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Vanina, libérée de 22 ans d’humiliations, de coups et de brimades

Edwin, 50 ans, comparaissait ce mardi pour agression sexuelle et non-respect d’une ordonnance de protection qui visait à protéger sa femme. L’homme, tyran domestique à l’attitude provocante, a été condamné à cinq ans de prison dont deux ans avec sursis, avec mandat de dépôt.

Vanina*, mère de famille d’une quarantaine d’années, a vécu durant 22 ans sous la coupe d’Edwin. Vingt-deux ans de coups, de brimades, d’insultes et cela en présence de ses enfants. Cinq garçons qui eux aussi ont subi les accès de colère de ce tyran domestique, pour qui cela était tout naturel.

N’ayant plus de contact avec sa famille, qui avait coupé les ponts avec elle suite à son mariage avec Edwin, Vanina n’a personne vers qui se tourner et confier ses malheurs. Seuls ses enfants sont conscients de ce qu’elle vit. Mais suite à un déplacement professionnel en 2016, un déclic s’opère. Elle décide de s’émanciper de ce bourreau, qui use autant de ses mains que de la manipulation psychologique pour parvenir à ses fins : maintenir femme et enfants sous sa coupe.

Pour raisons professionnelles son patron l’avait envoyée une semaine dans les îles. Un voyage que n’avait guère apprécié Edwin, car à son retour, il la force à écrire une lettre de démission et l’accompagne à son travail afin qu’elle la remette à son employeur. C’est cet épisode qui a tout déclenché. Elle fait alors une demande de divorce et le juge des affaires familiales lui octroie une ordonnance de protection avec qui plus est, un « téléphone grave danger » car le juge a estimé la situation très dégradée.

Tout aurait pu se terminer là si Edwin ne s’était pas senti comme humilié par cette décision. Pour lui, jamais sa femme n’aurait osé demander le divorce, ce sont forcément les autres qui lui ont mis cette idée dans la tête. Il voit dans le divorce la perte de son jouet, celle qui se soumet à ses moindres volontés, qui l’écoute et lui obéit au doigt et à l’œil.

« Il m’a montré une corde en me disant qu’on allait se suicider »

C’est avec cette idée bien ancrée dans la tête que courant août 2016, il viole l’ordonnance de protection mise en place par le juge. Alors que Vanina venait d’accompagner en voiture l’un de ses fils à l’école, Edwin l’attendait. Il la pousse coté passager et prend place au volant. Vanina raconte : « il m’a forcé à aller à la mer, puis il m’a jetée à l’eau et m’a ressortie. Comme j’étais mouillée, je me suis déshabillée et couverte d’une serviette. Il m’a volé mon vini puis m’a menacée de m’écraser si je m’enfuyais. » S’ensuit une journée où Vanina est prise en otage et soumise au désir d’Edwin qui la trimballe partout là où selon lui, « on a eu des moments heureux ensemble. »

Dans la soirée, Edwin l’emmène dans la zone industrielle de la Punaruu. « Il voulait faire l’amour, mais moi je ne voulais pas et comme je résistais, il m’a menacée avec une barre de fer. J’ai pris peur et j’ai cédé. Il a commencé par mettre un doigt dans mon vagin, puis après il a voulu mettre une bouteille de monoï, je me suis débattue et après il est monté sur moi et m’a pénétrée. J’ai essayé de m’échapper, mais il m’a rattrapée. Puis il m’a montré une corde en me disant qu’on allait se suicider. Je me suis évanouie. » C’est à son domicile qu’elle s’est réveillée dans son lit, Edwin couché au pied du lit. « Il est parti à quatre heures du matin en me disant de ne pas divorcer. » Vanina va porter plainte à la police et quatre ans après les faits, Edwin est à la barre ce mardi.

« Chaque fois que je veux coucher avec ma femme, je lui demande si elle veut bien »

Souffrant d’obésité morbide, Edwin 50 ans, se meut avec difficulté. À la barre, c’est d’une voix mielleuse qu’il explique, « chaque fois que je veux coucher avec ma femme, je lui demande si elle veut bien. Il y a eu une relation sexuelle, Mais elle était d’accord, je n’accepte pas ses mensonges. Je ne l’ai pas enlevée et je ne suis pas violent »,  se justifie-t-il tout sourire, sûr de lui.

Le juge lui lit alors les différents témoignages de ses enfants qui tous s’accordent à dire « il est violent, il ne se passe pas une semaine sans qu’il nous tape. Il ne fait rien et il nous tape pour qu’on fasse le travail à la maison. Il tape maman quand elle rentre tard du travail etc… »

À la barre Edwin ne se départit pas de son sourire condescendant et de sa voix semblable à celle du serpent tentateur, du moins telle qu’on l’imagine. « Je rosse les enfants quand ils font des bêtises, avec mes mains et parfois un bois. Ma femme je ne l’ai giflée qu’une seule fois, et pas méchamment, elle a pleuré et j’ai pleuré avec elle. »

« Je veux l’entendre de mes oreilles, si elle veut le divorce, je lui donne le divorce »

« Pourquoi elle demande le divorce alors ? » s’énerve le juge qui sent bien que l’accusé le prend pour un idiot. Edwin, obséquieux, « je veux l’entendre de mes oreilles, si elle veut le divorce, je lui donne le divorce » dit-il, grand prince. « Ce n’est pas à vous d’accorder le divorce, réplique le juge, c’est au juge. On est plus au Moyen Âge ! »

Edwin, grandiloquent, d’une voix ou percent des semblants de sanglots, « j’adore mon épouse, c’est ma femme, grâce à elle j’ai changé ma vie, elle m’a mis sur le droit chemin. » « Est-ce-que c’est clair pour vous que le divorce va être prononcé et que vous n’allez plus vivre avec elle ? » demande le juge insensible devant ses larmes de crocodile. « C’est l’avocat qui dit cela, moi je veux l’entendre de la bouche de ma femme » assure Edwin, de ce ton où perce un fort sentiment de supériorité, semblable à un gourou, détenteur de la vérité, répondant à ses contradicteurs.

Histoire de le faire descendre du piédestal auquel l’accusé semble prétendre, le juge lui lit le rapport qu’a fait de lui un psychologue : « Immaturité psycho-affective. Jalousie récurrente. Estime avoir un droit de propriété sur sa femme. Il n’éprouve ni regret, ni empathie. Il y a un risque de récidive important. » Le juge le regarde fixement, Edwin sourit. « Vous en pensez quoi monsieur, du rapport ? » « Il y a des petites choses vraies, mais la plupart c’est n’importe quoi. »

« Pour lui je suis son objet, durant 22 ans, il m’a frappée »

De guerre lasse, le juge appelle Vanina à la barre. « Je sais que c’est difficile, madame, et vous n’y êtes pas obligée, mais ce serait bien si vous veniez témoigner. » Elle accepte. « Est-ce que vous maintenez ce que vous avez dit dans votre déposition ? » « Je maintiens. » « Vous pensez quoi de l’attitude de votre mari ? »

Sa respiration devient difficile, à tel point que le juge s’enquiert si elle va bien. « Oui, ça va. Pour lui je suis son objet, durant 22 ans, il m’a frappée. Ma famille ne l’aimait pas et m’a fermé sa porte. J’étais seule avec mes enfants. » Elle pleure : « personne ne connaissait notre histoire, on allait à la chapelle comme si tout allait bien. Et à force c’est devenu une habitude. On a pris l’habitude de tout garder, de ne rien dire. »

L’auditoire est suspendu à ses paroles, on entend des reniflements, certains essuient furtivement des larmes. « Je veux divorcer, je ne veux plus de cette vie que j’ai vécue depuis 22 ans. Depuis qu’il est plus là, tout va bien à la maison, mes enfants disent qu’ils m’aiment, ils ont évolué, ils vont bien, on est tellement bien ensemble. » Elle se rassoit, éprouvée mais libérée.

Le juge rappelle Edwin à la barre. « Est-ce que vous souhaitez réagir au témoignage de votre femme ? » Edwin, un peu dur d’oreille, se tourne vers Vanina et déclare, théâtral, « je t’aime et si tu veux je te donne le divorce », « elle vient de le dire, monsieur, qu’elle voulait le divorce ». Voyant sa « chose » s’échapper, le ton et le visage d’Edwin révèlent sa vraie nature, « donnez-moi un papier, je signe tout de suite, je ne vais pas revenir demain ou après-demain ! »

« Elle essaie de mettre sa tête hors de l’eau alors qu’elle se noyait depuis 22 ans »

Pour l’avocate de Vanina, « c’est un dossier exceptionnel, c’est l’histoire d’une femme qui porte seule sa souffrance et celle de ses enfants. (…) Elle essaie de mettre sa tête hors de l’eau alors qu’elle se noyait depuis 22 ans. Elle a vécu 22 ans la boule au ventre. » Puis elle s’adresse à Edwin, des éclairs de colère dans les yeux, « elle ne veut plus avoir à faire avec vous monsieur ! » Elle réclame à l’encontre de l’accusé, « la plus grande sévérité et quatre millions au titre du préjudice moral. »

« Cela fait 20 ans que madame est sous l’emprise psychologique de cet homme, ce tyran domestique » attaque le procureur, « et je rends hommage à cette dame d’être présente aujourd’hui, de témoigner et d’étaler sa vie privée à la barre, en étant sobre avec beaucoup d’émotion. » Rappelant que les faits sont graves et que Vanina a été la première Polynésienne à bénéficier du « téléphone grave danger », le procureur affirme que « l’accusé n’a toujours pas compris la gravité de ses agissements, que sa femme n’est pas sa chose, sa propriété. » Ainsi, il requiert cinq ans de prison dont deux ans avec sursis avec mandat de dépôt avec interdiction de rentrer en contact avec la victime et son inscription au fichier national des délinquants sexuels.

A l’énoncé des réquisitions, l’accusé s’exclame, « je pense que cinq ans ce n’est pas assez. Donnez moi 50 ans. Car quand vous parlez on ne sait pas où est la tête où est la queue. Il faut être un poète pour vous comprendre. Donnez moi 50 ans le temps que j’apprenne votre langage. Je veux l’apprendre pour me défendre. »

Après en avoir délibéré, le tribunal a suivi les réquisitions du procureur y ajoutant deux millions au titre de préjudice moral. À l’annonce, Edwin s’exclame, ironique et frondeur « M. le juge, donnez-moi 50 ans, je veux faire ma vie en prison. » « Si vous voulez avoir une peine plus lourde, faites donc appel. »

*prénom d’emprunt

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