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Jean-Marc Regnault alerte sur les « très grands périls » qui guettent l’Océanie

Ne vous laisser pas submerger par le monde qui vient, c’est le titre du dernier ouvrage – à paraître – de Jean-Marc Regnault. Un opuscule d’une quarantaine de pages, présenté comme un « appel solennel » à prendre conscience de l’évolution rapide des défis auxquels le fenua et sa région sont confrontés. Pour l’historien, aucun doute, l’heure n’est plus à des débats statutaires, mais à faire des choix « drastiques » pour l’avenir du pays face aux pressions économiques, climatiques ou géopolitiques.

Trois ans et de profonds changements pour l’Océanie. C’est le constat de Jean-Marc Regnault, qui consacre un nouvel essai, à paraître dans quelques jours, aux « changements de paradigmes en Asie-Pacifique ». Parmi les évolutions multiples – et rapides – identifiées par l’historien : le réchauffement climatique, la hausse des prix, les risques de pénuries, et la géostratégie qui évolue rapidement avec la guerre en Ukraine, dans le Pacifique comme dans le reste du monde. « Tous ces phénomènes sont en train de se coaliser et de se renforcer les uns les autres et c’est pourquoi les périls sont très grands. »

L’historien de 77 ans, transformé en « lanceur d’alerte », interpelle d’abord sur les effets pervers que peuvent avoir, au-delà des changements climatiques, les mesures qui sont prises pour les limiter. Et prend en exemple l’actualité récente concernant les craintes sur l’approvisionnement de la Polynésie. « On va réserver le transport des marchandises à des bateaux de plus en plus grands qui pour l’heure ne peuvent pas rentrer dans le port de Papeete sauf si l’on fait des travaux gigantesques ou si à partir de grandes villes comme Sydney on envoyait des bateaux plus petits pour nous approvisionner. Mais d’un côté comme de l’autre, ce sont des surcoûts considérables qui nous attendent ». Et des surcoûts qui auront forcément un impact sur la population.

Le tourisme longue distance menacé

Autre répercussion, « ce qui fait notre richesse en Polynésie, c’est le tourisme, or comment peut-on concilier le tourisme à longue distance avec la sobriété énergétique » s’interroge l’historien pour qui « on a des risques très profonds sur l’activité touristique. À moyen terme et à long terme ce sera beaucoup plus difficile. » assure-t-il.

Une triple peine donc pour l’Océanie et la Polynésie en particulier. « On va se prendre les effets du changement climatique quand les eaux vont commencer à monter, quand les vents et cyclones seront de plus en plus violents, et en plus on nous reprochera d’être loin de tout en nous disant comment cela ce fait-il qu’on utilise autant de carbone pour vous alimenter, vous équiper. Et pour couronner le tout, tout va devenir plus cher. »

Quand la Chine s’éveille

Désormais l’échiquier mondial s’est déplacé de l’hémisphère nord à l’hémisphère sud, reprend l’historien, le Pacifique attise la convoitise des grandes puissances que ce soit pour des besoins de ressources naturelles, comme les terres rares ou la pêche, mais, plus inquiétant encore, pour des raisons de géostratégie. Les rivalités entre grandes nations dont la République Populaire de Chine et les USA, qui jusque-là se limitaient au terrain commercial ou diplomatique, prennent insidieusement la direction du champ de bataille.

Le « soft power » chinois, comme par exemple le développement des « Routes de la soie », change de braquet. « On s’aperçoit que maintenant la Chine va sans doute plus loin en exacerbant son conflit avec Taiwan et en essayant de prendre des positions un peu partout dans le Pacifique. »

Indépendance contre autonomie, des combats dépassés

Mais pour Jean-Marc Regnault, auteur entre autres d’ouvrages sur Oscar Temaru, Gaston Flosse ou le fait nucléaire en Océanie, la grande nouveauté réside pour les petites nations dans le fait que « désormais, la notion de souveraineté disparait. Maintenant tout est un enjeu internationalisé (…) la liberté, la souveraineté des états, l’autonomie des territoires sont de plus en plus remises en question. » Et de prévenir « quand Jean-Marie Tjibaou disait -L’indépendance c’est de pouvoir choisir ses interdépendances- c’était valable dans les années 80, mais plus maintenant. »

 

À en croire l’historien, avec les défis qui nous attendent, « il ne devrait pas y avoir place aux querelles politiciennes, la politique est noble et on a raison de débattre des idées, mais il faut voir que nous sommes dans le plus grand des périls et dans ces conditions il devrait y avoir une autre façon de faire de la politique. Une autre façon de revendiquer. (…) Qu’est ce que cela veut dire être autonome aujourd’hui ou souveraineté dans un monde interdépendant quand on fait l’objet de convoitise et même de corruption. »

« La protection, pour l’instant, elle vient de la France »

Pour Jean-Marc Regnault, face à l’expansionnisme de la Chine, « en ce qui concerne les territoires français, la protection, pour l’instant, elle vient de la France. (…) La puissance administrante ou coloniale, est quand même celle qui apporte les garanties de liberté les plus grandes. »

Un sentiment renforcé par la montée des extrémismes et des libertés confisquées un peu partout dans le monde. « Les problèmes que connaît la Polynésie par rapport à la France, ce n‘est pas grand-chose comparé aux problèmes que rencontrent certains peuples à travers le monde. C’est pour cela qu’il faut regarder les choses de façon globale et mondiale et savoir raison garder » assure l’auteur en faisant allusion à la phrase prononcée lors du dernier synode de l’Eglise protestante maohi, « il faut rappeler à l’État français que le temps de la servitude est révolu»

S’intéresser aux inégalités plutôt qu’au statut

Plutôt que de s’écharper sur des questions de statuts, la classe politique ferait mieux de se pencher sur les inégalités sociales, la pauvreté. Dans son ouvrage Jean-Marc Regnault indique que « des études déjà anciennes, mais corroborées par de plus récentes, estiment que l’écart de revenus entre les 10 % des plus pauvres et les 10 % des plus riches résidants en Polynésie est de 1 à 6 voire de 1 à 9 quand il est de 1 à 3,6 en métropole. » Il en tire le constat que « cela indique clairement qu’une partie de la richesse échappe à l’imposition qui permettrait la redistribution. Ce n’est pas normal et cela risque – dans le contexte actuel de difficultés économiques et sociales – de mettre rapidement en question la paix sociale. » et d’enfoncer le clou : « Les plus aisés devraient le comprendre »

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