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Turquie: après le putsch, Erdogan se pose en garant de l'union nationale

Istanbul (AFP) – « Une nation, un drapeau, une patrie, un Etat ». Ce slogan politique des dernières années a été remis au goût du jour par l’homme fort de Turquie, Recep Tayyip Erdogan, comme un symbole de l’union nationale après le putsch raté.

Avant le coup d’Etat manqué du 15 juillet, difficile d’évoquer une union nationale avec  l’opposition dans une guerre verbale constante avec le pouvoir, un pays polarisé à l’extrême par la rhétorique du chef de l’Etat et le sud-est à majorité kurde déchiré par la guerre civile.

Cette union nationale s’est redessinée lors d’un rassemblement monstre dimanche à Istanbul en présence des dirigeants de l’opposition, avec une marée humaine, tous solidaires « pour la démocratie ». Mais sans le parti pro-kurde.

La question est maintenant de savoir si M. Erdogan profitera de cette unité pour panser les plaies d’une nation très divisée et obtenir la révision constitutionnelle qu’il souhaite pour transformer la Turquie à sa mesure.

– Le parti pro-kurde grand absent –

« L’ambiance dans le pays est à la nervosité et la morosité, mais aussi à l’union derrière Erdogan », a commenté pour l’AFP Soner Cagaptay, directeur de programme au Washington Institute, « à ce stade Erdogan peut jouer un rôle de rassembleur ».

Selon cet analyste, l’unité est née du caractère historique de la nuit du coup d’Etat raté, qui a vu des chasseurs  pilotés par des mutins bombarder des cibles clés comme le parlement, lors d’un coup de force dont le prédicateur installé aux Etats-Unis, Fethullah Gulen, a été accusé.

« Le complot est probablement l’événement politique le plus traumatisant en Turquie depuis la chute de l’Empire ottoman », a estimé M. Cagaptay, notant qu’Ankara n’a pas subi une telle attaque militaire depuis l’invasion des hordes turco-mongols de Tamerlan en 1402. 

Ozgur Unluhisarcikli, directeur du bureau du German Marshall Fund à Ankara, souligne que l’ire des Turcs contre les auteurs du putsch a été déterminante dans leur soutien à la purge implacable qui s’est ensuivie sous l’état d’urgence.

« Alors que beaucoup craignent que le président Erdogan n’utilise le coup d’Etat raté pour (…) construire un régime autoritaire, cette fureur a unifié la population derrière les mesures gouvernementales », dit-il.

Signe d’une volonté de réconciliation, le président a abandonné les poursuites pour diffamation contre des personnalités de l’opposition, y compris le chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) Kemal Kilicdaroglu qui l’avait traité de « dictateur de pacotille ».

Mais tandis que M. Erdogan a invité M. Kilicdaroglu et le chef de file des nationalistes Devlet Bahceli à son palais présidentiel pour des entretiens impensables il y a quelques semaines, un homme a brillé par son absence: Selahattin Demirtas, coprésident du Parti de la démocratie des peuples (HDP) pro-kurde.

Celui-ci a été également écarté du rassemblement d’Istanbul, même s’il a sans équivoque condamné la tentative de putsch. Le gouvernement l’accuse de liens avec les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en lutte armée contre l’Etat turc. 

Une trêve de deux ans et demi a été rompue l’an dernier et il semble qu’il n’y ait aucune chance de retourner aux pourparlers de paix qui avaient soulevé l’espoir d’une fin au conflit de plus de 30 ans.

« Erdogan jouera un rôle de rassembleur excluant le HDP et les nationalistes kurdes. Son attitude envers le HDP ne changera que si le PKK est vaincu », a estimé M. Cagaptay.

– Unité fragile –

Le dirigeant turc est confronté à l’énorme défi de maintenir l’union dans une course politique de longue haleine. Il veut apparemment rester au pouvoir jusqu’en 2024 et mener à bien ses ambitieux projets pour « une nouvelle Turquie », allant de lignes de train à grande vitesse à un canal de style Panama à Istanbul. 

Le projet politique qui lui est le plus cher reste celui d’une révision de la loi fondamentale en faveur d’un régime présidentiel qui consacrerait ses pouvoirs de chef d’Etat, une démarche très incertaine avant le coup. 

Un cadre du Parti gouvernemental de la justice et du développement (AKP), Abdulhamit Gul, a annoncé mercredi des pourparlers dès cette semaine avec l’opposition pour une nouvelle Constitution. 

« C’est une unité fragile qui sera brisée le moment où le président Erdogan tentera de l’utiliser pour ses propres fins », prédit M. Unluhisarcikli.

Le président Erdogan à Saint-Pétersbourg, le 9 août 2016. © AFP

© AFP/Archives ALEXANDER NEMENOV
Le président Erdogan à Saint-Pétersbourg, le 9 août 2016

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