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Expo « Les Peuples de l’eau » : les liquidités végétales d’Emmanuel Reiatua-Cuisinier

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Artiste plasticien originaire de Polynésie française, Emmanuel Reiatua-Cuisinier vit et travaille entre Papeete et Paris depuis de nombreuses années. Il fait partie des artistes sélectionnés pour l’exposition-événement ‘Les Peuples de l’eau’ présentée à la bibliothèque de l’université (BU) jusqu’au 30 avril, qui réunit pas moins d’une soixantaine d’artistes et leurs 128 œuvres.

Le travail d’Emmanuel Reiatua-Cuisinier travail autour du ‘uru est le fruit d’une résidence artistique sur l’île de Huahine en août 2019, en totale immersion avec son sujet d’étude. La métamorphose végétale en est le motif de départ, avec le thème du passage de la matière solide au délitement, et ses rigoles, ses jus de couleurs. Viennent progressivement s’entremêler des moments de liquéfactions, mais aussi de projections, rappelant à la fois certains fonds marins et des ciels étoilés bleu profond. Deux de ses toiles sont déployées dans la salle de lecture principale, au centre de la BU.

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 « Le fruit de l’arbre à pain reste le point de départ de ces moments de liquidité puis s’éventre en de longues rigoles de couleurs qui viennent se superposer jusqu’à la base du tissus. L’écorce du ‘uru se fragmente et devient une sorte de motif qui peu à peu s’émancipe de sa figuration première. »

Comment avez-vous eu vent de l’appel à participation de cette 2e Journée mondiale de l’art ?

« Alors que j’avais commencé cette série autour du ‘uru avec déjà deux ou trois dessins, ma mère venue me rendre visite en France, me rapportait une coupure de presse locale évoquant l’appel à participation. Ces dessins sur vélin de 60 x 80cm ont été le point de départ de ma candidature, en sachant que j’avais déjà en tête ces grands formats, que j’ai appelé ‘Cascades’. Lorsque la question s’est posée du transport des toiles roulées jusqu’au fenua, le fret n’étant plus possible pour les raisons sanitaires qu’on sait, c’est Moetai Brotherson en déplacement dans l’Hexagone, qui s’en est très aimablement chargé, ce qui en fait une épopée peu banale. »

Comment avez-vous fait vôtre la thématique des ‘Peuples de l’eau’ ?

« Le point d’entrée sur le thème n’est pas tant l’océan que la liquidité, ce qui tranchait parfaitement avec mon travail précédent sur des productions résolument plus terriennes, plus solides. Je souhaitais alors défaire mon geste et le libérer vers autre chose, et c’est là qu’a démarré cette nouvelle série prenant pour point de départ le ‘uru, le graphisme de sa peau, la surface du fruit, de la feuille, de la pousse. Le but c’était de l’éclater, à l’image du geste mémoriel de mon grand-mère qui préparait le koehi kii marquisien qui était arrosé de lait de coco puis continuellement écrasé, faisant ressortir l’amidon. J’étais intéressé par son aspect gluant, baigné dans les coulures du lait. Nous le consommions ensuite avec le mitihue, lors du repas dominical. Depuis, en publiant mes dessins sur les réseaux, j’ai récolté d’autres recettes, aux Caraïbes notamment, où il est consommé différemment. C’est ainsi que je me suis rendu compte qu’il était une constante de la nourriture de base ailleurs, à force d’importation et de voyages. De l’arbre qui poussait à l’état naturel, aujourd’hui, c’est un arbre que tu choisis d’avoir chez toi, c’est un symbole fort. Dans ce sens, la thématique proposée par les commissaires d’exposition est venue nourrir une orientation déjà entamée dans ma démarche. Finalement, le rapport au thème rencontrait mon parti pris autour de la représentation du ‘uru et de sa liquidité dans la technique. J’en arrive aujourd’hui à 8 cascades et 15 encres, et je pense déjà à la suite, sous forme de polyptyques cette fois plus sombres. Garder la cendre, le calciné à la surface du fruit pour montrer un cœur nourricier exultant, exaltant. Car le ‘uru c’est aussi bien le pain que l’on partage que le père qui accepte de devenir arbre dans la légende, un lien entre ces deux visions. »

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Quel est votre parcours artistique avant den arriver à déposer votre dossier pour Les Peuples de l’eau ?

« Je suis un artiste sur le tard. J’y suis venu il y a une dizaine d’années, après des études aux Beaux-Arts de Strasbourg, je suis entré dans le monde de l’art par le prisme du commissariat d’exposition, mon métier. Puis quelques années plus tard j’ai participé aux ateliers des Beaux-Arts de la ville de Paris en lithographie et dessin. Car exposer, c’est avoir des choses à montrer, à partager, ce qui prend du temps de création. »

Vous qui êtes originaire de Raiatea, que représente pour vous le fait d’exposer pour la première fois au fenua ?

« C’est un peu comme si la boucle était bouclée. Partir de Tahiti n’est pas anodin. Pour pouvoir rester loin, il faut savoir garder les choses à distance. Le Tahiti d’aujourd’hui ressemble de moins en moins à l’image d’enfance ; de nouvelles images doivent venir de moi afin de replacer la Polynésie à la base de cette démarche artistique. Cette nouvelle série autour du ‘uru c’est quelque part choisir de revenir. Aujourd’hui, je n’ai jamais eu autant de fenua autour de moi et tout ceci est loin d’être anodin et remue beaucoup de choses en moi. C’est un peu comme si on me répondait ‘tu es le bienvenu chez toi’. Aujourd’hui, je ne pourrais être présent pour l’exposition mais ma famille en Polynésie va pouvoir découvrir mon travail, et cela me réjouit. »

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Quel regard portez-vous sur l’art contemporain en Polynésie ?

« La culture polynésienne, dans sa tradition, mêle un sens de l’artisanat et un sens identitaire fort. De ces savoir-faire et savoir-être précis émanent la notion d’art. Cette dynamique particulière est intrinsèque à Tahiti, il en est le ferment. Et au milieu de ce paysage, on rencontre ces femmes de proues que sont les organisatrices de ces Journées mondiales de l’art, Valmigot, Here’iti VR et Claire Mouraby, qui permettent de nouveaux croisements, de nouvelles intersections, un métissage. Elles portent qui plus est en elles une forme de générosité, de curiosité, d’entièreté. D’universalité et d’humanisme profond aussi. »

Que représente pour vous l’idée de l’exposition collective ?

« C’est un plaisir de partager. Loin du fenua, je ne m’étais pas rendu compte de la portée de ce travail collaboratif. Et je suis fier et admiratif du parcours et du regard de ces femmes-là, de ces personnes, à l’origine de cette fabuleuse initiative. »

 

Exposition « Les Peuples de l’eau » 

Jusqu’au 30 avril inclus

Bibliothèque de l’université, Campus d’Outumaoro, Punaauia

Du lundi au vendredi, de 7h30 à 18 heures, et le samedi de 8 heures à 16 heures

Retrouvez le travail d’Emmanuel Reiatua-Cuisinier sur son site www.emmanuelcuisinier.com et sur Instagram : emmanuelcuisinier

 

 

 

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