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L’EDT à la barre pour homicide involontaire

Six employés d’EDT ont comparu devant le tribunal de Papeete ce mardi pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence. Le 22 décembre 2017 Dylan, 14 ans, était foudroyé par une décharge électrique alors qu’il prenait appui sur un coffret électrique pour enjamber une clôture. Quelques jours après il décédait des suites de son électrocution. Le délibéré sera rendu le 1er décembre.

Le 22 décembre 2017, Dylan, 14 ans, revient de la plage dans des vêtements encore mouillés par l’eau de mer. Dans la servitude où il vit, il passe devant le terrain voisin de chez lui, où lui et les enfants du quartier ont pour habitude de venir jouer. Un terrain inoccupé depuis 2003, à la suite d’un incendie, entouré en partie d’un grillage, mais uniquement par des tôles coté servitude et d’un portail d’entrée cadenassé. L’une des tôles dont le sommet est plié à force d’être enjambé par les gamins, se trouve près d’un coffret EDT, dont l’aspect extérieur, aux dires de nombreux témoins, est fortement dégradé. Dylan comme à son habitude enjambe la tôle et ce faisant prend appui avec sa main qu’il pose à l’intérieur du coffret et là, il prend une décharge électrique qui le laisse collé au disjoncteur.

L’un de ses copains, le voyant tétanisé, appelle au secours. Le beau-père de Dylan se précipite et voyant la scène, donne un grand coup de pied dans le bras de Dylan afin de le décoller du disjoncteur. Dylan s’effondre, et un voisin, ancien pompier, lui prodigue un massage cardiaque. Les secours arrivent sur les lieux et Dylan est emmené au CHPF où il décèdera le 2 janvier 2018.

De nombreux témoignages soulignent la vétusté du coffret électrique

Une enquête est alors ouverte et on procède à une saisie du coffret afin que celui-ci soit expertisé. Il sera envoyé en Métropole où il sera examiné par les experts du bureau Véritas. En attendant le résultat de l’expertise, riverains et même éboueurs s’accordent tous à dire que le coffret était dans un état plus que vétuste, et cela depuis un bon bout de temps. De plus, ils font part de leur étonnement car tous pensaient que le coffret EDT n’était plus alimenté depuis longtemps.

Le problème, c’est que cet état de vétusté apparente n’a pas été relevé par quatre agents releveurs de l’EDT qui sont tenus de faire remonter le moindre problème à la hiérarchie. D’où leur présence ce mardi à la barre, en compagnie de deux cadres de l’EDT, leurs responsables hiérarchiques. Pour eux et l’EDT, le compteur était en parfait état lors du dernier relevé, soit un mois avant l’incident. Ce que confirme le propriétaire du terrain dans une déposition datant d’un an après les faits, alors qu’entendu le lendemain de l’accident il avait indiqué que le coffret était endommagé.

Aucun des agents releveurs n’a constaté de défectuosité du coffret

Le premier agent entendu à la barre déclare n’avoir aucun souvenir de l’état du compteur, mais affirme que « s’il avait été vétuste je l’aurais signalé » et précise qu’il relève entre 200 et 500 compteurs par jour. Le deuxième agent, lui, se souvient du coffret incriminé et indique n’avoir relevé aucune anomalie sur le compteur ni le boitier, tout juste, « j’ai ouvert la porte du coffret pour relever la consommation car le hublot était opaque. » Il se rappelle aussi que la consommation d’électricité n’avait pas bougé depuis longtemps. À noter qu’un hublot opaque fait partie des problèmes qui doivent être signalés, et que là en l’occurrence aucun signalement n’a été fait.

Interrogé, le responsable du service avoue ne rien comprendre car le dernier relevé de compteur, qui remontait à un mois avant l’incident, ne fait état d’aucune détérioration. « Je n’ai rien constaté ni au niveau du coffret, ni au niveau du compteur » assure l’agent qui a procédé au dernier relevé.

Pour autant l’un des agents avance une explication. « Vous savez, c’est un quartier solidaire. Ils font la fête ensemble et c’est surement pour cela qu’ils disent tous que le compteur était détérioré alors qu’il était ok. » Un argument qui fait bondir la procureure, « vous pensez sérieusement que dès le lendemain du drame le quartier s’est mis d’accord pour donner la même version ? Et les éboueurs qui confirment l’état de délabrement du compteur, eux aussi ils sont de connivence ? » Surpris, l’agent balbutie, « en tant que professionnel, je n’aurais jamais laissé un coffret dans cet état. » Les prévenus opinent tous du chef.

La parole des agents mise en doute par le tribunal

Alors que l’instance judiciaire met en doute la rigueur professionnelle des agents, supposant que ceux-ci, sachant que la consommation ne bougeait pas depuis au moins 2012, ne prenaient pas la peine de relever le chiffre et donc n’avaient aucune idée de l’état du coffret, le chef du service intervention explique que ce n’est pas possible. « Pour connaître la consommation d’électricité et donc savoir si on l’a utilisé l’électricité, il faut obligatoirement rentrer le numéro correspondant au relevé du compteur dans la tablette. Et c’est une fois que c’est fait, que l’ancien relevé apparaît et que l’agent sait si on a utilisé l’électricité. »

Alors que la procureure lui fait remarquer que ce chiffre aurait très bien pu être mémorisé par les agents et ainsi faire l’impasse sur ce relevé, histoire de gagner du temps sur leur tournée, le responsable affirme que ce n’est pas possible, « les agents changent de quartier tous les quatre mois, et s’ils devaient s’amuser à apprendre par cœur, avant de partir sur leur tournée, les chiffres des relevés précédents, sachant qu’ils doivent relever entre 200 et 500 compteurs par jour, vous comprendrez que c’est impossible. »

Pour l’EDT, le compteur a été vandalisé

Il poursuit, « on a essayé de comprendre ce qu’il s’est passé et on en a déduit que quelqu’un a volontairement détruit le compteur. Et cela s’est passé à une date très proche de l’accident, après le dernier relevé. » Quant aux témoignages qui font état de la dégradation avancée du coffret il avance, « ils ont dû être troublés par l’absence de porte ou la saleté du coffret, mais de là à ce qu’il y ait des fils apparents comme certains l’ont dit, je n’y crois pas. Les agents nous l’auraient signalé. »

Le rapport d’expertise du bureau Véritas fait état « d’un capot de protection enlevé depuis un certain temps, quelques mois ou années, des traces de corrosion » et relève « des débris de plastique provenant de cassures volontaires. » EDT n’en démord pas, « la destruction du compteur est récente car si les fils étaient restés longtemps à l’air, il y aurait eu forcément un court-circuit. »

Hypothèse envisagée un moment, que le bris du compteur soit dû au coup de pied du beau-père pour décoller Dylan de la source électrique. Mais celui-ci appelé à la barre refait son geste et explique qu’il avait tapé sur le bras de l’adolescent pour le faire lâcher prise et non sur le compteur. « Pour casser un compteur ou un disjoncteur, il faut y aller au minimum avec un marteau » assure l’un des cadres de l’EDT.

L’avocate des parties civiles pointe la négligence des agents de l’EDT

« Je suis sidérée par ce que j’ai entendu » s’exclame Me Rebeyrol qui représente les proches de Dylan, « l’EDT part du postulat que leurs contrôleurs n’ont pas failli à leur mission. Mais ce qu’on leur reproche c’est de ne pas avoir relevé l’état déplorable du compteur, pas de ne pas avoir relevé le chiffre de consommation ! Le voisinage, les agents communaux disent tous que l’état du compteur était déplorable et qu’ils pensaient qu’il n’était pas alimenté par le courant. » Elle marque un temps puis poursuit, « je ne vais pas rentrer dans le détail des pièces cassées, mais si au moins il y avait eu une porte sur le coffret peut-être que nous n’en serions pas là aujourd’hui ! »

Elle l’affirme, « face à l’évidence, on nie pour éviter toute condamnation. » Puis au sujet du propriétaire du terrain, « la première fois qu’il est entendu, il dit que le coffret était détérioré, puis plus tard en garde à vue il dit que non, tout était nickel. Il a dû se rendre compte qu’en tant que propriétaire il était aussi responsable de ce drame. (…) » Elle demande au tribunal de rentrer en voie de condamnation.

 « Vous ne vendez pas des cravates là, mais de l’électricité »

Une voie dans laquelle la procureure va s’engager. « Ce dossier est une honte ! Je suis scandalisée par leur manque d’empathie, de compassion. Ils n’ont pas dit un mot pour la victime, ni sa famille ! » Elle n’en doute pas, « cette dégradation du coffret est ancienne, bien plus ancienne que le dernier passage de l’agent releveur, tous les témoignages du voisinage en font état et même les éboueurs ! » Elle l’assure, « il y a un problème dans la relève des compteurs et l’EDT n’a jamais vérifié la véracité du travail de ses contrôleurs. » Les prévenus lèvent les yeux au ciel et secouent la tête en signe de dénégation, ce qui n’émeut pas plus que cela la procureure qui assène à leur intention, « vous ne vendez pas des cravates là, mais de l’électricité. C’est de votre responsabilité. » Elle requiert à l’encontre des quatre agents releveurs des peines allant de 6 mois à un an avec sursis, concernant les cadres une peine de deux ans avec sursis et une amende de 40 millions pour la société EDT.

Pour la défense, il n’y a pas de lien de causalité avec le décès

Du côté de la défense, on estime que ce dossier pêche « car il n’y a pas de lien de causalité avec le décès. On tient pour acquis que le coffret était en mauvais état, mais la cause de l’électrocution, c’est la destruction du disjoncteur. Ce sont les fils qui sortaient du disjoncteur la cause de du drame. » Quant au manque de contrôles sur le terrain, « aucun texte ne le prévoit. » Expliquant qu’il y a eu 833 remontées d’informations d’anomalies constatées par les agents releveurs, il estime que « s’ils vous disent qu’ils n’ont rien constaté d’anormal, on peut les croire. » Et d’affirmer que « les actes de vandalisme ont été commis après le dernier relevé de compteur. »  

Il demande la relaxe de ses clients et de l’EDT et « un supplément d’information sur l’expertise du compteur. » Le délibéré sera rendu le 1er décembre.

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