essence et je payais les réparations », « alors pourquoi sur le protocole d’accord il est écrit que vous alliez lui rembourser l’essence ? ». Il s’avère qu’en fait, Ana avançait l’argent pour l’essence, mais la défalquait de la paie du chauffeur… « Malgré son grand âge, madame est une délinquante et elle se fait conseiller par des gens à la moralité douteuse » En l’absence de partie civile la procureure prend la parole, « les deux personnes qui vous ont concocté le protocole d’accord, René Temeharo et Léonard Puputauki Junior, c’était vos conseillers ? », « non, ils sont venus pour m’aider car ils connaissaient bien le français et la justice et je n’avais pas les fonds pour payer un avocat. » Regard en l’air de la procureure qui masque difficilement un soupir d’agacement, elle se lance. « L’avarice commence là ou fini la pauvreté, et la manière dont elle traite ses employés est spéciale. Malgré son grand âge, madame est une délinquante et elle se fait conseiller par des gens à la moralité douteuse. Tout cela a été lucratif et cerise sur le gateau, elle fait payer l’essence par ses chauffeurs. » Elle requiert 12 mois avec sursis et une amende d’un million de Francs. Pour la défense, « ma cliente a repris l’entreprise de son mari avec ses moyens. Elle ne parle pas français, n’a pas été à l’école, mais elle connaît le métier. Quant à ses deux conseillers à la morale douteuse comme vous dites madame la procureure, l’un est ministre de l’Équipement, et l’autre, ce n’est pas son père. » « À d’autres » semble dire le sourire en coin de la procureure. L’avocat poursuit, « certes ce protocole n’aurait pas du être fait, c’est pas une bonne idée, mais dire à ma cliente que c’est une délinquante, c’est exagéré, ce sont des mauvais conseils qui lui ont été donnés. Depuis elle a pris un cabinet comptable et tout est rentré dans l’ordre, je demande la relaxe. » Après en avoir délibéré le tribunal a condamné Ana à six mois de prison avec sursis. 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