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La pandémie de Covid, un atout pour comprendre des morsures de requins

Des spécialistes des requins, notamment Éric Clua et Clémentine Séguigne ont profité de l’anthropause – une période inédite pour la recherche, qui désigne la baisse d’activité humaine durant la pandémie de Covid – pour étudier le comportement des requins côtiers en Polynésie, et tenter de comprendre un pic de morsures et une attitude inhabituelle, constatés en 2020, à la sortie du confinement. Deux études ont été menées, permettant d’une part de démontrer l’importante mémoire des squales, et de l’autre la notion de territorialité dans leur comportement.

En 2020, un néologisme a fait son apparition dans le vocabulaire scientifique : l’anthropause. Ce qui peut se définir comme la baisse globale de l’activité humaine durant la pandémie de Covid. Pour la plupart, confinements et autres couvre-feux étaient synonymes d’angoisse. Mais pour Eric Clua, vétérinaire spécialiste des requins, toujours en quête de réponses sur le comportement des squales, « ça a été une situation expérimentale incroyable, inattendue, puisqu’il était interdit d’aller en mer ». En temps normal, « impossible pour nous de demander aux gens de ne pas y aller ». La période a été propice pour « voir comment les requins côtiers réagissent quand personne n’est là, donc nous l’avons utilisées pour mener deux études, toutes les deux complémentaires ». 

Découvertes sur la mémoire

La première s’est portée sur le site de Tiahura, à Moorea. « Pendant des années, on a donné à manger aux requins, on les  »invite » à des heures bien précises tous les jours, auxquelles ils se présentent évidemment pour manger. Sauf qu’à l’anthropause, on a arrêté de feeder les requins pendant plusieurs semaines. Et donc nous avons constaté qu’ils ne revenaient plus », relate Éric Clua.

L’équipe s’est donc posé la question de savoir quelle serait l’attitude des requins côtiers en sortie de confinement, après plus de deux mois de désertion. « Finalement, en une semaine à peine, tous les requins qui avaient l’habitude de venir sont revenus. Ce qui nous a permis de monter qu’ils avaient une très bonne mémoire, sur huit, neuf semaines ». Ce qui, selon le spécialiste, n’avait jamais été démontré jusque-là. « Il y a des expériences qui ont déjà été réalisées, mais en laboratoire et sur des périodes beaucoup plus courtes ». Ces conclusions ont été diffusées dans un article scientifique par une autre spécialiste, Clémentine Séguigne, ancienne étudiante d’Éric Clua. « Cette très bonne mémoire, c’est très important pour notre deuxième étude, pour laquelle on s’est posé d’autres questions, en constatant des choses auxquelles on ne s’attendait pas, sur l’ensemble de la Polynésie », poursuit le vétérinaire.

Inflation de morsures à la sortie du confinement

Celui-ci s’explique. Durant la décennie pré Covid, quatre à cinq morsures de requins sur l’homme étaient recensées chaque année. « Souvent des morsures de compétition », lorsque l’animal convoite le fruit de la pêche d’un chasseur. « Ce sont les morsures les plus classiques, avec celles liées au shark feeding, sur les gens qui ont la mauvaise habitude de nourrir le requins à la main, parfois il confond la main avec le poisson », rappelle Éric Clua. Seulement, en 2020, des données inhabituelles ont été comptabilisées. « Début 2020, il y a eu deux ou trois morsures qu’on peut qualifier de normales, ce qui n’a donc pas trop attiré notre attention. Mais par la suite, nous avons commencé à regarder toutes les morsures constatées dans l’année », notamment à la sortie de l’anthropause, « avec une inflation de morsures ».

Le retour de la « danse » du requin

Quinze incidents, soit trois fois plus qu’à l’avant-Covid, principalement aux Tuamotu. Et parmi ces morsures, certaines ont révélé un comportement quasi disparu chez les requins en Polynésie. « Nous avions des gens, qui n’étaient pas chasseurs, ou qui n’avaient pas encore tiré, qui se faisaient mordre directement par les requins de récif, directement et sans raison apparente ». Selon Éric Clua, ce genre d’attaque était courant dans les années 60 et 70. « Les requins avaient un comportement appelé agonistique. C’est un état agressif, une sorte de danse, où tu vois le requin se contorsionner, il fait ça avant de mordre », décrit-il. « À l’époque, ils réagissaient comme ça pour dire  »dégage, ce n’est pas chez toi ». Mais au bout d’un moment, avec la pression de l’homme, ils en ont eu marre et ils sont allés un peu plus profond… » Jusqu’à la pandémie. Pour le vétérinaire, la quasi-disparition des humains dans les lagons pendant deux mois a donc permis aux squales de « se réapproprier l’espace dont on les avait un petit peu chassé, et donc on a revu leurs comportements de danse qu’on ne voyait plus depuis des dizaines d’années ». 

Les requins ont brièvement défendu leur territoire repris à l’homme

Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs assistés des professeurs Meyer et Wirsing, deux universitaires américains, ont formulé deux hypothèses. « Soit ils défendaient leur territoire » reconquis, « soit ils considéraient que l’homme pouvait être dangereux ». Pour trouver la bonne réponse, l’équipe s’est appuyée sur la première étude. « On a vu qu’ils avaient une très bonne mémoire, or cela faisait un bon moment que les requins avaient arrêté de considérer l’homme comme un agresseur, un prédateur ». Pour le spécialiste, les requins n’ont pas pu oublier leur cohabitation avec l’homme, en seulement huit à neuf semaines. « La seule explication plausible, c’est donc la territorialité : les requins se sont réapproprié leur espace, nous sommes revenus et ils ont recommencé, pendant quatre à cinq mois », conclut Éric Clua, non sans relever que ces comportements « n’ont pas duré très longtemps », l’activité humaine ayant vite repris son cours après le confinement.

En démontrant la notion de territorialité chez les requins côtiers, dans un article publié en septembre, le spécialiste estime que « la confirmation de ce comportement ouvre de nouvelles perspectives sur la compréhension des risques liés aux requins pour les utilisateurs des eaux côtières tropicales et sa gestion par les autorités locales. Elle souligne aussi la responsabilité humaine directe dans l’éventualité de morsure, dont la responsabilité est trop souvent et illogiquement imputée aux requins ».

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