ACTUS LOCALES

Dix ans après, la SAS Avenir Makatea veut plus que jamais convaincre

La société créée en 2012 par Colin Randall pour relancer l’exploitation du phosphate de Makatea a tenu plusieurs réunions d’information ces derniers jours aux Tuamotu. Le but : informer la population et surtout les ayant droit sur la « mise à jour » du projet de réhabilitation des sites miniers, dans la perspective d’une enquête publique. Environnement, emploi, développement… Les arguments, eux, n’ont pas évolués et ne convainquent toujours pas les opposants au projet.

Lancée en octobre 2012, la SAS Avenir Makatea n’a pas baissé les bras. La société, crée par Colin Randall et aujourd’hui filiale du néozélandais Chatham Rock Phosphate, a enchainé les réunions publiques ces derniers jours. Mataiva, Tikehau, Makatea bien sûr, puis Rangiroa où vivent aujourd’hui beaucoup de familles originaire de l’île haute des Tuamotu. L’idée était justement « d’aller à la rencontre » de ces « ayants droit » pour « répondre à leur question » et les informer sur la « mise à jour » du projet toujours sur la table du Pays. Un projet qui a fait l’objet de « beaucoup de rumeurs » voire de « désinformation » assure Étienne Faaeva, Président – directeur général de la société : « ils disent qu’on veut tout raser ». Lui tient à parler de « projet de réhabilitation » plus que de « projet minier ».

Des terres « qui pourront à nouveau être utilisées » 

L’économie de la SAS, si elle entrait en exploitation, reposerait pourtant bien sur l’extraction et la vente du phosphate, matériau plus que jamais recherché pour ses qualité d’engrais notamment. 11 millions de tonnes, celles qui étaient présentes sous forme de sables faciles à récupérer, ont été extraites et exportées entre 1908 et 1966 par la Compagnie française des phosphates d’Océanie (CFPO). Une période de faste économique pour l’île, et aujourd’hui un passé douloureux aux stigmates inévitables : les milliers de cavités calcaires formées naturellement mais qui ont été vidées et ouverts à l’air libre par l’exploitation minière. « Les choses ont été laissées comme ça depuis plus de soixante ans. Je peux comprendre la réticence des gens vu ce qui s’est passé, reprend le PDG. Mais la tournée que l’on vient de faire, ça consistait justement à expliquer à la population, et notamment ceux qui sont concernés par ces travaux, de quelle manière nous voulons apporter notre pierre à la réhabilitation de ces zones là, qui pourront à nouveau être utilisées par les ayant droit ».

Rendre les terrains utilisables pour la construction ou l’agriculture, stimuler l’activité et faire revenir du monde sur cette île passée de plus de 3 000 résidents au début des années 60 à quelques dizaines aujourd’hui. Voilà les promesses centrales du projet d’Avenir Makatea, dont les grandes lignes n’ont pas changé. Il s’agit de creuser le féo, la couche de roche dure de la surface, puis enlever la couche calcaire plus tendre pour arriver jusqu’au lit de roche phosphate, d’une épaisseur de 30 cm à un mètre. Au total c’est jusqu’à 7 mètres de roche et de terre qui seront ainsi enlevés sur les zones d’opération. Les trous qui descendent plus profondément sont ensuite rebouchés avec le féo. Et un mélange des matériaux enlevés, mêlés à un compost créé avec la végétation débroussée sur le site, est ensuite déposé sur les surfaces creusées pour les aplanir, « dans la mesure du possible », avant de les revégétaliser.

Dans le processus, aucune autre terre n’est importée – c’est une exigence du code de l’environnement – et le phosphate restant est broyé et séché sur place pour « en faire un produit fini ». Un produit dont la SAS fait déjà la promotion sous le nom de « Moana Phosphate » (« produit par l’océan, naturellement pur », précise le slogan), qui a fait l’objet d’une certification biologique – un « avantage concurrentiel important » au niveau mondial – et pour lequel le groupe Chatham Rock Phosphate a déjà des clients. Une « petite partie » de la roche phosphate extraite serait tout de même exportées sans transformation – d’autres producteurs seraient intéressés pour « purifier » leur propre produit – et d’autres matériaux, notamment le calcaire, pourrait aussi être vendus, « seulement s’ils ne peuvent pas être utilisés localement ».

600 hectares « réhabilités »…

Ce process ne serait pas appliqué sur toute l’île, insiste Étienne Faaeva. Sur les 2 400 hectares de l’île, 1 036 ont été exploités par la CFPO et c’est sur cette portion que porte le permis exclusif de recherche obtenu en 2014 par la SAS. Si elle obtient un permis d’exploitation, elle n’en sortira pas. Après les premières études et surtout les discussions locales, plusieurs zones ont été en outre exclues de la future surface d’opération : un secteur du nord, pour préserver le patrimoine, un autre près du village et le long la route pour éviter les nuisances et préserver le paysage d’origine, une zone au centre de l’île où se trouveraient les réserves d’eau – point centrale de la contestation du projet – et un secteur « où la forêt a déjà repris le dessus » à l’Ouest… « Toutes ces zones ne seront pas réhabilitées, nous n’y toucherons pas », insiste le PDG qui chiffre à 600 hectares la zone d’emprise réelle du projet.

… Et « une centaine » d’emplois à la clé

L’exploitation, qui doit s’étendre sur « 25 à 30 ans » nécessiterait la construction d’infrastructures, la livraison de machines, sur lesquelles la direction ne s’étend pas beaucoup. Elle insiste en revanche sur l’embauche et la formation « sur site ». « On l’a fait dès les premières phases de recherche, avec la société Acropol qui a formé des jeunes de Makatea aux travaux en hauteur pour pouvoir faire les analyses de sol » rappelle Etienne Faaeva. Entre l’exploitation, la réhabilitation, la préparation du phosphate, la partie logistique et administrative, une centaine de postes seraient à créer. « On veut tous les proposer en priorité à des habitants ou à des ayants droit », assure le responsable. « Économiquement parlant, c’est important. S’ils sont ayants droit, je n’aurais pas à rapatrier des travailleurs depuis Papeete ou d’une autre île comme on voit souvent, continue-t-il. On est en train de parler d’une trentaine d’années. l’idéal c’est d’avoir des gens qui habitent, qui sont chez eux, et il y aura moins de frais pour la société à les rapatrier tous les weekends ».

Des promesses qui sont pour le moment suspendues à un calendrier incertain. Avenir Makatea a dû attendre l’adoption du code des mines par le pays début 2020, mais ce code doit encore être consolidé par des dispositions fiscales. « Cela va définir qu’est-ce que l’on doit donner à qui », résume Étienne Faaeva. Le Pays a en outre lancé, en mars dernier, une étude du BRGM à Makatea pour avoir toutes les cartes en main pour pouvoir attribuer ou non une autorisation d’exploitation. Une étude dont les résultats pourraient arriver très rapidement et ouvrir la porte à une enquête publique. D’où, peut-être, la campagne d’information de la SAS.

« Mais l’enquête publique, même s’il elle était positive, ne nous donnerait pas carte blanche », précise son PDG. D’autres études pourraient être exigées par le Pays, des négociations auront quoiqu’il arrive lieu avec les ayants droit pour certaines opérations « et les règles du code de l’environnement et du code minier continueraient à s’appliquer même après la délivrance d’un permis d’exploiter ». Le futur d’Avenir Makatea pourrait, au final, dépendre du prochain gouvernement. Alors que la campagne des territoriales se met en place, Etienne Faaeva a préféré prévenir dans les îles : « Ce projet a 10 ans, c’est un projet économique, un projet de société, mais absolument pas un projet politique ».

« Nous n’avons pas besoin d’eux » répètent les opposants

Difficile de dire si ces nouvelles présentations ont convaincu de nouveaux ayants droit. Du côté des élus, on se félicite de l’effort d’information, mais parmi les familles liées à l’île, les camps se sont déjà formés il y a bien longtemps. L’association Fatu fenua no Makatea rassemble certains des opposants au projet et leur discours est ferme. « Ils n’ont rien présenté de nouveau », estime ainsi Heirava qui, comme d’autres, ne croit pas dans les engagements pris par Avenir Makatea lors des dernières réunions publiques. Emploi, environnement, réhabilitation… « On a déjà dit non à ce projet parce qu’on sait qu’il y aura de grosses déceptions », ajoute Jacky. La présidente de l’association, Sylvanna Nordman, n’a pas pu assister aux réunions, mais après discussions avec les autres adhérents, elle répète ce qu’elle a déjà fait entendre aux autorités : « Ils se présentent comme l’avenir de Makatea, mais nous n’avons pas besoin d’eux ». « On peut très bien restaurer, rendre les lieux en question habitables sans passer par la phase exploitation. Il ne faut pas oublier qu’avant  la cessation de la CFPO, il y avait près de 4 000 habitants à Makatea ».

S’il est possible de redévelopper l’île sans le phosphate, pourquoi ne pas l’avoir fait depuis 1966 et la fin de l’exploitation ? « Les gens sont allé faire leur vie ailleurs, répond Sylvana Nordman. Mais nous nous sommes mis aujourd’hui à la culture maraichère, l’apiculture, le tourisme vert et ça marche. Avec un peu de soutien de la commune et du Pays pour désenclaver Makatea et assurer la livraison des produits dans les atolls environnants, ce projet de développement durable peut suffire ».

La crainte c’est que le projet de la SAS fasse beaucoup plus de mal que de bien. Les membres de l’association, qui parlent d’un risque de « dégâts irréparables » mettent systématiquement en avant l’exemple de Nauru, île dévastée par l’exploitation du phosphate. « C’est exactement le même scénario, on va s’attaquer à cette roche phosphatée qui est en profondeur, et après on se rendra compte que ça n’est pas possible de restaurer, il sera trop tard » appuie Sylvana Nordman qui, comme d’autres, craint surtout pour la réserve en eau. Makatea et sa lentille d’eau « exceptionnelle » peut être une « arche de Noé pour les habitants des atolls voisins » et dès à présent un « grenier » des Tuamotu. « Mais une fois qu’ils auront touché au plateau qui protège cette lentille, l’eau sera contaminée, on perdra cette richesse », reprend la présidente. Et qu’importe les garanties apportées par la société, le zonage strict ou les engagements légaux qui devraient être pris auprès des autorités… « Qui va les contrôler une fois qu’ils auront commencé ? Cette promesse qu’ils donnent aujourd’hui, est-ce que véritablement dans le futur ça sera respecté ? J’ai beaucoup de doutes. Une fois qu’ils auront la concession minière, ils seront rois de nos terres et nous on n’aura plus rien à dire ».

L’association Fatu fenua no Makatea n’est pas seule dans cette opposition. Depuis plusieurs années, elle a mobilisé « des scientifiques et des ONG », notamment l’UICN pour l’aider à faire reconnaitre la richesse naturelle de Makatea. Sylvanna Nordman se veut confiante dans son combat : « Ce projet, il a excité quelques personnes il y a dix ans, mais il y a eu trop de revirements pour essayer de convaincre, aujourd’hui plus personne n’y croit ».

 

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