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Obésité : le Pays veut faire bondir la TVA sur les « saloperies » grasses ou sucrées

Les ministres de la Santé et des Finances, qui ont, chacun à leur manière, fait des annonces sur le plan anti-obésité du Pays. ©C.R/D.R

Face à l’échec de la lutte contre l’obésité, le ministre de la Santé Cédric Mercadal dit vouloir « repenser le système » pour orienter les mesures de prévention vers le « terrain ». Jusqu’à 200 « coachs » spécialisés dans la santé, l’alimentation et le sport, vont être embauchés pour sillonner les communes et les écoles, une loi va ouvrir la voie au « sport sur ordonnance », et une autre venir encadrer davantage la vente des produits sucrés, gras ou salés. Le texte, en préparation comporte aussi un volet fiscal, mais le ministre des Finances Warren Dexter ne l’a pas attendu pour annoncer dès 2025, une hausse de TVA de 5 à 16% sur les produits qu’il désigne comme des « saloperies ».

Un « fléau », une « situation alarmante », un « défi majeur pour notre pays », une « menace directe pour notre système de santé »… À la tribune de Tarahoi ce mardi, Cédric Mercadal a voulu ne laisser aucun doute aux élus : le gouvernement a conscience de l’ampleur du problème que pose l’obésité. Pour le lui rappeler, un rapport de la Chambre territoriale des comptes, mené dans le cadre d’une évaluation nationale et portant sur l’épidémie chez les 15 – 25 ans, était présenté à l’assemblée. Un rapport qui, comme l’écrivait lundi Tahiti Infos, pointe du doigt l’échec des politiques publiques en matière de prévention ces dernières années. Et le ministre de la Santé, qui souligne la qualité du travail des magistrats, ne les prend pas à défaut sur ce constat.

« Je pense qu’on est dans de l’inefficacité. Il y a eu beaucoup de volonté politique, de tous nos gouvernements, de vouloir gérer ce problème d’obésité dans notre population. On a essayé toutes les méthodes qu’on nous a données, proposées, mais force est de constater que le résultat est là, une personne sur deux est en état d’obésité, et chez les jeunes, 36% des jeunes hommes sont obèses et 46% des jeunes femmes le sont aussi, explique-t-il, regrettant que certaines solutions de ces dernières décennies, souvent inspirées par les actions de l’OMS, ne soient « pas adaptées » à la Polynésie. Il va falloir qu’on utilise d’autres moyens, des moyens de terrain ».

« Repenser le système » : voilà donc la volonté affichée par le gouvernement qui assure avoir déjà lancé des projets qui répondent à une bonne partie des recommandations de la CTC. La consolidation et le meilleur traitement des statistiques, par exemple, avec une première enquête de santé des 13-17 ans qui doit rendre ses résultats dans quelques semaines, la relance, ces jours-ci, de l’enquête StepWise sur les maladies non transmissibles, ou la convention passée avec l’ISPF pour collecter et analyser les données de santé au nom de l’Arass. Le ministre évoque aussi son projet de loi sur l’activité physique adaptée qui doit permettre la prise en charge de sport prescrit par les médecins, « comme, ou à la place de médicaments ». Mais le dispositif central avait déjà été évoqué par Moetai Brotherson en ouverture de la session budgétaire : la création dès début 2025 d’un réseau de volontaires chargés de faire de la sensibilisation et de l’accompagnement « dans tous les quartiers et toutes les écoles ».

Jusqu’à 200 « coachs de santé et bien être » et des fonds de prévention « réorientés »

Ces « coachs de vie » ou de « bien-être », qualifiés par le président « d’éducateurs » ou de « Tahua Mito » seront formés à diverses questions de santé, d’alimentation, mais aussi d’activités physiques et sportives, et « certifiés ». « On va faire comme on a fait dans le domaine dentaire dans les années 70, mais pour l’obésité pour reprendre les bonnes habitudes, faire du sport, mieux s’alimenter, décrit Cédric Mercadal. On va investir pour avoir 80 personnes début 2025, puis 180 d’ici fin 2025 pour aller dans chaque quartier, chaque école, pour améliorer les choses ». Moetai Brotherson avait même parlé de 200 volontaires à l’horizon 2026 et pour les années suivantes, le dispositif étant conçu pour être pérenne dans le temps.

L’idée n’est pas complètement neuve : elle étoffe et « généralise » le programme « To’u Tino To’u Ora » déjà développé par le Fare Tama Hau. La Maison de l’adolescent et de l’enfant sera d’ailleurs de nouveau en charge de cette armée de volontaires, payés et inscrits à la CPS, et répartis sur le territoire grâce à des conventions communales. Ces coachs, probablement jeunes, pourront, sur le principe du service civique, gagner au travers de leur action des facilités d’accès aux formations sanitaires.

Coût prévisionnel de la mesure : 200 millions de francs annuels. Pas grand chose face aux 43 milliards de francs de dépense de santé qui sont liés directement ou indirectement (au travers du diabète, de l’hypertension, des maladies cardiovasculaires ou de certains cancers) à l’obésité. Ces financements ne devraient quoi qu’il arrive pas être nouveaux : le ministre compte redéployer des fonds affectés à d’autres programmes jugés trop coûteux au vu de leur efficacité au sein du Fonds de prévention sanitaire et social. « Il faut réorienter cet argent vers le terrain, insiste Cédric Mercadal. Ça doit être une cause nationale, un effort de tous et ça doit se passer avec les communes, les associations, les églises… ».

Encadrer le sucre, « comme le tabac »

Un plan détaillé et applaudi, sans grand débat, devant l’Assemblée. La discussion devrait être – et est déjà – plus vive sur la partie fiscale du plan d’action du gouvernement. Car un autre projet de loi de Pays en préparation porte sur l’encadrement des « produits néfastes pour la santé », dont notamment le sucre. Là encore, les contours précis du texte, qui sera débattu dans le courant de l’année 2025, ne sont pas encore arrêtés. Mais la loi « sera là pour encadrer la commercialisation du sucre, comme sur le tabac : on encadre les lieux de vente, les modalités de vente, précise Cédric Mercadal. Et de l’autre côté elle mettra en place une taxation de ces produits, qui doit être travaillée par le ministère des Finances, soit pour agir sur les produits les plus sucrés soit pour orienter la consommation sur des produits moins sucrés ».

Côté encadrement, le ministre évoque des interdictions de vente de certains produits dans les établissements scolaires et leurs environs directs, pour créer des « zones sanitaires », de nouvelles mesures d’information obligatoire des consommateurs, sur les taux de sucre, notamment, et des restrictions sur la promotion des produits, qui existent déjà pour l’alcool ou le tabac – qui doit d’ailleurs faire l’objet d’une nouvelle loi.

Réforme de la TCP

Côté fiscalité, Cédric Mercadal évoque donc deux options. D’une part la création d’une nouvelle taxe spécifique, qui viendrait compléter ou amender « la taxe de consommation pour la prévention » (TCP) qui touche déjà, depuis 2001 et de façon plus large depuis 2018, les boissons et produits sucrés. Les nouvelles recettes pourraient être affectées directement à la prévention, comme c’est déjà le cas de la TCP, dont le 1,8 milliard de recettes est directement fléché vers le Fonds de prévention sanitaire et social. La nouvelle mouture aurait l’originalité d’être graduée en fonction des taux de sucre ou de la nocivité des produits, dans chaque catégorie, encourageant les producteurs locaux à « améliorer » leurs recettes tout en limitant la concurrence des produits moins vertueux, locaux ou importés. Elle concernerait aussi, d’après le ministre des Finances Warren Dexter qui a « repris à son compte » ce dossier fiscal, une plus grande gamme de produits, touchant des produits gras ou très salés, qui posent « eux aussi des problèmes de santé ».

L’autre « option » évoquée par Cédric Mercadal, plus simple à mettre en place, mais moins modulable – et a priori pas fléchable – c’est une hausse de TVA sur certains produits. Le ministre promet quoiqu’il arrive des discussions avec les industriels locaux, pour « ne pas risquer de toucher à l’outil économique ». « Ce que les producteurs veulent, c’est un cadre clair, qui mette tout le monde sur un pied d’égalité », insiste le ministre, persuadé de pouvoir éviter une confrontation avec les patrons.

+11 points de TVA pour les produits sucrés

C’était sans compter sur l’annonce fracassante – et qui a visiblement étonné jusque dans les rangs de l’exécutif – de Warren Dexter. Le ministre de l’Économie et des Finances, confirme travailler au financement du « plan de prévention » de son collègue de la Santé, et à une réforme de la TCP, mais semble avoir déjà tranché pour actionner le levier de la TVA. « Ce que je veux proposer, dès le budget primitif 2025, c’est de mettre de la TVA à 16% sur tous les produits qui sont actuellement soumis à cette taxe sur le sucre. Donc demain, un bonbon qui est vendu ave 5% de TVA, va passer à 16%. C’est augmenter de 11% le prix des produits qu’on ne veut pas encourager, détaille-t-il. Évidemment, ça va être inflationniste, mais chacun comprendra que sur des sujets de santé publique, ça ne pose pas de problème qu’il y ait de l’inflation sur ce genre de saloperies ». Des « saloperies » sucrées, dans un premier temps, et pas grasses ou salées, puisque la TCP ne touche aujourd’hui que cette catégorie de produits, et ne sera a priori pas élargie avant le débat budgétaire de fin d’année.

Deux ministres, deux discours, et deux méthodes, malgré un objectif commun. Dans l’hémicycle, la sortie de Warren Dexter a réveillé un débat jusque là plutôt plat. Il faudra du « courage politique » pour avancer, relève Steve Chailloux, favorable à « aller au bout de la logique » et interdire des « aberrations » comme les « casse-croute hachis-frites » ou « chaomen-mayonnaise » aux abords des collèges et lycées. Il faut « changer les habitudes jusque dans les maisons » a insisté Oscar Temaru qui a brandi sa bouteille de « jus de citron – gingembre – eau du robinet de Faa’a » en alternative au « Fanta-Coca ».

Côté autonomiste, Pascal Haiti-Flosse s’interroge – sans réponse – sur les recettes prévisionnelles d’une telle augmentation, tandis que sa collègue rouge Cathy Puchon avait déjà signifié sa préférence pour une taxe affectée plutôt qu’une TVA qui tomberait dans le budget général. Mais après une longue lecture des chiffres alarmants de l’obésité, personne ne conteste réellement les mesures annoncées. Moetai Brotherson saute sur l’occasion en fin de débat : « Je prends acte que lorsque les lois de Pays sur les produits sucrés et les produits gras seront présentés, on aura 57 oui ! ».

 

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Jt Vert 25/09/2024

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