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Vaccination obligatoire, pass sanitaire… « Les juridictions seront amenées à se prononcer », pointe Me Millet

©CP/Radio1

La vaccination obligatoire pour les soignants et l’extension du pass sanitaire ne sont pour l’instant applicables qu’à la métropole. Mais en attendant une éventuelle transposition en Polynésie, les deux mesures annoncées par Emmanuel Macron soulèvent déjà des questions. La vaccination obligatoire est-elle légale ? Quels contrôles et voies de recours en cas d’application au fenua ? Me Thibault Millet a répondu à Radio1.

Emmanuel Macron a annoncé lundi la mise en place d’une obligation vaccinale pour les soignants et les professionnels au contact de personnes fragiles ou âgées. Une obligation qui devrait être applicable au 15 septembre en France, date à laquelle les professionnels non vaccinés pourraient voir leur contrat de travail suspendu. Cette mesure, prise pour protéger les populations les plus fragiles et éviter une nouvelle surchauffe sanitaire dû au variant Delta, n’est pour l’instant pas applicable au fenua. Mais la Polynésie, compétente en la matière, préparerait un projet de loi du Pays reprenant des dispositions similaires, suivant un calendrier à définir.

Déjà validé « sur le principe » par la justice

Les juristes locaux ont donc déjà commencé à s’interroger. Cette obligation de vaccination est-elle solide sur le plan juridique ? « L’obligation vaccinale existe déjà sur certains vaccins, et sur le principe, c’est une possibilité », rappelle d’entrée Me Thibault Millet, avocat au barreau de Papeete, qui a été plusieurs fois saisi pour attaquer la réglementation sanitaire depuis le début de la crise Covid. Les obligations vaccinales, qui existent depuis 1902 et le vaccin contre la variole en France, concernent aujourd’hui, pour les enfants, onze maladies différentes, et sont renforcées dans le milieu médical et hospitalier. Des contraintes sur lesquelles la justice a déjà eu l’occasion de se pencher. « Aussi bien le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour européenne des droits de l’Homme ont déjà validé le principe de l’obligation vaccinale dans certaines situations, donc certains cas et donc sur le principe, sur le papier, c‘est une possibilité » reprend Thibault Millet.

À l’entendre, les juridictions ont tout de même posé un cadre à ces obligations : « la question, c’est la proportionnalité entre la contrainte et le risque », expliquait-il ce matin. La nature particulière du Covid – une maladie relativement nouvelle, très contagieuse et dangereuse, mais surtout létale chez les personnes faibles ou âgées – et de sa vaccination – des vaccins dûment testés, mais mis sur le marché récemment et donc avec un recul moins important que d’autres médicaments – peuvent-ils jouer sur cette appréciation ? À voir. Mais sur la question de la vaccination obligatoire des soignants, le gouvernement central semble en tout cas être confiant. Car malgré les procédures d’urgence très souvent utilisées depuis le début de cette crise, cette mesure, comme l’extension du pass sanitaire, devrait faire l’objet d’un débat politique et juridique. À Paris, un projet de loi a ainsi été présenté dès ce mardi au Conseil d’État, et le Conseil des ministres attend son avis pour étudier le texte. Il sera ensuite transmis à l’Assemblée nationale et au Sénat pour un débat programmé aux environs du 22 juillet. La loi, si elle est votée, devra encore passer un garde-fou, et pas des moindres : elle fera probablement l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel avant sa promulgation, courant août. « Cette analyse est très attendue », note Me Millet. 

En attendant la transposition locale

Mais pour l’avocat, c’est la transposition locale de cette mesure qu’il faudra suivre de près. D’abord sur le terrain des compétences. Le Pays semble légitime au titre de sa compétence sanitaire, mais l’obligation vaccinale touche aussi aux libertés publiques. « Je pense que les juristes du Pays et de l’État sont en train de se poser la question », explique l’avocat. Des deux côtés, c’est la voie d’une loi du Pays qui semble aujourd’hui privilégiée. Là encore, un parcours législatif est à prévoir, et surtout des voies de recours pourront être ouvertes. « Le Conseil d’État pourrait être saisi pour vérifier la légalité de cette loi », rappelle le spécialiste.

Les interrogations de légalité sont en fait beaucoup plus fortes sur l’autre mesure phare annoncée par le chef de l’État : l’extension, à partir du 21 juillet, du pass sanitaire aux « lieux de loisirs et de culture » rassemblant plus de 50 personnes, puis, en août, aux restaurants, centres commerciaux, et certains moyens de transport longue distance. Ce pass sanitaire, tel qu’il est déployé en Europe et dans plusieurs pays du monde, n’est pas seulement une preuve de vaccination : à défaut de vaccination, il permet de justifier d’une protection par immunisation naturelle, ou de présenter le résultat d’un test de dépistage. Mais le fait est qu’une telle mesure, applicable dès l’âge de 12 ans, contraint fortement les personnes non vaccinées. L’application de ce pass en Polynésie bute aujourd’hui sur des contraintes techniques et administratives, et la transposition locale de la mesure – de la compétence de l’État, cette fois – reste aujourd’hui très hypothétique. Les juristes locaux devraient tout de même suivre avec intérêt les recours qui devraient être lancés en métropole sur le sujet. « Les juridictions seront amenées à se prononcer », pointe Me Millet, qui s’interroge notamement sur les contre-indications vaccinales (femmes enceintes, allergiques, immunodéprimés…). 

Une obligation généralisée en vue ?

Le débat métropolitain tourne aussi aujourd’hui autour d’une extension de l’obligation vaccinale à toute la population. Emmanuel Macron, s’il a expliqué refuser pour l’instant l’idée, n’a pas totalement fermé la porte à cette idée. Certains ont même vu dans son discours de lundi une façon de « préparer les esprits ». « En fonction de l’évolution de la situation, nous devrons sans doute nous poser la question de la vaccination obligatoire, a précisé le président de la République. Mais je fais le choix de la confiance et j’appelle solennellement tous nos concitoyens non vaccinés à aller se faire vacciner dès aujourd’hui au plus vite ».

Pour Me Thibault Millet, une obligation de ce type ouvrirait, là encore, la voie à des recours. « La question qui va se poser, c’est l’efficacité des vaccins en fonction de la dangerosité de la maladie pour le public soumis à cette obligation », explique-t-il. Et à l’entendre, la propagation du variant Delta pourrait changer la donne : « C’est étonnant de voir qu’on fait un virage à 180° sur l’obligation vaccinale précisément au moment où est introduite une importante incertitude sur son efficacité », avance le juriste. Si les laboratoires travaillent sur des améliorations de leur produit pour s’adapter au mieux à ces nouveaux variants, la Haute autorité de Santé confirmait le 9 juillet, et au vu de plusieurs études statistiques, l’efficacité « maintenue à un niveau élevée » des vaccins actuels sur ce variant. Côté dangerosité, une éventuelle obligation serait surtout « discutable » concernant les enfants, peu touchés par les formes graves de la maladie, reprend l’avocat. 

À chaque matière son angle d’analyse. Si le droit s’intéresse aux libertés individuelles dans le corps médical, c’est la protection collective qui est mise en avant. Ainsi l’Académie nationale de médecine, qui plaidait dès le mois de mai pour une vaccination obligatoire des soignants et l’extension du pass sanitaire, s’est déclarée favorable à une obligation généralisée dans un communiqué daté du 9 juillet. «Concernant l’ensemble de la population âgée de 12 ans et plus, l’obligation vaccinale contre la Covid-19 constitue la seule option réaliste en termes de responsabilisation personnelle et d’engagement solidaire permettant de préserver sa santé, celle des autres et de parvenir à l’immunité collective».

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