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La « réa » de Taaone, vitale dans la gestion de la crise


Les autorités le savent : si le service d’anesthésie-réanimation du CHPF est saturé, la gestion de crise deviendra beaucoup plus périlleuse. Un effort sans précédent a donc été fourni ces derniers mois pour renforcer les capacités de ce service, au centre de toutes les attentions. Reste à savoir s’il sera suffisant pour éviter la catastrophe sanitaire. 

La « réa », c’est un hôpital dans l’hôpital à Taaone. Chambre ou « box » bien isolé pour chaque patient, équipement d’assistance ou de surveillance omniprésents, encadrement bien plus nombreux que dans n’importe quel autre service… Tout est prévu pour prendre en charge les cas les plus graves de l’hôpital, les patients qui présentent des risques de défaillances vitales, qu’il s’agisse de leur système cardio-vasculaire, de leurs fonctions rénales, neurologiques… Ou de défaillances respiratoires, très fréquentes dans les cas graves de Covid-19.

« Ce dont les patients Covid ont le plus besoin, c’est d’oxygène », explique la chef du service à Taaone, Laure Baudoin. Ainsi dans les hospitalisations Covid ambulatoires (hors de la réanimation, donc), les patients se voient très souvent installés de petites « lunettes » (embouts nasaux) voire un masque à oxygène. « À partir du moment où ça ne suffit pas, qu’il y a un risque de manque d’oxygène dans les organes du patient, il vient en réanimation », pointe la spécialiste. La « réa » utilise des « Optiflow », un autre type de « lunettes » présentant un débit d’oxygène beaucoup plus élevé. Quand c’est encore insuffisant, une intubation avec ventilation artificielle est pratiquée. Très inconfortable, elle nécessite de placer le patient en coma artificiel, et est évitée pour les personnes déjà très fragiles. Certains patients, très rares, sont en plus de cette intubation placés sous « Ecmo », un système qui fait circuler le sang hors du corps pour l’oxygéner grâce à des poumons artificiels.

En plus de cette oxygénothérapie, les patients bénéficient souvent d’un traitement médicamenteux comme la dexaméthasone, un anti-inflammatoire puissant. L’hydroxychloroquine, elle, n’est pas utilisée : pour les soignants du Taaone, « ouverts à tout ce qui peut aider les malades », comme pour la vaste majorité des praticiens hospitaliers dans le monde, la molécule « n’a pas fait la preuve de son efficacité ».

Une patiente plongée dans le coma artificiel, sous assistance respiratoire et « Ecmo », dans le service réanimation du secteur Covid. ©C.R.

Le Covid, maladie « complexe » et très gourmande en moyens

Ces prises en charge particulièrement lourdes et complexes expliquent tous les défis que pose le Covid-19 à des services hospitaliers pourtant habitués aux virus ou aux troubles respiratoires. « On est obligé de doubler voire tripler les ressources humaines dont on a besoin pour gérer les hospitalisations en secteur Covid » rappelait la directrice du CHPF Claude Panero jeudi dernier. Ainsi un binôme infirmier – aide-soignant, qui peut habituellement prendre en charge 6 patients de réanimation, ne peut s’occuper que de 3 malades en secteur Covid.

Beaucoup de moyens par patient, et beaucoup de patients à soigner. Partout dans le monde, ce nouveau coronavirus a rempli les services hospitaliers, et les services de « réa » en particulier. En Polynésie comme ailleurs, il a bien fallu s’adapter. Jusqu’au mois de mars, les capacités d’hospitalisation en service réanimatoire était de 18 personnes, à Taaone, avec un potentiel de 6 lits supplémentaires. Sans réaction, cette capacité serait aujourd’hui « à 100% remplie par le Covid », comme le rappelle le Dr Philippe Dupire, président de la commission médicale d’établissement. Aucune place pour les victimes d’accidents graves, sur la route notamment, aucun lit pour les patients en rémission d’une opération chirurgicale lourde, ou pour ceux dont la maladie chronique (diabète, cancer…) s’aggrave assez pour mettre leurs systèmes vitaux en danger… Cette « saturation » tant redoutée emporterait donc des conséquences sanitaires qui dépasseraient largement les seuls cas positifs de Covid.

Raison pour laquelle le CHPF, son autorité de tutelle, le Pays, ainsi que l’État, qui prête main forte du côté matériel et humain, ont tant investi, ces derniers mois, pour équiper l’hôpital, et le service d’anesthésie – réanimation en particulier. En restructurant et en équipant d’autres unités, la capacité de réanimation est aujourd’hui de 42 lits, dont 18 pour les prises en charge « classiques », et 24 en filière Covid. Ces derniers étant pleins, 23 autres postes sont en cours d’équipement pour arriver, finalement, à 45 lits de réanimation Covid et 18 autres pour l’activité normale de l’établissement.

Derrière les chiffres, cette montée en capacité représente d’énormes efforts en termes d’organisation, d’équipement et surtout de formation, comme le rappelle le Dr Philippe Dupire.

Tout dépendra de la trajectoire de la courbe

Ces lits suffiront-ils ? Tout dépendra de la « trajectoire de la courbe » répondent les soignants, qui espèrent que les comportements individuels et collectifs des Polynésiens aideront à ralentir le flot des hospitalisations. Mais comme le répètent les spécialistes depuis déjà plusieurs semaines, c’est sur les effectifs de soignants plutôt que sur les places pour les patients que pourrait d’abord buter le Taaone. Laure Baudoin rappelle que son équipe, en anesthésie – réanimation, doit déjà composer avec les absences pour cause de contamination au Covid. « Il y en a chez les soignants, comme dans le reste de la population », explique la chef de service. Au plus long terme, c’est la rareté des compétences qui pose problème : il faut normalement deux ans, en plus des études classiques, pour former un infirmier capable de travailler dans le service de « réa ». La stratégie du CHPF a pour l’instant été de rappeler des autres services ou de leur retraite tous les soignants déjà qualifiés, et de compléter certains cursus par des formations, lancées depuis le début de la crise.

En attendant l’issue de toute ces formations, les 12 infirmiers de la réserve nationale annoncé par le Haut-commissaire Dominique Sorain devraient aider à passer le cap des prochaines semaines. Mais les chiffres des hospitalisations et des réanimations (respectivement 95 et 24 en secteur Covid ce lundi) ne cessent d’augmenter. Au CHPF, on veut être clair : « Les Polynésiens peuvent compter sur leur hôpital, sur leurs soignants, pour faire face à cette maladie, insiste Claude Panero. mais il faut qu’ils aident eux aussi leur hôpital ». Au sein de l’hôpital, aucun doute : seul le respect des gestes barrières et des règles sanitaires permettra de limiter la propagation du virus.

Quand un patient se rétablit, ou, parfois, qu’il décède, sa chambre est entièrement désinfectée. Les protocoles sanitaires sont particulièrement rigoureux en service « réa ». ©C.R.

 

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