ACTUS LOCALESJUSTICE En proie à de mauvais esprits, il frappe sa femme Pascal Bastianaggi 2020-01-20 20 Jan 2020 Pascal Bastianaggi ©PB Une histoire apparemment banale et malheureusement courante de violences conjugales. Mais dans ce cas, l’intervention de «mauvais esprits» mais surtout un vécu militaire traumatisant, pourraient expliquer ses accès de violences. Il a été condamné à un an de prison ferme. Henry E., 38 ans, petit trapu au visage marqué par des coups, est dans le box des accusés pour des violences conjugales. C’est une plainte déposée par sa femme qui l’a mené devant le juge. Les faits se sont déroulés le 14 janvier aux environs de 5 heures du matin. Henry se prépare pour aller au magasin chercher de quoi déjeuner quand il interpelle sa femme pour lui demander si elle a besoin de quelque chose. « Je lui ai répondu ‘quoi ?’ déclare-t-elle dans sa déposition, et il s’est énervé. Il est remonté dans la chambre où l’on dort avec notre fils et il m’a frappé. J’ai eu un trou noir. Quand je me suis réveillée, il tirait notre fils par les cheveux alors qu’il s’était interposé entre nous. Je me suis mis entre les deux et là, il m’a encore frappée. » C’est une scène récurrente chez ce couple qui vit ensemble depuis 2003. Leur fils de seize ans confiera aux gendarmes que si son père ne le frappe pas, il prend bien soin de taper sa mère à des endroits que l’on peut aisément camoufler. « Il la tape sur le dessus de la tête ou sur le corps à des endroits que l’on peut cacher avec des vêtements. » Á la lecture des faits, dans les yeux du public, on peut lire une forte animosité envers l’accusé. Animosité qui laissera place à de l’incrédulité, puis à une certaine pitié quand le prévenu prendra la parole. Des nuits cauchemardesques « Toutes les nuits, les esprits s’emparent de moi. Ils s’assoient sur moi et m’empêchent de respirer. Pendant ma garde à vue, ils m’ont agressé pendant que je dormais, c’est un gendarme qui m’a réveillé. Du coup pour éviter de m’endormir, je me suis frappé le visage plusieurs fois. » D’où les traces de coups qu’il présente au tribunal. « J’en ai parlé à un psy à la prison, et il m’a dit d’aller voir un prêtre ou un sorcier. » Selon lui, c’est sa femme qui a été la première victime de ces mêmes esprits. Alors qu’elle était hospitalisée, elle aurait appelé son mari pour lui dire que des esprits la touchaient. Il aurait alors dormi avec elle, et « depuis, les esprits se sont emparés de moi. » Syndrome post-traumatique ? Incrédulité et sourires s’affichent alors sur les visages. Mais ceux-ci s’effacent rapidement quand Henry évoque son passé sous les drapeaux, à la demande du juge Léger qui semble penser que ses antécédents militaires peuvent expliquer les apparitions des esprits et les nuits tourmentées qu’il passe. « Je me suis engagé dans l’armée et j’ai été envoyé en Côte d’Ivoire où j’étais caporal-chef. Avec mon trinôme, on est tombé en embuscade alors qu’on devait exfiltrer des citoyens français. J’ai demandé un soutien de l’artillerie, et on a eu la vie sauve grâce à cela. » explique-t-il d’une voix sourde. Il poursuit « J’ai vu beaucoup de choses horribles là-bas. Des corps d’enfants déchiquetés, de la violence. C’est dur psychologiquement. Mais, précise t-il de suite, les esprits n’ont aucun lien avec ça. » S’il reconnait fumer de temps à autre, « une pipette de paka pour m’endormir le soir, je ne bois plus d’alcool depuis 2001. » « J’ai jamais connu l’amour » Évoquant son enfance, il dira avoir été battu par son père, ce dont il ne lui tient pas rigueur, « c’est normal », mais aussi par son frère plus âgé, ce qu’il admet moins. « J’ai jamais connu l’amour. Il n’y a qu’avec ma femme et mon fils que j’ai connu ce sentiment. Je dois être malade. C’est pour cela que je voudrais qu’on m’aide. » Quand le juge lui fait remarquer que son épouse et son fils ont déménagé à Bora Bora, chez les parents de sa femme, il confie, « c’est très bien. Là-bas, il y a de l’amour. Pas dans ma famille. Je suis d’accord avec ce qu’elle fait. Elle me demande de guérir et c’est à moi de me soigner. » Un an de prison ferme requis Pour le procureur de la République, « L’accusé a six condamnations à son casier dont deux pour violences commises dans la sphère familiale. Il est de notre devoir de protéger sa femme. Certes, il a eu une jeunesse difficile, une mauvaise expérience au combat, mais cela ne justifie pas les violences. Je réclame 18 mois de prison dont six avec sursis, un suivi mise à l’épreuve de deux ans et son maintien en détention. » Pour la défense, le prévenu à plutôt besoin de soins qu’une peine de prison. « On peut se poser la question quand il dit, ‘je voulais me battre seul contre les esprits, me donner des coups pour m’empêcher de dormir’. La dernière fois que j’ai entendu cela, c’était au centre psychiatrique du Taaone. C’est de cela dont mon client a besoin. » Quand le juge demande à Henry s’il désire s’exprimer une dernière fois avant le délibéré, celui-ci d’une voix où l’on sent percer la détresse assène, « Je veux guérir de la violence. C’est pas en prison que je vais guérir. Là-bas, la violence elle est partout. Je vous demande de m’aider. » Le tribunal n’a pas tenu compte de l’appel à la mansuétude et a suivi le réquisitoire du procureur. Dix-huit mois de prison dont six avec sursis et maintien en détention. 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