ACTUS LOCALESJUSTICE

Tous les moyens sont bons pour faire bouillir la marmite

Pas de grosses affaires ce lundi en comparution immédiate, mais parmi les trois affaires jugées, deux qui résument à elles seules le quotidien de certains jeunes Polynésiens qui se tournent vers le système « D », comme délinquance, pour faire bouillir la marmite.

Pai a 21 ans, le visage poupin et pas encore le sens de l’embrouille des délinquants chevronnés. Pai commence à être connu des gendarmes de Moorea et ainsi lors d’une patrouille, ils le repèrent au guidon d’un scooter avec deux autres personnes autour de lui. Flairant une transaction illicite, ils font demi-tour et la réaction de Pai ne fait que les conforter dans leur idée. Il s’enfuit en scooter. Les gendarmes le poursuivent et l’interpellent. Sur lui, une quarantaine de sticks de paka.

À la barre il explique qu’il travaille de temps à autre, au noir, comme soudeur, mais comme il est le seul à travailler dans la famille et que le boulot lui rapporte environ 20 000 Fcfp par mois, il n’a pas d’autre choix que de se tourner vers la vente de cannabis pour mettre du beurre dans les épinards de toute la famille. « Une fois par semaine je descends à Tahiti et j’achète deux ou trois boites et après j’en fais des sticks que je revends. »

Le souci, c’est que ce n’est pas la première fois qu’il se fait attraper. « Vous avez une bonne tête et vous avez déjà été condamné à des travaux d’intérêt général, trois fois ! Je ne sais pas quoi faire avec vous » lui confie la procureure qui se demande à voix haute si « un tour à Nuutania, histoire de voir à quoi cela ressemble » le calmerait peut-être. Validant cette hypothèse, elle requiert à son encontre trois mois ferme assorti d’un mandat de dépôt.

« C’est un jeune homme qui est dans une situation que l’on rencontre souvent ici » explique son avocate, « il cherche du travail et quand il en a cela ne lui rapporte pas beaucoup. En plus ce ne sont pas de grosses quantités de paka qu’il avait sur lui. Un travail d’intérêt général serait plus adéquat pour son cas d’autant que je ne suis pas sûre qu’une peine de prison ferme soit adaptée à sa situation. » Le tribunal l’a entendue et a condamné Pai à six mois de prison avec sursis.

Il vend des firifiri le jour et du paka le soir

Ed a la trentaine et lui aussi, une situation familiale pas facile. Son père est à l’hôpital, sa mère ne travaille pas et il est père de quatre enfants. Si le matin il vend des firifiri, avec le fruit de son labeur il achète de l’herbe qu’il revend après, prélevant au passage un petit bénéfice et de quoi fumer.

En général, quand on se livre à ce genre de commerce, le mot d’ordre est discrétion. Mais Ed ce n’est pas son style. Alors que le couvre-feu est en vigueur depuis plus d’une semaine, il ne trouve rien de mieux, avec un comparse, d’être à trois heures du matin dans la vallée de Tipaerui en train de boire sur la route, enceinte portative à fond, avec sur lui deux sachets de cannabis. Ce qui devait arriver arriva et les mutoi débarquent prévenu par un voisin qui visiblement n’apprécie pas trop la musique à cette heure tardive. Alors qu’ils font la morale à Ed, ils trouvent que celui-ci empeste le paka. Ils le fouillent et trouvent sur lui deux sachets de cannabis.

Et lui aussi à la barre, il explique qu’avec les firifiri il gagne environ 15 000 Fcfp par semaine mais que cela ne suffit pas à nourrir la famille. « Pourquoi avec l’argent que vous gagnez en vendant les firifiri vous n’achetez pas à manger ? » lui demande la juge. Ed la regarde, soupire : « et l’eau, et le courant ? » Puis, « vous ne pouvez pas comprendre. »

Comme Pai, Ed n’en est pas à sa première confrontation avec le tribunal. Il y a dix jours il comparaissait pour la même chose. « Ce qu’on vous a dit il y a dix jours, visiblement cela ne suffit pas » lui fait remarquer la procureure qui, légèrement agacée, requiert à son encontre six mois ferme.

« On en revient à la même chose que l’affaire précédente » fait remarquer son avocate, « on a des familles dans le besoin et des jeunes qui ne voient pas d’autres solutions que de dealer. Il sait qu’il risque la prison ferme, mais il n’a pas d’autres choix pour nourrir sa famille. Déjà en temps normal, ce n’est pas simple de trouver du boulot, mais là avec la crise, c’est encore plus difficile. Une incarcération ferme ne changera rien à sa situation. » Le tribunal l’a condamné à six mois, une peine aménageable.

Article précedent

« Net relâchement » des mesures sanitaires pendant le weekend

Article suivant

L’élection présidentielle américaine expliquée aux Océaniens

2 Commentaires

  1. deodata
    3 novembre 2020 à 7h15 — Répondre

    Il manque une vraie politique sociale pour aider les familles dans la misère. Et un contrôle des employeurs qui sous-paye et ne déclare pas les « employés ». Ça ne résoudra pas tout, et Pascal Bastianaggi aura toujours du travail (!) mais au moins nos décideurs politiques auront proposé quelque chose de positif.

  2. Microstring
    3 novembre 2020 à 8h15 — Répondre

    Il semble plus efficace de faire des TIG au lieu de la prison. En taule, ils ne font absolument rien si ce n’est d’apprendre a devenir meilleur… voyous?

Répondre à Microstring Annuler la réponse.

PARTAGER

Tous les moyens sont bons pour faire bouillir la marmite